Je m'immobiliserais toujours dans tes larmes...Il était enfin temps que la France découvre le digne successeur de Shinya Tsumakoto et de Takashi Miike : cette sortie estivale de Guilty of Romance, peu judicieuse certes, rappelle d'ailleurs le sort réservé à l'autre choc asiatique de l'année dernière, J'ai rencontré le diable, distribué de la sorte au même moment de l'année. Aucun rapport cependant entre les deux films, si ce n'est qu'ils abordent les recoins les plus noirs de l'âme humaine.
Chez Sion, on assiste au strip-tease tremblotant des moeurs japonaises, et plus encore de la famille nippone. Cette famille là, solide ou sans intérêt en apparence, rapidement gangrenée par une décadence galopante et une haine aussi virulente qu'une grippe. Oeuvres monumentales (leur durée vont de 2h30 à quatre heures !!), radicales et libres, Love Exposure, Cold Fish et Guilty of Romance forment ainsi la trilogie de la haine de Sion, exposant chaque membre de la famille face aux tourments humains : l'enfant, le père, et la mère.
Plus accessible et moins gore que ses prédécesseurs, Guilty of Romance n'en reste pas moins une fable où l'outrage est roi, débutant sous une pluie battante, quelque part dans un quartier chaud de Tokyo : là, une inspectrice de police (perdant tout de même une demi-heure de présence au montage international) inspecte le corps mutilée d'une jeune femme, morcelée et combinée à ceux d'un mannequin. On croirait avoir affaire à un Seven nippon, la suite nous en dissuade immédiatement...
De cette toile moite et putride, on découvre l'intérieur aseptisée d'Izumi, femme au foyer dévouée et timide qui ne vit que pour son mari, un écrivain à succès instaurant un climat de sado-masochisme cotonneux. Appréhendée par une jeune femme excentrique, Izumi se livre à des photos de charmes de plus en plus poussées qui vont la confronter à son incroyable corps (sacrement généreux et hors-normes pour celui d'une japonaise type). Épanouie, elle se glisse un jour dans le quartier des love-hotels et y rencontre Mitsuko, prof de littérature le jour, et prostituée la nuit. Vénéneuse et entreprenante, la créature devient son initiatrice...
Avec une énergie baroque se diluant jusque dans les éclairages empruntés à Dario Argento, Sion dessine un récit initiatique implacable, qui repeint ses ténèbres de rose fluo. Là où Cold Fish empruntait la voie du gore cracra histoire de se raccorder au fameux studio de Sushi Typhoon, Guilty of Romance, auréolée par la Nikkatsu, revient à l'explosion de Roman-Porno, où les ménagères et les bonnes épouses levaient un voile sur leurs vices cachées par le biais de la soumission, de la vengeance ou du viol.
Ici, la libération est amère, les espoirs sont vains : Sion fait preuve d'autant d'audaces que les produits fous de l'époque auquel il se réfère, mais reste fasciné avant tout par ses héroïnes. Au Pinku habituel, il superpose son goût pour les intrigues tordues, l'oedipe mal tourné et sa passion pour la littérature, pleinement visible entre les emprunts explicites à Kafka et à Ryuichi Tamura, et plus implicites à Sade, Huysman et Bataille.
Dans ces bourgeoises désireuses de s'affranchir une nouvelle vie et de devenir une autre, c'est bien plus que Belle de Jour auquel on pense : la cruauté et la crudité graphique, jusque dans les couleurs pop, appellent directement aux fameux Les jours et les nuits de China Blue. À cela, Sion apporte cette frénésie et cette perversion typique de son cinéma, bombe à retardement à l'imprévisibilité retorse. Au milieu des cris de jouissances et de souffrances , il y aussi Makoto Togashi, sorcière des bas fonds à double face, qui restera sans doute le visage le plus marquant de cette année 2012.