* Enemy, de Denis Villeneuve : Si Prisoners louchait vers le cinéma de David Fincher, Enemy (réalisé quasiment en simultané) nous rappelle que Villeneuve est aussi un réalisateur du bizarre : bien avant sa consécration, il y avait eu par exemple Maelstrom, sorte de fable torturée racontée par un monstre marin ! Véritable énigme cinématographique, Enemy déloge le spectateur de sa zone de confort, objet radical et obscur comme pouvait l'être Under the Skin quelques mois plus tôt. D'une histoire de double débutant comme la fin de La double vie de Véronique (un professeur d'histoire croise son sosie dans un film), Enemy s'alanguit et s'étire dans un climat oppressant, avec ses visages égarés, cette ville aux horizons bouchés, ces araignées géantes... On est plus très loin d'un Mulholland Drive au masculin ou d'un Lost Highway 2 dans l'art d'écrire un récit qui en cache un autre : certes, Villeneuve n'atteint pas encore les cimes émotionnelles de Lynch, mais bouscule délicieusement l'énième histoire de jumeau maléfique qu'on attendait.
* Sils Maria, de Olivier Assayas : Films d'actrices, films de femmes, et fatalement, film de festival. Dans les Alpes, une actrice célèbre du nom de Maria Enders répète la pièce qui l'a rendu célèbre mais en endossant cette fois le personnage qu'elle précipitait dans le désarroi. Face à la femme mûre, accomplie, mais incertaine, il y a son assistante, qui l'observe avec tendresse et admiration (mais jusqu'à quel point ?) et la lolita à qui elle donne la réplique. Tout s'assemble en un jeu de miroirs fascinant mais un peu facile où la pièce se reflète sur les protagonistes, qui sont elles-mêmes des avatars des comédiennes choisies par Assayas. Kristen Stewart s'y révèle enfin, loin de l'enfer Twilight, et Binoche resplendit, s'offrant un étonnant rôle charnière en actrice talentueuse, mais un peu dépassée. Scandaleuse et un peu cabotine, Chloé Moretz frôle la fausse note, mais sa fausseté caméléon semble creuser un peu plus ce fossé de femmes. Un beau drame mais un peu timide hélas malgré ses éclats, comme la très belle scène du serpent de Maloja.
* Lucy, de Luc Besson : Transfigurée, déstructurée, reconstruite, effacée, abîmée, transcendée : le parcours cinématographique et charnel de Scarlett Johansson devient étrangement cohérent et fascinant, organisant autour de Her, Under the Skin et Lucy une sorte de boucle fascinante, comme un reset glamour permanent. C'est là que subsiste le point le plus (le seul ?) intéressant de ce nouveau Besson, qui a franchit une nouvelle étape : finir par faire ressembler ses films à ses productions. Mêlant sans conviction son Nikita avec quelques brides d'Akira, Lucy se prend des grands airs assez drolatiques, entre exhibitions de connaissances foireuses et alibi scientifique censé rendre plus intelligent. Sauf que cette histoire de cagole se métamorphosant en super héroïne (et qui ne fera pas grand chose de plus que dans la b.a) se contente de filer droit, avec son cota de poursuite en voitures, de flics français débiles et de méchants coréens (piqué à Park Chan Wook, Choi Min-Sik est insupportable en bad guy). Et que dire de plus quand Besson tente de nous refaire Tree of Life ? Rien. On zappe.
* Young Ones, de Jake Paltrow : Imaginons Mad Max sans motards rutilants, sans punks barbares : entre le Western agricole et le drame solaire, Young Ones explore un peu plus la verve intime du post-nuke, de plus en plus abordée ces temps-ci (The Rover, These final hours...). Dans une plaine aride où l'eau se fait rare, un fermier, père de deux ado tourmentés, se heurte au boyfriend de sa fille, une graine de violence au intentions troubles. Il en résulte un très bel objet à la réalisation rigoureuse mais se vidant de ses forces au fil du récit (une histoire de règlements de compte assez banale), sans compter des personnages féminins bancals (Elle Fanning à gifler, et un beau personnage de mère sacrifié). Ce qui frappe, c'est sa beauté désespérée et ses détails étranges, avec la vision convaincante d'un futur exsangue. Derrière tout ça, un auteur à suivre.
* Les gardiens de la galaxie, de James Gunn : Que faut-il attendre d'un enfant terrible de la Troma aux commandes d'un blockbuster Marvel, quadrillé (entre autres) par Disney ? Sans doute assez de malice de la part de Gunn pour contourner des barrières peu compatibles avec sa personnalité. Dès l'introduction, mêlant drame et comédie musicale, le ton est donné. Au delà d'un schéma narratif très (trop ?) appliqué, Gunn retrouve surtout l'âme des productions 80's, qui mêlaient premier et second degré sans que rien ne vienne enrayer la belle machine. C'est donc là sa magie, réussissant à faire coexister un raton-laveur accro à la gâchette, un bad guy tout droit sorti de Conan le Barbare, un arbre mutant dansant sur du Jackson Five et un héros faussement badass faisant tourner ses cassettes audios en boucle. Beau et fun, l'été (ou l'année ?) a trouvé son blockbuster de rêve.
* Les combattants, de Thomas Cailley : Petit patelin, là quelque part en France. Lui est un apprenti menuisier un peu gauche, un peu fragile, un peu ailleurs. Elle est un garçon manqué antipathique, secrète, qui ne vit que pour la fin du monde. Dès l'introduction qui désamorce une situation dramatique (la fabrication d'un cercueil) par une energie peu commune, Les combattants impose déjà un style fluide, contagieux, et qui refuse en bloc les codes la rom'com habituelle. Le regard lourd, le personnage d'Adèle Haenel va découvrir qu'il y a autre chose derrière son parcours du combattant. Malicieux mais sans prétention aucune, Thomas Cailley brise le masculin et le féminin, délaissant la poigne pour la ballade élégiaque, qui se déleste jusqu'à un final étrange, presque fantastique, sous une belle pluie de cendres. Un bel exploit de comédie française.