En 1974, la bande-annonce d'Emmanuelle scandait "La plus grande caresse du cinéma français". C'était alors la France de la libération sexuelle, la France où le plus grand succès du moment s'appelait Emmanuelle, vague équivalent au raz de marée du fameux Gorge Profonde quelques années auparavant. Un train de retard certes (cela n'empêcha absolument pas le film de Jaeckin de carburer aux States) mais un phénomène tout aussi intéressant...
La recette était simple : un photographe de charme n'ayant jamais fait de cinoche (Just Jaeckin en l'occurrence) + l'adaptation d'un best-seller coquin + une jolie sylphide néerlandaise en guise de sex-symbol : les français (et pas seulement), ces grands obsédés, se bousculeront pour voir la douce Emmanuelle se pomponner dans sa chaise en osier (aujourd'hui appelée plus communément le "fauteuil Emmanuelle" !). Il y a avait quelque chose d'insouciant dans l'air. Le filon fut, dans les tous les cas, miraculeux...
L'initiation érotique de la jeune femme, sous principe de célébrer la liberté de la femme, passe par la découverte du saphisme, la déception amoureuse, le choix d'assumer son corps et ses dires, d'approcher l'érotisme de manière naturel, de sublimer la violence. Bref, rien que Laclos, Marivaux ou Sade ne nous aient déjà dit, mais en extra-light.
Les corps sont fins et beaux ; le langage jamais trop cru ; les stéréotypes s'alignent (vieux séducteur, autochtones décoratifs, bourge vénéneuse et lolita gavée de lollipop) et la musique de Bachelet enrobe le tout avec une nostalgie frémissante. Ce qui paraissait "audacieux" autrefois devient grotesque : une scène d'amour dans un avion incongrue (essayez, vous rigolerez bien), du touche pipi lesbien après une séance de squatch (ça transpire ces filles là), et une morale finale carrément douteuse (pour devenir femme, rien ne vaut un gangbang thaï non consenti). Il est à peine surprenant vu ce dernier acte que Jaeckin enchaîna avec l'adaptation d'Histoire d'O ; et on ne peut pas dire que c'était réussi non plus...
Déclinable à l'infinie, Emmanuelle devint l'icône du désir, l'ingénue devenue prêtresse : en suites et copies (dont les fameux Black Emanuelle, dérivés exotiques et insalubres sur lequel on reviendra) on ne peut pas dire que le thème brillera par ses qualités.
Là où le bas blesse davantage, c'est qu'Emmanuelleétait déjà un sous-fifre érotique à son époque (qualitativement parlant s'entend), dépassé par la concurrence (le Hard hexagonal, Brass, Borowczyk - qui réalisa d'ailleurs le cinquième volet dans sa plus funeste période et dirigea Sylvia Kristel dans le magnifique La Marge - ou les Pinku du Japon) dont la force et le pouvoir sexuel ont plus grandi que diminué au fil des années ! Bibelot vintage, petit témoin de son époque : enfermée à jamais dans son placard de velours, Sylvia Kristel n'aura pas la chance de s'extirper de son personnage, à son grand regret...
Second article sur l'Eros-Soft français, avec Bilitis et Histoire d'O, ICI