1.
Laurence Anyways, Xavier Dolan :
Des jeunes coeurs brisés, Dolan passe à un niveau plus ambitieux et plus adulte : à la manière de Beineix avec
37°2 le Matin, il offre à sa passion fleuve toutes les couleurs et la durée nécessaires pour en retranscrire la richesse, dans les plus petits et les plus grands détails. Sur plus de dix ans, un homme et une femme se cherchent et se retrouvent, quelque part dans le Canada des 80/90's. A cela, Dolan cramponne ses obsessions, sa plasticité formidable, et la perte des repères sexuelles : quand l'homme veut devenir femme, l'alarme de l'amour se déclenche. Parfum de clip sans racolage, épopée du déchirement, finesse et drôlerie quand c'est possible : c'est le torrent passionnel de l'année.
=> Ma chronique du film ICI 2.
The Impossible, Juan Antonio Bayona :
Tragédie déjà illustrée par HBO à la télé et par Clint Eastwood au cinéma, le terrible tsunami ayant frappé la Thaïlande en 2004 repart inonder les salles de cinéma dans un drame catastrophe qui fera hélas moins de bruit que les séismes cheesy de Roland Emmerich. Toute la force et la finesse, absente du cinéaste allemand, se retrouve chez un Bayona qu'on pensait plus attacher au cinéma fantastique après le triomphe de son touchant
Orphelinat. A la manière de son compatriote Alejandro Amenabar, il prouve surtout que se décliner radicalement à un autre genre n'empêche pas de dévoiler d'autres facettes de son talent. Et ce n'est pas tant à son précédent film (une aimable ghost story) que l'on pense mais davantage à Spielberg : Spielberg le rêveur, le terrible, l'impitoyable, le beau. Tout ce qui a fait le prix de son cinéma au détour de tous les sujets imaginables. Avec une grâce et une technique irréprochable (reconstitution incroyable du raz de marée), Bayona ne semble faire qu'un avec son modèle, décrivant sans concession la survie de cette famille engloutie par l'enfer et télescopant une mosaïque de terreurs intimes (la dégradation du corps, la perte de l'être cher, l'espoir en fin de course...) qui nous cueillent au plus profond.
3.
Take Shelter, Jeff Nichols :
Après l'apocalypse intime et européenne de
Melancholia, il fallait bien en offrir la réponse américaine (et plus loin encore, la réponse Redneck !). Dans un climat qui se délecte de la menace et de l'angoisse sourde, à mi-chemin entre Terence Malick (la présence de Jessica Chastain y est peut être pour quelque chose), Stephen King et Night Shyamalan (les scènes de cauchemars), un père de famille crie à la fin du monde, alerté par des signes avants-coureurs oniriques. Même si Michael Shannon ne semble toujours pas se défaire de son image de déséquilibré, il le fait toujours admirablement (le pétrifiant pétage de plomb de la cantine), tout en brossant le portrait d'une folie consciente aussi émouvante que flippante. La dernière partie, suffocante et épidermique, n'a de cesse de plaquer le spectateur contre son siège.
4.
Le Hobbit : un voyage inattendu, Peter Jackson :
Le retour de l'aventure, la vraie. Après une errance aussi futile qu'acharnée qui fera finalement tomber le projet entre les mains d'un Jackson tout désigné, Le Hobbit finit par se décliner, à la surprise générale, en une nouvelle trilogie. Qu'à cela ne tienne : le plaisir de se replonger chaque Noël dans l'univers de Tolkien ravive avec splendeur l'émotion de la trilogie originelle. Jackson allonge certes, allège le ton aussi (plus de second degré et de décontraction), mais ne perd par l'importance des enjeux (pourtant moindre que ceux de la quête de l'anneau). Quant à la structure, elle a beau être calquée sur celle de
La Communauté de l'Anneau, le plaisir reste là et le plongeon en terre du milieu toujours aussi vivifiant.
5.
Millenium : l'homme qui n'aimait pas les femmes, David Fincher :
Et voilà que Fincher adapte le pavé de Stieg Larsson en joignant l'utile à l'agréable : prolonger une fois de plus une de ces trames fétiches, à savoir la traque entre détective et serial killer. Immersion cradingue avec
Seven, épopée fleuve pour
Zodiac : ici, on ne tue plus au nom des sept péchés capitaux, mais en s'inspirant des versets de la Bible. Pas bien original ? Qu'importe : l'esthétique dépressive et tranchante comme une lame de rasoir se perd dans la psyché de son héroïne, incarnée par une divine Rooney Mara (qu'on espère revoir bientôt) : Fincher s'approprie sans complexe l'un des personnages les plus fascinants de la décennie, hackeuse goth surdouée qu'on croirait sorti d'un rape and revenge. Elle domine ce thriller neigeux à la fois beau et classique (du moins, quand elle n'est pas dans le champ), hanté par le son ténébreux de Trent Reznor. En nous envoyant plein les mirettes : le générique d'introduction (le plus beau de 2012) et le trailer sauvage nous rappellent quant à eux le formidable passé de clippeur de Fincher.
6.
Holy Motors, Leos Carax :
Issu d'un cinéma à la fois visuel, mystérieux et un brin prétentieux, Carax fait sa place à Cannes en signant son oeuvre, non seulement la plus intéressante, mais aussi la plus folle. Faisant de Paris une toile vacillante et sublime,
Holy Motors nous bouscule dans le quotidien d'un acteur imaginaire, passant de vie en vie dans un dédale de genres (expérimentation virtuelle, drame intimiste, film musical, horreur débridée, polar sanglant...) et de décors, laissant derrière lui un catalogue de souvenirs et de destins imaginaires. En résultat une oeuvre à la fois poétique, insensée et mélancolique nous renvoyant aux spectres de notre vie, aux spectres du cinéma et aux spectres de la nuit.
7.
Guilty of Romance, Sono Sion :
Malgré sa distribution timide, il était criminel de passer à côté du nouvel enfant terrible du cinéma japonais, exerçant depuis des années un cinéma aussi provoquant qu'excessif, démembrant sans sourciller la société japonaise . C'est l'image de la femme qui en prend un coup ici, le tout sous les projecteurs de la Nikkatsu, dont les romans-pornos avaient retravaillé de fond en comble le rapport hommes/femmes dans ses replis les plus fous. L'histoire d'une belle de jour devenant belle de nuit, quittant son cocon pour devenir un papillon de la débauche dans les quartiers chauds de Tokyo, épaulée par une créature aussi maléfique que vénéneuse. Comblé de références littéraires, Guilty of Romance se pose en fable baroque et décadente, quelque part entre Zulawski, Bataille et Argento. Toute la beauté de l'interdit est là.
=> Ma Chronique du film ICI 8.
Touristes exæquo
Kill List, Ben Wheatley :
Trimballé de festivals en festivals, il fallait bien que le cinéma tout beau tout neuf de Ben Wheatley arrive jusqu'à nous. Le bonhomme s'impose ni plus ni moins comme le nouveau fils prodigue du cinéma de genre anglais, dosant savoureusement le tragi-comique et l'horreur, comme dans un cauchemar de Ken Loach.
Touristes aurait pu être seulement une comédie grasse et
Kill List un polar hard-boiled : chacun à sa manière, annihile la manière dont le spectateur peut prévoir la suite, et ne juge jamais ses personnages (tueurs à gages ou couple de beaufs). Dans une Angleterre encore traversée par un paganisme sauvage, Wheatley ne fait pas dans la demi-mesure et on l'aime pour ça. Labyrinthe infernal,
Kill List se mute progressivement en cousin de sang de
Wicker Man alors que
Touristes prend la forme d'un poème d'amour dégénéré. Dans les deux cas, on est renversé.
9.
La Cabane dans les bois, Drew Goddard :
OVNI longtemps endormi dans les tiroirs des studios,
La Cabane dans les bois n'en ressort que plus majestueux, prolongeant les thèmes irrésistibles d'un
Tucker & Dale sorti également cette année. Allié à la fibre déchaînée de Joss Whedon, Goddard se permet d'aller plus loin que la simple parodie : en appliquant un scénario de slasher sous influence
Evil Dead (et du
Truman Show !), les clichés abordés deviennent des outils à part entière, débouchant sur une intrigue dont la logique s'apparente à celle d'un rubik cube. Difficile d'en dire plus tant le résultat est inventif, furieusement jouissif et jusqu'au boutiste dans son concept (la dernière partie est devenue déjà culte). Un vrai plaisir.
10. Symbol, Hitoshi Matsumoto (DTV) :
Nouveau chantre du cinéma nippon WTF, Matsumoto voit ses trois oeuvres folles balancés en DTV dans notre bel hexagone. A prévoir peut-être ? Peut-être, tant l'univers de Matsumoto se joue des conventions et applique délire de sale gosse et envolées surréalistes dans un climat de manga pas fini.
Symbol en est le specimen le plus fascinant : comment lier en effet une variation comique de
Cube où un quidam au look improbable appuie sur des sexes de chérubin (??!), alors que quelque part au Mexique, un catcheur reprend du service ! Débile sans doute, mais pas autant qu'on ne le croît :
Symbol est surtout drôle, inédit, ludique et ressemble à un rêve fou, le genre dont l'absurdité nous fait rire autant qu'il nous inquiète.
11.
Main dans Main, Valerie Donzelli :
Sur un sujet bien plus léger que le très remarqué
La guerre est déclarée, Donzelli fait forcément moins parler d'elle. Pourtant, on peut se régaler de cette romance pop et fantaisiste, arrosée d'OMD et d'Elli & Jacno, liant deux êtres que (presque) tout sépare On le sait, ils s'aimeront à la dernière image, mais cela n'empêche un plaisir immense (animé aussi bien par les situations cocasses de l'argument fantastique, obligeant les deux personnages principaux à ne plus se quitter physiquement, qu'aux seconds rôles) et une vraie énergie irriguant le film de bout en bout. Elle était là la délicieuse comédie française de l'année, délaissée de son soucis d'aligner les vedettes (suivez mon regard) et ou de s'américaniser à tout prix.
12.
The Incident, Alexandre Courtes (DTV) :
Clippeur de haute volée, Courtes fut le brillant éclair du cinéma de genre français de l'année, direct to video ou pas. Parti tourné son petit film au Canada, il gorge cette nuit d'horreur au fond d'un asile d'aliénés d'une maîtrise héritée toute spécialement de Romero et Carpenter. Il en mémorise les mises en place possédées par la menace et la rigueur visuelle. Bien plus cruel et violent que les deux noms cités (ça fait mal, très mal même), il vient à faire resurgir notre peur de la folie, ou plutôt de celle des fous, dont le mélange de curiosité malsaine, d'illogisme trouble et de névroses ultra-violentes explosent ici dans des séquences tétanisantes.