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Channel: Mais Ne Nous Délivrez Pas Du Mal
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Halloween III : Le Sang du Sorcier (1983) Tommy Lee Wallace : The Last Night

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Doux début des eighties : comment donner suite à Halloween sans faire revivre pour la énième fois son boogeyman, tout en se démarquant de la production de l'époque, qui imite ad eternam la formule du film de John Carpenter ? C'est la question que devait se poser le réalisateur et sa collaboratrice Debra Hill, qui avaient déjà du tirer sur la corde via une séquelle très honorable, et qui avait eu au moins le chic d'offrir une continué directe (et pas poussive) avec le premier opus. Mais Michael Myers finit par rester là où il est : dans sa tombe.
Carpenter & Hill décident alors de poursuivre l'aventure en offrant des histoires indépendantes : concept séduisant mais casse-gueule qui n'aura nullement les faveurs du public : Halloween 4 reviendra au fondamental mais sans ses créateurs ; une absence qui fera dériver définitivement une saga qui se suffisait amplement à elle-même.


Flip-Flop donc pour ce troisième opus, mal aimé et vaguement reconnu par les amateurs bien des années plus tard : le faux nanar cache très promptement un grand film. Lançant son poulain Tommy Lee Wallace (dont ce sera le meilleur film, et de loin) aux commandes, Carpenter reste près de ce dérivé, très près : les cadres spacieux mais oppressants, l'atmosphère mi planante mi menaçante, et la sublime musique synthé (qui ne reprend pas, pour une fois, le thème légendaire de la saga) attestent de sa signature, tout comme sur le second opus (dont il tourna d'ailleurs quelques scènes). Et hormis un caméo vocal de Jamie Lee Curtis et un extrait d'Halloween diffusé ironiquement à la télé, les rapport avec Laurie et son croque-mitaine s'arrêtent là.


L'idée brillante de Carpenter fut de s'éloigner du slasher pour toucher à un fantastique paranoïaque en diable, glissant ça et là des clins d'oeils à L'invasion des profanateurs de sépultures. Embrigadé dans une enquête farfelue et inquiétante, un médecin découvre l'existence d'une petite ville sous la coupe d'un fabricant de masques aux desseins alarmants. Et les curieux tombent, inévitablement, comme des mouches...

Halloween 3 est une oeuvre peu commune, déjà à son époque, friande de détails étranges et faisant preuve d'une cruauté absolument hallucinante : celle-ci ne réside pas tant dans l'ultra-violence de ses mises à morts (un visage rétamé par un laser, une tête arrachée à mains nues...) mais dans la noirceur (voire la méchanceté) de son propos, qui n'épargne ni la société de consommation (merchandising et télé au service d'un complot mortel), ni les enfants !



Wallace et Carpenter vont au bout de leur démarche, en plaçant la fête d'Halloween non plus comme une simple toile de fond, mais comme la clef même du récit, remontant aux origines de cette célébration, convoquant les restes du Samain avec son imagerie celtique. Un cas rare dans le cinéma, trouvant ici une évocation rêvée dans un dernier tiers diabolique.

HAPPY HAPPY HALLOWEEN HALLOWEEN HALLOWEEN , HAPPY HAPPY HALLOWEEN SILVER SHAMROCK !



Frankenweenie (2012) Tim Burton : He's Alive ?

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 Faut-il attendre encore quelque chose de Tim Burton ? C'est la question (houleuse et largement sujette à polémique) qui se pose depuis quelques années, et plus particulièrement cette année, année burtonienne s'il on peut dire. Une année qui confirmait que la bizarrerie de l'auteur s'était normalisée (ou standardisée) et ne pouvait offrir que des restes peu engageants. On se souvient même encore d'un Sweeney Todd, il est vrai impressionnant, qui sonnait comme une sorte de rappel forcé en déversant ses litres d'hémoglobine, de chants (faux) et de gothisme urbain. Le constat est mitigé : même lorsque Burton veut faire du Burton, on y croit plus vraiment...et lui non plus.

Du coup, l'annonce d'un projet comme Frankenweenie appuyait cette absence de surprise dans sa carrière actuelle et son envie de mettre tout cela en mode automatique : sauf que là où Alice au pays des merveilles brillait par son inutilité, Dark Shadows se révélait horrifiant. Traînant une expérience solo dans le domaine de l'animation assez tiède, en l'honneur des Noces Funèbres, Burton retourne fouiller dans son passé pour regonfler un court tourné sous Disney en 1984, fantaisie funèbre et parodie canine du Frankenstein de Whale que le studio ne vit pas d'un très bon oeil à l'époque. En cela, peut-on voir Alice comme un moyen de parvenir à une vengeance toute préparée, à savoir faire revenir le studio sur un projet risqué et faire comme si rien n'était ? On se le demande...


De la même manière que Burton semblait scander sa "non-mort" dans Sweeney Todd en plaçant sur le devant de la scène un renégat revenu mettre les pendules à l'heure, Frankenweenie se place symboliquement en mode résurrection : Burton ressuscite un chien, mais cherche surtout à se ressusciter lui-même.

On revient donc vers un produit grand public assez tordu, avec des références appropriées à un public d'un autre temps, voire d'un autre monde : avec un plaisir non dissimulé, Burton y étale ses obsessions et l'univers qui l'a inspiré, jusqu'à faire de Victor Frankenstein une autre part tout à fait évidente de lui-même. Ce petit Victor qui, comme dans l'original, est un enfant solitaire, incompris, au milieu d'un univers douillet que le noir et blanc aseptise et glace jusqu'à la nausée (là où la banlieue d'Edward aux mais d'argent tendait vers le kitch surdosé). En somme, Frankenweenie expose de manière claire et précise les éternels codes Burtonnien.


Frankenweenie n'est donc pas une nouvelle étape pour l'auteur, mais un retour en arrière (il suffit de voir le casting vocal qui appelle davantage à la première partie de sa filmo) : Burton ne nous apprend rien de nouveau, et il s'en fiche.

Mais cela fait-il de Frankenweenie une oeuvre insipide et prévisible ? Étonnement...non. Car à l'inverse de ses oeuvres précédentes, on sent que Burton y met du coeur (on le soupçonnerait presque d'avoir laissé en plan Dark Shadows pour se pencher sur ce film là), et cela se sent dès les premières minutes : en dehors de la beauté plastique évidente, les personnages se révèlent attachants et bien croqués, opérant même des contrastes évidents avec le court "live". Burton en reprend des scènes bien évidemment, mais a su se confronter à l'exercice de la redite : nouveaux personnages, nouvelles scènes, nouvelles pistes scénaristiques ; Frankenweenie n'a donc rien de l'exercice paresseux qu'on pouvait craindre. Même Elfman, devenu aussi laborieux que son camarade, se lève de son cercueil pour un bien joli score.


Cependant, Burton ne va pas chercher midi à quatorze heure, se balançant entre l'auto-citation (un dérivé de Lydia de Beetlejuice doublée par Winona Ryder, présence de la Staring Girl tirée d'une des histoires de sa Triste fin de l'enfant huître) et des références en grand nombre (des renvois au Kaiju Eiga, à Gremlins, Vincent Price...et même la 3D est un clin d'oeil plus qu'évident à celle de L'étrange créature du lac noir), mais il le fait bien (voir le dernier tiers franchement joussif). Et ça, ça manquait un peu...

L'heure du bilan pour Tim Burton, un dossier à (re)voir ICI

Carrie au bal du diable (1976) Brian DePalma : Bienvenue dans l'âge ingrat

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 À un âge où le cinéma fantastique avait encore mille choses à dire, Carrie clouait sans répit la carrière d'un Stephen King naissant au septième art, qui forgera son succès et sa reconnaissance : les quelques pages écrites alors par l'écrivain du Maine, vouées à la poubelle, deviendront non seulement son premier roman, mais aussi sa première adaptation. Coup de folie, coup de chance, Carrie tombera entre les mains expertes d'un DePalma à peine sorti d'un Phantom of the Paradiseéblouissant : il fallait bien un auteur obsédé par la stylisation et la manipulation de l'image pour tirer toute la substance d'un roman intriguant et original, mais dont la construction chaotique s'opérait bien trop au coup par coup.

Pêchant ses futures stars dans un casting qui se mêlait à celui d'un certain Star Wars tourné au même moment, DePalma chance radicalement d'ambiance vis à vis de son monstrueux film précédent et replonge dans le bain des obsessions hitchcockiennes (du lycée répondant au doux nom de Bates, en passant par la scène de la douche et les violons stridents où plane le fantôme d'un Bernard Hermann prévu mais tout juste décédé). Ce qu'il ne délaisse pas, c'est sa soif d'expérimentations et sa virtuosité baroque, hérités de son maître à penser. Et en grand voyeur, il rase dès son générique les casiers d'un vestiaire de filles embué, soulevant la curiosité érotique du pervers sommeillant en lui ; au bout du travelling, dans un alcôve de fumée, dans l'ombre de la découverte et en marge du monde, il y a Carrie. Carrie la mal-aimée, la conspuée, la distraite, la retirée, en plein éveil des sens...et bientôt éveil de l'horreur.


Par la grâce et l'audace qu'il insuffle dès les premières images, on comprends dès lors que DePalma s'est approprié avec un brio incroyable le livre de King, sans aller jusqu'à la trahison (à contrario de Kubrick quelques années plus tard). Bien sûr, la progression elliptique est évitée, mais l'émotion transparaît et s'imprime davantage. Elle va même plus loin que chez King, souvent détaché face à l'action.

Avant l'arrivée des teen movie grivois, Carrie s'imposait déjà en référence dans le genre, puisque minimisant d'abord ses aspects fantastiques pour mettre en lumière un subtil jeu de dominos où se bouscule une futur martyr, une repentie, un prince charmant et une garce démoniaque (Nancy Allen dans son rôle le plus vache). Au delà du réveil telekinesique, cette fable sur l'âge ingrat et sa Cendrillon d'hémoglobine dessine brillamment la transformation de son héroïne avec un mélange de tendresse et de cruauté toujours aussi vibrant.


Avant la tragédie surnaturelle, DePalma télescope donc superbement le devenir femme mais aussi de manière toute aussi audacieuse le fanatisme religieux, dans des séquences mettant en scène une Piper Laurie transfigurée et mémorable (mais l'a t-on vu mieux ailleurs ?). Le tout à la lueur des bougies, dans un climat pesant, presque gothique, transpirant la fièvre chrétienne : à un matricide tiède servi par le livre d'origine, DePalma lui préfère la démesure et l'emphase, voire la poésie tordue ; on hallucine, 36 ans plus tard, de voir encore la démente Margaret White devenir à tout jamais une martyr improvisée dans un râle proche de l'orgasme, que la caméra de DePalma immortalise en icône religieuse.

Contraste du merveilleux et de l'horreur (Carrie côtoie le Paradis et l'Enfer en l'espace de quelques minutes), maîtrise saisissante du ralenti et du suspens étirant le temps pour souligner toute la gravité d'un seul geste (une corde qu'on tire), déstructuration de l'objectif (les projections mentales de Carrie) et du cadre même (le très fameux splitt screen) : DePalma aime les apothéoses (même si le budget lui forcera à enlever un pan de cette apocalypse, puisque Carrie devait à l'origine laisser une partie de la ville à feu et à sang), tant techniques qu'émotionnelles, et Carrie semblait un cobaye parfait pour ces élans passionnels. Et si le spectaculaire donne à DePalma l'occasion de livrer une vraie leçon de cinéma, côté intime, les adagios de Pino Donaggio réussissent à souligner ce mélange de beauté et de tristesse abyssale qui agite le destin de la pauvre Carrie.


Les amis de Carrie :

Copies, suites, remakes, tout ce qu'il faut voir et surtout...éviter !


* Jennifer - Horrible Carnage (1978) Brice Mack : Le premier rip-off direct de Carrie, calquant sans subtilité aucune tout son schéma scénaristique sur le film de DePalma : une pauvrette rejetée, des humiliations, un papa un peu dingo et des pouvoirs qui n'attendent que de se révéler. Ennuyeux à mourir, Jennifer attend (comme il se doit) son dernier acte pour libérer les forces qu'enfouissaient son héroïne toute molle : et voilà quelques serpents (dont un très très gros en caoutchouc) se tortiller sur des figurants cabotins, le tout sous des lumières discos imitant pitoyablement le final de son modèle. La même année, Piper Laurie s'autorise d'ailleurs un écart de route tout aussi discutable avec Ruby, en réalité une pâle copie de L'exorciste où elle incarne la propriétaire d'un drive-in assistant à l'envoutement de sa propre fille : pas besoin de faire un dessin, c'est hélas tout aussi nul que ce Jennifer...


Messe Noire (1981) Eric Weston : C'est sans doute à ce jour le meilleur Carrie-like et surtout le plus pertinent, puisqu'il en est son versant masculin. Tout comme l'héroïne de King, un garçonnet porcin subit les brimades de ses camarades dans une école militaire pourrie jusqu'à la moelle. L'approche est plus rentre-dedans, moins fine (plus bis dira t-on), se permettant une cruauté presque complaisante, mais aussi une vengeance satanique encore plus retorse. Bien que privé de pouvoirs surnaturels, le jeune Stanley pourra en acquérir en pactisant avec l'âme d'un moine maléfique par le biais...d'un ordinateur ! Partouzant avec le climat lourd et satanique de La Malédiction (dont il pique le score caverneux), les derniers instants se vautrent dans une débauche d'effets gores hautement réjouissants, déchainant les enfers en allant plus loin encore que DePalma dans la violence légitime et sanguinaire. Fou fou fou...


Prom Night 2 : Hello Mary-Lou (1987) : Voilà un rip-Off eighties très sympathique, qui décide volontairement d'oublier un premier opus très faiblard (connu chez nous sous le titre du Bal de l'horreur) qui reprenait quant à lui les décors et l'atmosphère du film de DePalma pour les plaquer sur une intrigue de slasher à la Halloween (avec encore Jamie Lee Curtis !). Ici, le fantôme d'une reine de prom s'en vient posséder une jeune fille bien sous rapport, qui va très vite se laisser aller à des débordements pervers et meurtriers de bon aloi ! Si le ton général et les effets horrifiques très appuyés (dont un meurtre mémorable dans des vestiaires propices aux attouchements saphiques) surfent volontairement sur la vague des Freddy et ne cherchent résolument pas à bouleverser le genre, le résultat tient bon. Un troisième volet, largement inférieur, fera revenir la terrible Mary Lou avant que la saga ne revienne au slasher.


Aenigma (1987) Lucio Fulci : Avatar tardif, ce Aenigma n'exhale pas un parfum dès plus plaisant : il signe déjà l'hécatombe de la carrière de Fulci, affaiblie et peu regardant, et la médiocrité galopante du bis italien, qui alignait à la même époque les pires produits imaginables. Sans surprise, ce Fulci se situe dans cette bien triste catégorie, recyclant une nouvelle fois le thème de la vengeance du faible, ici organisée par une ado plongée dans le coma après un accident plus ou moins causée par ses camarades. Manifestement au bout de ses forces (ce qui ne s'arrangera guère avec les films suivants), Fulci lorgne étrangement du côté d'Argento (éclairages tarabiscotés et beaux-arts sanguinolents) tout en tentant vainement de faire de l'oeil aux amateurs (store tueur, chute de mannequin en mousse et une attaque d'escargots aussi débile que gerbante). Peu recommandable hélas.


Carrie 2, la haine (1999) : On se demande quel était l'intérêt de ressusciter une franchise pareille en plein boom du neo-slasher, et avec en plus une habituée de zéderies coquines aux commandes ? Peut-être pour l'aspect teen movie sans doute, fort pénible au regard de cette série b tout de même distribuée au cinéma. Le canevas s'applique donc à nouveau pour la douce Rachel, moins freaky que sa demi-soeur Carrie, mais qui aura toutes ses raisons pour faire toute péter dans le dernier tiers. C'est d'ailleurs ce jeu de massacre final, assez cracra et fun, qui finira par faire passer vaguement la pilule. Mais ça reste bien maigre...


Carrie (2002) : Téléfilm réalisé en catimini pour le compte de la MGM, ce Carrie déjà oublié tentait de se rapprocher davantage du roman plutôt que d'imiter Saint DePalma. Bonne idée, sauf que le résultat est une ignominie sans nom, éclairée et filmée comme un bon Z des familles (coucou les CGI réalisés sur Amstrad CPC). Aucun intérêt donc, si ce n'est que l'original ne s'en retrouvera que plus glorifié. Même Patricia Clarkson déçoit, plus rêche qu'hystérique en Mama White trop pieuse. Seule survivante de ce massacre (on a même droit à un happy-end !!), Angela Bettis fait de son mieux dans le rôle titre : la même année, sa consécration dans May (le vrai Carrie 2 ??) fera oublier ce triste film.

Le Roi & l'Oiseau (1979) Paul Grimault : Être libre

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L'âne, le roi, et moi, nous serons morts demain.
L'âne de faim,
le roi d'ennui,
et moi d'amour, au mois de mai...
La vie est une cerise, la mort est un noyau, l'amour, un cerisier
On ne va pas se mentir, Paul Grimault manque terriblement au cinéma d'animation français...peut-être même au cinéma français tout court. A la manière de René Laloux, Grimault mitonnait ses chefs d’œuvres dans son coin, loin de lui l'idée de concurrencer la toute puissance Disney. Tout y est tel que l'on ne pense même pas l'ombre d'un instant au géant américain, que ce soit en terme de graphisme, d'espace, de mentalité, d'atmosphère, d'esprit...

Le cinéma d'animation français est devenu plus vif qu'auparavant certes, mais aussi moins intéressant : Grimault était la succession trop tardive du génial Starewitch, hélas caché derrière ce que le dessin animé hexagonal s'est toujours réfugié les trois quarts du temps : l'adaptation BD. Aujourd'hui, l'on vogue entre ces mêmes transfuges de papiers, les essais poétiques (d'où émergent Ocelot et Chomet) et tentatives d'américanisations. Et tout cela est un poil ronflant...

Il faudrait en effet un miracle pour retrouver la magie de l'association entre Prévert et Grimault, ressuscitant un premier jet désavoué (le maintenant perdu La bergère et le ramoneur) datant des années 50. Et ces deux là avaient déjà fait des étincelles sur Le petit soldat, romance de joujoux presque lugubre d'une beauté exemplaire, rappelant par ailleurs le conte d'Andersen à la source du Roi et L'oiseau (La bergère et le ramoneur donc). Reprenant très librement les deux personnages du conte, Grimault dessine autour un univers à part entière, allant jusqu'à placer l'amourette des deux tourtereaux en second plan.


Un poète des mots, un poète des images : il n'en faut pas plus pour voir l'essai du Petit Soldat (où un despote y séparait déjà deux jeunes amants) se transformer et devenir une oeuvre toujours plus belle et ambitieuse. Ce qui frappe, trois décennies plus tard, c'est la place que Grimault accorde aux décors, et à la minutie cocasse et déroutante offerte aux bruitages et aux environnements, à la fois irréels et immersifs. 

Le palais du Roi est ainsi une construction insensée, une cité éblouissante mais aussi vide qu'une coquille, où ne fait que résonner bruits de pas et machinerie d'un autre temps. Comme si Versailles s'accouplait à Metropolis, comme si le rêve succédait au cauchemar en quelques marches : on pense tantôt à Magritte (les gardes et leur chapeau melon ne faisant que conforter la comparaison), tantôt à Escher et Chirico ou encore aux peintures biscornues de l'expressionnisme allemand (tout le décor de la ville basse). Une esthétique à la fois chatoyante et angoissante, à l'intemporalité toujours fascinante : la preuve en est puisqu'elle donnera tant d'inspirations pour Hayao Miyasaki pour son Château dans le ciel et à Brad Bird pour son Géant de Fer


Grimault exploite magnifiquement son décorum, qu'on devine le fruit d'un travail fou ; quant à son histoire, il en fustige le manichéisme mécanique par l'ironie (le Roi, une sorte d'Hitler de contes de fées, est tourné constamment en dérision), qui dessert la cruauté ambiante (le gimmick des trappes mortelles) et sublime d'autant plus les percées poétiques (la bergère et le ramoneur découvrant les étoiles pour la première fois). L'air de rien, Grimault apporte un équilibre parfait à une histoire laborieuse de prime à bord. Et même au delà de la soif de liberté que le film évoque, il ne se pose jamais en donneur de leçons pédant.
Les gesticulations irrésistibles de l'Oiseau (que Grimault souhait comme une sorte de Pierre Brasseur de plumes) limite la froideur dont le film pourrait être victime : et c'est sans compter sur le lyrisme presque indécent du score de Wojcek Kilar, à la préciosité tantôt sautillante, tantôt mélancolique. Tout comme le film qu'il illustre, c'est un enchantement qu'on souhaiterait éternel.

                                   

Nightbreed : The Cabal Cut (1990) Clive Barker : Lune Rouge

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La rencontre entre l'imagination fertile et déviante d'un auteur tel que Barker et le chemin des studios ne pouvait hélas qu'aboutir à des effusions de sang et de pellicule : un sort auquel avait échappé un Hellraiser miraculeux, où l'écrivain avait fait fi de toutes concessions par rapport à l'oeuvre originelle. Une aubaine auquel Cabal, encore plus ambitieux et fou, ne pouvait échapper. Rappelons qu'à l'époque, soit la fin des 80's, Barker abandonnait ses nouvelles, les Livres de Sang, pour des oeuvres infiniment plus riches, ouvertes sur des horizons rarement exploités jusqu'ici, et qui creuseront joyeusement le fossé avec son camarade et concurrent Stephen King : créatures fantastiques et immortelles, royaumes lointains, univers parallèles ; surprenant mariage du stupre et du beau, de l'innommable et du magique. Pour passer par la case cinéma, inutile de dire que l'aide de producteurs généreux et vénaux est malheureusement requise...


Le roman Cabale tombe alors entre les mains de la Fox et de Morgan Creek : malgré les menaces pesant sur lui, Barker restitue la force épique et fantasmagorique de l'odyssée de Boone, garçon paumé devenant Cabal après avoir été tué par les forces de police. Trompé par un psychiatre assassin, il rejoint les tribus de la lune de Midian, un ordre de monstres chassés du monde des humains vivant dans les souterrains d'un cimetière reculé. Mais sa bien aimée Lori et d'autres âmes plus malintentionnées, comptent bien découvrir ce qui se cache là dessous. Deux décennies plus tard, Nightbreed sonne encore comme une fable démente, dont l'originalité n'empêchait pas des liens étroits avec un cinéma fantastique plus classique.
 - This is too weird.
- To be able to fly ? To be smoke? Or a wolf ? To know the night and live in it forever. That's not so bad. You call us monsters, but when you dream, you dream of flying, and changing, and living without death. You envy us and what you envy...
- ...We destroy.
 La générosité et les ambitions de Barker seront hélas vite stoppées par les producteurs, décontenancés par ce plaidoyer de monstres brassant follement les genres (slasher, comédie, action, romance, horreur, fantasy...) : le film repasse sur la table de montage, apparemment jugé trop violent et trop emphatique envers les humanoïdes de Midian. Dans certaines interviews de l'époque, Barker souligne l'acharnement envers son bestiaire : à l'arrivée, l'on passe d'un film avoisinant les 3h à un film d'1h40, dont la promo (dont les affiches françaises et américains ne reflètent en rien le produit) mettra curieusement en avant le personnage de Decker, le psy/psychopathe incarné par...David Cronenberg ! Inutile de dire que de la part de Barker, un tel choix révèle d'une somptueuse (et intentionnelle) ironie.


Jugé maudit, Cabal n'en reste pas moins une aventure pleine de bruit et de fureur, dont le lyrisme (rehaussé par le score majestueux et incantatoire de Danny Elfman) et la personnalité ardente dénotent très violemment avec le cinéma d'horreur de l'époque, alors en désuétude. Plus que son point d'orgue spectaculaire où humains et monstres s'affrontent dans un cimetière en feu, la traversée de Midian par Lori croise les errances de Cocteau (est-ce un hasard si la partie extérieure de la cité ressemble aux jardins de la Bête ?) et celle de Fellini (avec des citations assez claires de l'atmosphère triviale, étouffante et mystérieuse de Satyricon) en superposant de sublimes horreurs plan après plan, visite guidée autant pour son héroïne que le spectateur. Son charme malsain envoûte encore, vision après vision...


On aurait pu apprivoiser ces "restes" déjà satisfaisants or, coup de théâtre, des copies jugées perdues du director's cut sont retrouvées par un proche de Barker, Mark Miller, qui dirige la société Seraphim Films. Malgré le désintérêt total de Morgan Creek et de la Fox pour remonter l'objet (sous le pretexte fallacieux que personne ne veut voir "ça"), Miller se lance dans une reconstruction du film en se basant tout particulièrement sur le livre d'origine, et en recevant bien entendu l'aval de Barker. Cette copie, trimballée de festivals en festivals (dont justement le Paris Fantastic Festival qui est donc aller chercher Miller et son travail) dans l'espoir d'arriver à la remasterisation du film, est évidemment un work-in-progress très "bricolé", alternant le dvd édité aux states et des images inédites issues des vhs (et donc forcément en mauvais état). Du Fan-Made courageux en quelque sorte.

Si l'on délaisse l'aspect technique, on reste tout de même très partagé vis à vis du résultat final : beaucoup de scènes figurent déjà dans le film qu'on a toujours connu, n'ayant qu'un ou deux plans de différences, et beaucoup se révèlent être des longueurs (l'arrivée de la police après le premier meurtre de Decker, le départ des Fils de la liberté...). Mauvaise surprise également, l'incroyable scène du flashback comptant le passé tragique des monstres est certes plus longue, mais aussi plus lente et, plus surprenant, moins violente ! Et même l'étrange intimité dont profite Peloquin (le diable sardonique) et Shuna Sassi (la femme porc-epic) que dévoilait quelques photos de production semble encore tapie dans l'ombre.


Le propos du film est intact et se voit appuyé de plus belle, avec une insistance émouvante sur le génocide des monstres (l'aspect qui déplu tant au studio) bien qu'il s'avérait déjà présent dans le remontage des producteurs. Les ajouts les plus bénéfiques, et les plus surprenants, concernent le personnage de Lori, qui prend chair davantage dans le remontage des producteurs (de même que Barker retrouve ces réflexes d'homo-érotisation vis à vis du personnage de Boone) ; la petite Babette retrouve la parole (alors qu'elle restait muette, ce qui relevait sans aucun doute un souhait des producteurs pour ne pas trop l'humaniser), Decker affirme une schizophrénie latente (au détour de scènes assez ridicules où son masque prend la parole) et le personnage de Narcisse trouve une mort aussi violente qu'abrupte !
Quant à la conclusion, bâclée et outrée du producer's cut, elle retrouve sa force d'évocation : Cabal et Lori deviennent des amants pour l'éternité alors qu'Hashberry, le prêtre mutant défroqué, part dans une étrange croisade vengeresse. Il faut pourtant se faire une évidence : hormis cette fin reflétant pleinement les intentions de Barker, l'essentiel se trouvait déjà dans le remontage de la prod, moins long et plus vendeur.
Ce véritable chantier de director's cut (car il s'agit bel et bien d'une oeuvre encore en construction) vogue entre confirmation, déception, et excitation. En somme, il faudra être patient pour le découvrir enfin dans de bonnes conditions, mais calmer aussi certaines ardeurs...

Pour tout savoir sur Barker et son cinéma, c'est par ICI , et pour en savoir davantage sur le travail de Mark Miller, et surtout pour signer la pétition visant à sauver le précieux director's cut :


Appel D'urgence (1988) Steve de Jarnatt : Voyage au bout de la nuit

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Ce que ces dernières années nous ont appris au cinéma, c'est que l'apocalypse pouvait enfin se passer de gros sous et de scènes de destruction massive pour se parer d'une intimité parfois plus sensible, et souvent plus brûlante encore. Sans compter que la mode est aux virus, éloignant à présent le spectre du nucléaire, amplifiant la peur de l'autre et la dégénérescence physique...

À une période où une certaine bombe faisait encore frémir, Miracle Mile s'extirpe - non sans risque - d'un schéma pré-construit comme pouvait en témoigner les trois grandes fresques post-nuke des 80's, à savoir The day after, Testament et Threads. Plutôt que de taper dans le film choral morbide (où le but était de se focaliser sur des destins renversés par l'apocalypse), Miracle Mile unit deux coeurs battant au mauvais endroit et au mauvais moment. Le ton, plus aérien que tragique, ne ressemble alors à rien de connu.


Appel d'urgence est le chant de la fin d'une civilisation : par malice, les premières images prennent place dans un musée d'histoire naturelle, où deux silhouettes se frôlent au milieu des fossiles, remontant le cours de la création alors que les synthés de Tangerine Dream étincellent. Harry et Julie, comme tant de personnes avant eux, et comme tant de protagonistes de comédie romantique, ont un authentique coup de foudre. Miracle Mile creuse d'ores et déjà sa singularité : atmosphère à la fois alerte et planante, casting anti-glamour...

Suite à un effet papillon malencontreux (provoqué par une simple cigarette !), Harry se réveille trop tard et zappe son rendez-vous avec sa conquête : arrivant tant bien que mal sur les lieux, il reçoit un appel déstabilisant dans la cabine téléphonique qu'il occupe ; un homme annonce l'arrivée de missiles nucléaires sur L.A dans soixante dix minutes. Mauvaise farce ou vérité explosive ? Paniqué, Harry avertit quelques noctambules bigarrés arrachés à une peinture de Hooper, et la tension monte...
Voilà notre héros paumé au beau milieu de la nuit, dans un L.A désert qui en redeviendra sans doute un dans une heure et des poussières. Au risque de nager dans les cendres, le jeune homme part retrouver sa belle.



On ne sait pas si l'idée était de décliner une oeuvre proche de After Hours, une autre ballade nocturne qui se reposait sur une série de personnages décalés, mais on pense rarement au cauchemar fiévreux de Scorcese : à vrai dire, on ne pense à rien d'autre. Steve de Jarnatt nous confronte à un rêve nébuleux, ne manquant ni d'humour, ni de violence, ni de perspicacité (des personnages homos intégrés naturellement au récit). Si son Cherry 2000 - néanmoins sympathique - était un post-nuke qui ne cassait pas des briques, Miracle Mile fut un éclair de génie dans la carrière de son réalisateur, dont ce sera hélas le dernier film. Même son budget de série b ne diminue absolument pas les images plus obsédantes (une horloge tournant inlassablement dans la nuit, les rues vides de L.A, un palmier en flamme...) de cette amourette au bord du gouffre.

"You and me Harry...Diamonds..."


3615 Code Père Noël (1989) Rene Manzor : Le Père Noël est (vraiment) une ordure

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"Tous les enfants croient au magique, et ils ne cessent de le faire qu'en grandissant, à l'exception de ceux qui ont été trop déçus par la réalité pour en attendre des récompenses" 
 Bruno Bettlheim
 
C'est sur cette phrase que s'ouvre 3615 père Noël, avant de faire une transition avec un snowglobe écrasé par un camion poubelle : nul doute qu'il s'agira d'un conte sur la désillusion, et plus particulièrement celle liée au mythe du Santa Claus. Malgré le fait que son nom n'inspire que des titres franchement alarmants dans le cinéma de genre hexagonal (Le Passage et Un amour de sorcière, dur dur...), Rene Manzor est bel et bien allé au bout d'une démarche aussi audacieuse que risquée en démantelant la féerie du bon vieux barbu distributeur de cadeaux. Excepté que les intentions s'éloignent du slasher, qui avait déjà écorché le sujet avec Christmas Evil et Douce Nuit, Sanglante Nuit.

Le père Noël incarne une autre négativité. Bien avant les notions de Liberté, d'égalité et de fraternité, la société impose à l'enfant, via le père noël, la notion de mensonge. Le père Noël est un dieu crée de toutes pièces, véhiculant des valeurs malsaines, et destiné à être crucifié à une certaine date. Il représente le premier instrument de manipulation en même temps qu'un premier contact avec le merveilleux.
Rene Manzor
 Chose plus étonnante encore, Manzor brûle la priorité à Maman j'ai raté à l'avion en mettant déjà un petit garçon en situation hostile un soir de Noël, le forçant à faire appel à sa propre imagination et à sa malice pour sauver sa peau. Hors, si le film de Colombus jouait la carte de la rigolade sucrée, Manzor n'a aucunement envie de faire sourire son auditoire.
Né avec une cuillère d'argent dans la bouche, le petit Thomas vit sur une montagne de jouets au coeur d'un gigantesque château reculé, entouré de son attendrissante mère et d'un adorable grand-père. Petit prince de l'informatique (et du mulet), il espère encore surprendre le père noël lors de sa descente de cheminée annuelle. Mauvaise nouvelle : ce soir là, c'est une psychopathe qui descend du ciel distribuer des cadeaux par milliers...


L'idée de mettre en avant un gosse parfait galvanisé par la consommation (même sa mère travaille au Printemps et ne lui refuse rien !) n'a rien d'un hasard pour Manzor : il est la victime parfaite du 24 Décembre, le croyant indéboulonnable. Et la chute n'en sera que plus grande. 
Autant le face à face que le personnage de Thomas s'appliquent à se calquer sur le premier Rambo, crème du Survival : mais là où 3615 code père Noël frappe fort, c'est que jamais son petit héros n'est décrit comme un surhomme en culottes courtes, qu'on imagine déjà occire son boss de fin en adressant un clin d'oeil face caméra. Dès la première apparition du père noël (incarné par un de nos fameux doubleurs français, Patrick Floersheim), Thomas brille par sa fragilité et se trouve envahie par une terreur toute enfantine. La même qui lui fera d'ailleurs couler de bien nombreuses larmes : c'est dire si l'impression d'un cauchemar enfantin prenant subitement vie colle à la peau de cette course-poursuite, dont les décors gothiques et démesurés semblent être le fruit d'un chérubin fiévreux trop nourri à Grimm et Perrault.

Si les carences du budget s'affichent peu glorieusement aujourd'hui (l'utilisation très voyante de maquettes), la noirceur et la tristesse du métrage tiennent encore en joue. Manzor donne du punch à ce survival déguisé en conte dément, où il fait fusionner les merveilles et les terreurs de l'enfance.

                            

Maniac (2012) Frank Khalfoun : Quand on arrive en ville...

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On peut dire qu'on attendait ce Maniac au tournant...et pas forcément en bien. Les aprioris négatifs ont la dent dure et le projet en comptaient un certain nombre peu négligeable : tout d'abord, l'idée d'annihiler la force même du film d'origine, dont l'intérêt résidait avant tout dans sa texture crasse et son cadre new-yorkais, liés en grande partie à une époque maintenant révolue. Vient ensuite l'annonce de remplacer feu Joe Spinnel par Elijah Wood (soit opter pour son radical opposé) et l'évincement progressif d'Aja et de son comparse Gregory Levasseur pour Frank Khalfoun, à qui l'on devait un P2 : Deuxième sous-sol de bien sinistre mémoire.

C'est pourtant oublier qu'il n'était pas interdit ces derniers temps de se laisser surprendre par la flopée de remakes vomis inlassablement par Hollywood : en dehors du cas Aja, on citera volontiers L'armée des morts, Black Christmas, Halloween, Massacre à la tronçonneuse, La dernière maison sur la gauche ou Mother's Day ; certains d'entre eux allant jusqu'à détrôner le film original. Tous souffraient des mêmes préjugés que ce Maniac, et toutes leurs montures originales bénéficiait de cette saveur surannée, cet arrière goût dont aucun remake ne peut prétendre remplacer. Retenter, réécrire, redisposer, sauver : voilà où se trouvait leur bonne grâce. Et ce Maniac les rejoint sans hésitation...


Le trio Aja/Levasseur/Khalfoun a vite compris que l'intérêt n'était pas dans l'imitation (tous ont conscience de l'héritage trimballé, en témoigne quelques clins d'oeils discrets comme la reproduction de l'affiche de l'original lors d'un court plan ou l'utilisation de l'hallucinant morceau Goodbye Horses, la chanson préférée du Buffalo Bill du Silence des Agneaux) : certes nous retrouvons bien un serial killer amoureux entouré de ses scalps sanglants, qu'il fait revivre à travers des mannequins inanimés ne retrouvant chair que dans ses fantasmes interdits. Mais à la ballade crapoteuse de Lustig, encore hantée par les néons des rues malfamées, ce nouveau Maniac nous malmène en prenant à la lettre la recette du film de psycho-killer, entendre par là cette race de films préférant s'attarder sur les performances macabres de l'assassin que des mésaventures de ceux qui les traquent ; Maniac avait ouvert la voie vers d'autres grands films (Schizophrenia, Henry Portrait of a Serial Killer, Clean Shaven ou Schramm) mais aussi des rejetons en tous genres.
Les étrangleurs, les nécrophiles, les découpeurs, les écorcheurs, les collectionneurs : on avait tous eu, si ce n'est tout en même temps ! La nouvelle monture de Maniac n'étonne guère à l'écriture, et vise tout sur le visuel : d'où le choix de la vue subjective, prison du spectateur et prise d'otage mentale (tout comme l'était Schizophrenia, qui plongeait sans répit dans le cerveau de son psychopathe) rappelant d'ailleurs le clip de Smack my bitch Up.


Les surprises ne se situent donc plus au niveau de l'histoire, intacte, mais au niveau de son traitement sensitif : la poésie maladive et macabre du premier film, celle-là même qui traversait la superbe séquence où le Frank Zito de Lustig admirait les  mannequins de femmes à la nuit tombée, est ainsi réapprivoisée et même amplifiée (on s'approche encore plus du Giallo), tout en recréant impitoyablement le calvaire psychologique de ce tueur désespéré. 
La jeunesse vibrante de Wood (qui avait déjà joué un serial-killer dément dans Sin City), très éloignée de la carrure imposante et sale de Spinell, louche vers le Norman Bates des villes : il est la silhouette frêle, l'ami timide, le garçon qu'on ne voit pas. Mais aussi celui que les filles approchent. Pour l'ancien interprète de Frodon, le contre emploi est salutaire.


Les traumas initiales sont creusés (tout ce qui se trouve lié à la terreur maternelle et aux mannequins), affinés, mais les couleurs, les décors, tendent ailleurs. A défaut de retrouver le NY parfum poubelle, Aja et ses camarades plongent dans le centre dévasté et bigarré de L.A, atmosphère de cauchemar magique qui planait déjà parfois sur Drive. L.A, le diamant noir ici sublimé comme l'était, non pas le NY de Lustig, mais le NY d'Argento dans Inferno, où la grosse pomme s'apparentait à un tableau hanté en mouvement constant. Maniac s'approprie à nouveau cette âme urbaine à double tranchant, où l'on peut massacrer de jolie danseuses dans un parking miteux, au dessous de buildings luxueux et étincelants. 

De même que pour Argento, l'idée est de s'appuyer sur la stylisation de l'innommable et d'en tirer de préférence une substance baroque (l'incroyable utilisation de l'Ave Maria de Schubert lors d'une dérangeante scène d'intrusion) : le travail du compositeur Rob, planant, électrique et lyrique, épate à tous les niveaux. Quant au travail de KNB, il parachève cette boucherie en retrouvant la sauvagerie gerbante des maquillages de l'original : les sensations y sont même décuplés (ça fait mal !), en particulier lors de la démente scène de torture câline d'une quinca qui connaîtra les joies du scalp à vif. Qui aurait cru que ce Maniac jouirait aussi bien de la beauté du mal ?

                                  

L'Heure du bilan : Bilan Cinéma 2012

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 1. Laurence Anyways, Xavier Dolan :
Des jeunes coeurs brisés, Dolan passe à un niveau plus ambitieux et plus adulte : à la manière de Beineix avec 37°2 le Matin, il offre à sa passion fleuve toutes les couleurs et la durée nécessaires pour en retranscrire la richesse, dans les plus petits et les plus grands détails. Sur plus de dix ans, un homme et une femme se cherchent et se retrouvent, quelque part dans le Canada des 80/90's. A cela, Dolan cramponne ses obsessions, sa plasticité formidable, et la perte des repères sexuelles : quand l'homme veut devenir femme, l'alarme de l'amour se déclenche. Parfum de clip sans racolage, épopée du déchirement, finesse et drôlerie quand c'est possible : c'est le torrent passionnel de l'année.

=> Ma chronique du film ICI

 2. The Impossible, Juan Antonio Bayona :
Tragédie déjà illustrée par HBO à la télé et par Clint Eastwood au cinéma, le terrible tsunami ayant frappé la Thaïlande en 2004 repart inonder les salles de cinéma dans un drame catastrophe qui fera hélas moins de bruit que les séismes cheesy de Roland Emmerich. Toute la force et la finesse, absente du cinéaste allemand, se retrouve chez un Bayona qu'on pensait plus attacher au cinéma fantastique après le triomphe de son touchant Orphelinat. A la manière de son compatriote Alejandro Amenabar, il prouve surtout que se décliner radicalement à un autre genre n'empêche pas de dévoiler d'autres facettes de son talent. Et ce n'est pas tant à son précédent film (une aimable ghost story) que l'on pense mais davantage à Spielberg : Spielberg le rêveur, le terrible, l'impitoyable, le beau. Tout ce qui a fait le prix de son cinéma au détour de tous les sujets imaginables. Avec une grâce et une technique irréprochable (reconstitution incroyable du raz de marée), Bayona ne semble faire qu'un avec son modèle, décrivant sans concession la survie de cette famille engloutie par l'enfer et télescopant une mosaïque de terreurs intimes (la dégradation du corps, la perte de l'être cher, l'espoir en fin de course...) qui nous cueillent au plus profond.


3. Take Shelter, Jeff Nichols :
Après l'apocalypse intime et européenne de Melancholia, il fallait bien en offrir la réponse américaine (et plus loin encore, la réponse Redneck !). Dans un climat qui se délecte de la menace et de l'angoisse sourde, à mi-chemin entre Terence Malick (la présence de Jessica Chastain y est peut être pour quelque chose), Stephen King et Night Shyamalan (les scènes de cauchemars), un père de famille crie à la fin du monde, alerté par des signes avants-coureurs oniriques. Même si Michael Shannon ne semble toujours pas se défaire de son image de déséquilibré, il le fait toujours admirablement (le pétrifiant pétage de plomb de la cantine), tout en brossant le portrait d'une folie consciente aussi émouvante que flippante. La dernière partie, suffocante et épidermique, n'a de cesse de plaquer le spectateur contre son siège.

 4. Le Hobbit : un voyage inattendu, Peter Jackson :
Le retour de l'aventure, la vraie. Après une errance aussi futile qu'acharnée qui fera finalement tomber le projet entre les mains d'un Jackson tout désigné, Le Hobbit finit par se décliner, à la surprise générale, en une nouvelle trilogie. Qu'à cela ne tienne : le plaisir de se replonger chaque Noël dans l'univers de Tolkien ravive avec splendeur l'émotion de la trilogie originelle. Jackson allonge certes, allège le ton aussi (plus de second degré et de décontraction), mais ne perd par l'importance des enjeux (pourtant moindre que ceux de la quête de l'anneau). Quant à la structure, elle a beau être calquée sur celle de La Communauté de l'Anneau, le plaisir reste là et le plongeon en terre du milieu toujours aussi vivifiant.


 5. Millenium : l'homme qui n'aimait pas les femmes, David Fincher :
Et voilà que Fincher adapte le pavé de Stieg Larsson en joignant l'utile à l'agréable : prolonger une fois de plus une de ces trames fétiches, à savoir la traque entre détective et serial killer. Immersion cradingue avec Seven, épopée fleuve pour Zodiac : ici, on ne tue plus au nom des sept péchés capitaux, mais en s'inspirant des versets de la Bible. Pas bien original ? Qu'importe : l'esthétique dépressive et tranchante comme une lame de rasoir se perd dans la psyché de son héroïne, incarnée par une divine Rooney Mara (qu'on espère revoir bientôt) : Fincher s'approprie sans complexe l'un des personnages les plus fascinants de la décennie, hackeuse goth surdouée qu'on croirait sorti d'un rape and revenge. Elle domine ce thriller neigeux à la fois beau et classique (du moins, quand elle n'est pas dans le champ), hanté par le son  ténébreux de Trent Reznor. En nous envoyant plein les mirettes : le générique d'introduction (le plus beau de 2012) et le trailer sauvage nous rappellent quant à eux le formidable passé de clippeur de Fincher.


 6. Holy Motors, Leos Carax :
Issu d'un cinéma à la fois visuel, mystérieux et un brin prétentieux, Carax fait sa place à Cannes en signant son oeuvre, non seulement la plus intéressante, mais aussi la plus folle. Faisant de Paris une toile vacillante et sublime, Holy Motors nous bouscule dans le quotidien d'un acteur imaginaire, passant de vie en vie dans un dédale de genres (expérimentation virtuelle, drame intimiste, film musical, horreur débridée, polar sanglant...) et de décors, laissant derrière lui un catalogue de souvenirs et de destins imaginaires. En résultat une oeuvre à la fois poétique, insensée et mélancolique nous renvoyant aux spectres de notre vie, aux spectres du cinéma et aux spectres de la nuit.


 7. Guilty of Romance, Sono Sion :
Malgré sa distribution timide, il était criminel de passer à côté du nouvel enfant terrible du cinéma japonais, exerçant depuis des années un cinéma aussi provoquant qu'excessif, démembrant sans sourciller la société japonaise . C'est l'image de la femme qui en prend un coup ici, le tout sous les projecteurs de la Nikkatsu, dont les romans-pornos avaient retravaillé de fond en comble le rapport hommes/femmes dans ses replis les plus fous. L'histoire d'une belle de jour devenant belle de nuit, quittant son cocon pour devenir un papillon de la débauche dans les quartiers chauds de Tokyo, épaulée par une créature aussi maléfique que vénéneuse. Comblé de références littéraires, Guilty of Romance se pose en fable baroque et décadente, quelque part entre Zulawski, Bataille et Argento. Toute la beauté de l'interdit est là.

=> Ma Chronique du film ICI


 8. Touristes exæquo Kill List,   Ben Wheatley :
Trimballé de festivals en festivals, il fallait bien que le cinéma tout beau tout neuf de Ben Wheatley arrive jusqu'à nous. Le bonhomme s'impose ni plus ni moins comme le nouveau fils prodigue du cinéma de genre anglais, dosant savoureusement le tragi-comique et l'horreur, comme dans un cauchemar de Ken Loach. Touristes aurait pu être seulement une comédie grasse et Kill List un polar hard-boiled : chacun à sa manière, annihile la manière dont le spectateur peut prévoir la suite, et ne juge jamais ses personnages (tueurs à gages ou couple de beaufs). Dans une Angleterre encore traversée par un paganisme sauvage, Wheatley ne fait pas dans la demi-mesure et on l'aime pour ça. Labyrinthe infernal, Kill List se mute progressivement en cousin de sang de Wicker Man alors que Touristes prend la forme d'un poème d'amour dégénéré. Dans les deux cas, on est renversé.


 9. La Cabane dans les bois, Drew Goddard :
OVNI longtemps endormi dans les tiroirs des studios, La Cabane dans les bois n'en ressort que plus majestueux, prolongeant les thèmes irrésistibles d'un Tucker & Dale sorti également cette année. Allié à la fibre déchaînée de Joss Whedon, Goddard se permet d'aller plus loin que la simple parodie : en appliquant un scénario de slasher sous influence Evil Dead (et du Truman Show !), les clichés abordés deviennent des outils à part entière, débouchant sur une intrigue dont la logique s'apparente à celle d'un rubik cube. Difficile d'en dire plus tant le résultat est inventif, furieusement jouissif et jusqu'au boutiste dans son concept (la dernière partie est devenue déjà culte). Un vrai plaisir.

10. Symbol, Hitoshi Matsumoto (DTV) :
Nouveau chantre du cinéma nippon WTF, Matsumoto voit ses trois oeuvres folles balancés en DTV dans notre bel hexagone. A prévoir peut-être ? Peut-être, tant l'univers de Matsumoto se joue des conventions et applique délire de sale gosse et envolées surréalistes dans un climat de manga pas fini. Symbol en est le specimen le plus fascinant : comment lier en effet une variation comique de Cube où un quidam au look improbable appuie sur des sexes de chérubin (??!), alors que quelque part au Mexique, un catcheur reprend du service ! Débile sans doute, mais pas autant qu'on ne le croît : Symbol est surtout drôle, inédit, ludique et ressemble à un rêve fou, le genre dont l'absurdité nous fait rire autant qu'il nous inquiète.


 11. Main dans Main, Valerie Donzelli :
Sur un sujet bien plus léger que le très remarqué La guerre est déclarée, Donzelli fait forcément moins parler d'elle. Pourtant, on peut se régaler de cette romance pop et fantaisiste, arrosée d'OMD et d'Elli & Jacno, liant deux êtres que (presque) tout sépare On le sait, ils s'aimeront à la dernière image, mais cela n'empêche un plaisir immense (animé aussi bien par les situations cocasses de l'argument fantastique, obligeant les deux personnages principaux à ne plus se quitter physiquement, qu'aux seconds rôles) et une vraie énergie irriguant le film de bout en bout. Elle était là la délicieuse comédie française de l'année, délaissée de son soucis d'aligner les vedettes (suivez mon regard) et ou de s'américaniser à tout prix.


12. The Incident, Alexandre Courtes (DTV) :
Clippeur de haute volée, Courtes fut le brillant éclair du cinéma de genre français de l'année, direct to video ou pas. Parti tourné son petit film au Canada, il gorge cette nuit d'horreur au fond d'un asile d'aliénés d'une maîtrise héritée toute spécialement de Romero et Carpenter. Il en mémorise les mises en place possédées par la menace et la rigueur visuelle. Bien plus cruel et violent que les deux noms cités (ça fait mal, très mal même), il vient à faire resurgir notre peur de la folie, ou plutôt de celle des fous, dont le mélange de curiosité malsaine, d'illogisme trouble et de névroses ultra-violentes explosent ici dans des séquences tétanisantes.

Pulsions (1980) Brian De Palma : Psychose toujours

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On peut dire sans crainte aucune que Pulsions apparait à point nommé dans l'âge d'or de la filmographie de Brian De Palma, dont les dérives hitchockiennes et psychanalytiques (parfum d'inceste, découverte de la sexualité, onirisme, projection, transfert, dédoublement...) n'avaient de cesse de s'accroître. Plus que Body Double qui parachèvera cette parenthèse (même si L'esprit de Caïn et Femme Fatale en sont de biens tristes échos), Pulsions irrigue encore plus les obsessions de son auteur, oeuvre à la fois étrange et décadente à la lisière du best-of (même si DePalma est toujours le premier à recycler et à s'auto-citer sans complexe).

Dans un climat où la révolution sexuelle semble se retourner sur elle-même, Pulsions se revendique en thriller érotique racé bien avant que le genre ne fasse surface à Hollywood quelques années plus tard (via un Verhoeven qui, rappelons le, citait également Hitchcock dans son Basic Instinct), ce qui comble déjà son audace pas si surannée (à contrario du sang neuf requis habituellement en tête d'affiche, Angie Dickinson assume une cinquantaine à la fois précieuse et authentique, chose qu'on ne risque plus de voir dans le genre).
À la base, Pulsions est en fait la reconquête d'un autre projet de DePalma, qui échouera entre les mains de Friedkin et deviendra Cruising ! Point de backroom enfumés ici, bien que DePalma se plaît également à jouer dans les mêmes eaux troubles : tout comme Cruising, Pulsions participe à un certain malaise hollywoodien concernant l'ambiguïté des sexes, qu'il préfère diaboliser plutôt que sauver. Une autre époque...


La place centrale du sexe dans le récit ainsi que la scène du musée seront les seuls restes de la première ébauche du Cruising de De Palma sauvegardés ici : ce que Pulsions représente avant tout, c'est une étonnante variation, à la fois urbaine et érotique, de Psychose. Sans hasard aucun, le film commencera et se terminera sous les mêmes auspices : une femme, une douche, un rasoir, une menace. Leitmotiv obsessionnel de De Palma, la douche de Psychose est parodiée autant par admiration que par jeu vis à vis du spectateur et de ses attentes : dans la première séquence, le danger ne vient plus de l’extérieur mais de la douche elle-même, ce que le public ne peut deviner tant De Palma s'échine à filmer ce qui s'apparente à une séquence de porno-soft (la scène de masturbation de Dickinson, bien que préservée par un bodydouble voyant,  reste encore très surprenante de nos jours). 

Cette agitation humide rappelle elle-même l'introduction de Carrie, dont les gestes sensuels de l'héroïne sont repris quasiment à l'exactitude : même Donaggio y met du sien, en développant un nouveau thème musical romantique très proche de celui réalisé pour Carrie ! Et les folies post-modernes de DePalma ne s'arrêtent pas là : le terrible moment pivot du film, à savoir la mise à mort d'Angie Dickinson, retrace à sa manière l'ultime douche de Janet Leigh...dans un ascenseur !


En somme, cette virtuosité teintée de gratuité et de racolage devient le moteur même de Pulsions, qui s'apparente à un immense fantasme faussement tranquille. Tout comme Hitchcock l'avait fait, De Palma "punie" son héroïne (ici femme mariée volage plutôt que voleuse) en l'évinçant au bout d'une demi-heure pour mieux rebondir sur une autre figure, ironiquement incarnée par une call girl : l'une souhaite apprivoiser ses désirs, l'autre les détient et les incarne.
Malgré les fausses pistes (croustillantes), l'amateur aura vite compris où De Palma veut en venir en citant abondamment Psychose : jamais vaincu, De Palma fait mumuse avec sa technique (irréprochable), s'autorisant une saisissante scène de drague muette dans un musée ou une course poursuite haletante où New-York se change en labyrinthe risqué et facétieux. On parlait de gratuité : même le dernier tiers s'autorise une prolongation risquée (avec une scène d'évasion baignant dans un bleu irréel), jouant sur les mêmes codes que celle de Carrie ! Vertige du clin d'oeil...


Pulsions pourrait être un film érotique (on retrouve les schémas de la belle femme frustrée, de l'inconnu sexy, de la prostituée avenante, du docteur faussement coincé et même de l'infirmière !) revu et corrigé par l'ombre d'Hitchcock ; or, si Psychose domine les références de De Palma, on pense aussi à un genre qui tient également tout du maître du suspens ; le Giallo. Car Pulsions n'est ni plus ni moins qu'un Giallo à l'américaine, mêlant enquête perverse, pulsions refoulées et fétichisme taquin (les fameux gants de cuirs noirs et l'infatigable rasoir). Les aficionados pourraient jusqu'à parler de plagiats avec l'autre fils spirituel d'Hitchcock, Dario Argento, qui proposait déjà des séquences présentes dans Pulsions (comme le meurtre dans l'ascenseur) : même la présence du compositeur de Pino Donaggio ne fait que confirmer davantage le pont entre les deux hommes et leurs tics communs,  Bien entendu, la fierté de De Palma empêcherait de lui tirer quoique ce soit de telles ressemblances...et disons le, rien de tout cela n'empêchera Pulsions d'être l'un de ces titres les plus grandioses.

                                      

Gothic (1986) Haunted Summer (1988) Rowing in the Wind (1988) : Une Saison en Enfer

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Aussi fasciné et fascinant que le mythe de Dracula, le Prométhée post-moderne de Mary Shelley n'a eu de cesse d'inspirer la plus petite série z, même dans les années 80. Parmi les idées les plus étonnantes du septième art pour explorer davantage l'univers de l'écrivain et de sa créature, celle de s'attarder sur la genèse même du bouquin compte parmi les plus brillantes.
Déjà en 1985, on donna inutilement une suite à La Fiancée de Frankenstein dans le néanmoins sympathique La Promise : or, avec Gothic il était question de remonter le fil, et non de s'approprier à nouveau Frankenstein. Nous voilà projeté un été 1816, au bord du lac Léman : Lord Byron, calfeutré dans la superbe Villa Diodati avec son âme damnée John Polidori, voit arriver les époux Shelley et l'une de ses maîtresses, Claire Clairmont. Entre deux orages et quelques rêveries d'opium, Mary Shelley confectionnera son chef d'oeuvre...


OVNI encore et toujours, Gothic est un drôle de cas sur bien des égards ; car avant de parler du film lui-même, il faut souligner son involontaire spécificité : bien que le succès ou la reconnaissance ne fut pas au rendez-vous, le sujet du film sera décliné à nouveau deux ans plus tard dans deux autres films, quant à eux totalement méconnus. Opportunisme brumeux ou passion subite pour une étrange page de l'histoire littéraire ? Le mystère reste entier...

Pour ce qui est de Gothic, il est assurément le plus sulfureux et le plus fou des trois films : Ken Russell sortait de son ultime chef d'oeuvre, le décadent et baroque Les jours et les nuits de China Blue, et quitte Hollywood pour retrouver sa terre natale, l'Angleterre. Un sujet en or pour un tel auteur avouons-le, mais un auteur diminué également. En effet, on aurait rêvé de voir un tel projet porté dans les 70's - et donc à sa meilleure période - là où La Symphonie Pathétique côtoyait Les Diables ; là où Russell tournait en Scope et ne semblait s'acquérir d'aucune limite ; là son art avait atteint son apogée. On aurait pu rêver de voir Glenda Jackson dans le rôle de Shelley, on aurait pu imaginer un scandale retentissant...mais le résultat présent, réalisé en 1986, ne déchaîna point les passions.


Projet dingo hors des temps et des modes, Gothic peut se targuer d'offrir un spectacle unique en son genre, et de restituer (parfois exagérément) toutes les névroses de cette nuit fiévreuse. Provoc dans l'âme, Russell insiste comme il peut sur la démence qui s'emparait alors du groupe de poètes, de leurs hallucinations contrariées (offrant quelques visions assez dérangeantes) jusqu'à leurs passion sans fins.

Un climat de cauchemar orgiaque tantôt imbuvable, tantôt impressionnant, où tout le monde surjoue tant qu'il peut (Julian Sands débloque face à un Gabriel Byrne parfois plus Marquis de Sade que Lord Byron), excepté la douce et regrettée Nathalie Richardson, qui campe une Shelley fragile et endeuillée, emportée par les fantômes de la nuit. La musique vrombissante et too much de Thomas Dolby enfonce le clou de ce trip fantasmagorique recréant, non sans intérêt, la terreur étrange du fameux Cauchemar de Fuessli. En somme, ce n'est pas tout à fait réussie, mais diablement fascinant.


En 1988, la Cannon rempile à nouveau avec Haunted Summer, devenu chez nous (et uniquement en vidéo) Un été en enfer. Réalisé par un Ivan Passer guère inspiré, cette monture ci semble posséder des ambitions visuelles plus proches du téléfilm que d'une véritable oeuvre de cinéma. Trop calme, trop sage, trop cristallin, cet été là n'a rien d'infernal : mais découvrir le film dans de meilleurs conditions ne serait pas du luxe pour, éventuellement, l'évaluer à sa juste valeur. Ce qu'on garde est pourtant assez précieux : son casting déjà, réunissant Eric Stolz, Laura Dern et Alice Kridge, tous trois superbes, et le score de Christopher Young, timidement mis en avant.
En état de grâce, le compositeur d'Hellraiser signe une pièce d'une beauté estomaquante, sans doute la plus belle de sa carrière : l'écouter, c'est se retrouver dans les jardins de la villa, se nicher dans le lit des amants poètes, se perdre sur le lac Leman. Un travail qui dépasse en richesse et en émotion n'importe quelle image du film !


Toujours la même année, un réalisateur espagnol, Gonzalo Suarez, s'attelle à son tour à une nouvelle percée dans le coeur et le corps des poètes anglais : Rowing in the Wind ne connaîtra qu'une exploitation misérable (encore plus que Haunted Summer), et reste encore inédit en France. Un film une fois de plus imparfait, au rythme étrange (que doit-on conclure des différentes durées du film ?), mais doté d'une ambition plus rafraîchissante.

En effet, Suarez ne décrit pas que les journées à la villa Diodati et prolonge la destinée des Shelley et de Byron (incarné par un Hugh Grant tout désigné !) dans une seconde partie surprenante. Même la créature de Shelley se matérialise et s'invite dans le récit, ajoutant une pointe de fantastique à une oeuvre plus classique que le Gothic de Russell.Son plus grand mérite est d'ailleurs de renouer avec le lyrisme des auteurs qu'il met en scène, ouvrant et clôturant le film sur des paysages fabuleux que n'aurait pas renié un Caspar Friedrich. Une âme romantique préservée et sublimée jusque dans la musique d'Alejandro Masso, absolument renversante.

 

Crash (1996) David Cronenberg, Kissed (1996) Lynn Stopkewich : Extase de Mort

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 En 1996, le septième art se recouvrait d'un voile sombre au Canada : chacun à leur manière, Kissed & Crash exploraient les extrêmes du plaisir en s'autorisant un voyage dans de nouvelles formes de sexualité, à la fois impensables et choquantes pour tout esprit sain et rationnel. L'un fit l'effet d'une bombe, l'autre fit à peine décoller la carrière prometteuse de sa réalisatrice.

Scandale Cannois retentissant, Crash tient une place capitale dans la filmographie de Cronenberg, qui venait de se permettre une curieuse pause romantique avec un sublime M Butterfly - son Crying Gameà lui - où il gardait cependant intact toutes ses obsessions charnelles. Crash est donc à la fois le retour de flamme d'un naturel plus brutal, mais aussi la continuation logique du travail effectué sur Le Festin Nu : après avoir relevé la folle gageure d'adapter le livre hallucinatoire de Burrough, Cronenberg s'attaque à James Ballard, avec un Crash! réputé tout aussi inadaptable. Comment en effet être capable de mettre en image tous les fantasmes bio-mécaniques d'une oeuvre pareille, qui décrivait avec une monotonie radicale une suite de scénettes où les fluides corporelles se mêlaient aux débris d'accidents de voitures ? Difficile de savoir si cela était vraiment possible, en tout cas en dehors du circuit underground : tout comme Verhoeven avec Showgirls l'année précédente, Cronenberg fait hurler ligues de censure et critiques en embarquant tout un casting dans une aventure qu'on aurait jamais imaginée à Hollywood.


A la vue de l'objet, le miracle a bien lieu : à la manière de l'union de Sade et de Pasolini pour Salò, ou de Genet avec Fassbinder pour Querelle (pour rester dans les oeuvres à scandales), celle de Cronenberg et de Ballard semble rêvée, absolue, et totalement acquise : Cronenberg était en effet totalement taillé pour décrire les fastes hardcore d'un couple libertin embrigadé dans ce groupe sectaire vouant un culte érotisé et ultra-violent aux accidents de voitures. Il fallait être fou pour permettre de visualiser la fusion du métal et de la chair, tant cérébrale que physique : là une main frôle une crevasse sur une portière, un sein se dévoile lors d'un accident, on lèche des cicatrices, plus loin des doigts englués de sperme s'accrochent au cuir d'un fauteuil...

Cronenberg tend à rendre limpide le langage de cette nouvelle sexualité décrite par Ballard, dans un monde où le sexe avait besoin d'aller aussi loin que possible pour se vivre à nouveau. C'est là où culmine également le talent de Cronenberg : Ballard écrivait Crash comme une oeuvre d'anticipation et Cronenberg l'universalise davantage, l'ancre dans une actualité totale et brûlante. Pour mieux répandre cette imagerie glaciale d'un monde industrialisé où même la voiture devient objet de désir, les décors se limitent à des parkings, des aéroports, des masses de bétons infinies et des routes à pertes de vues ; le triomphe malade et obscène de la modernité sur l'homme et son corps.


Alors qu'on l'a taxé de pornographe, Cronenberg ne fait que reproduire l'importance diffuse de l'acte sexuel dans l'oeuvre de Ballard (qui prédomine et parle parfois plus que les échanges fantomatiques entre les personnages), lui ôtant souvent tout érotisme par la froideur et la violence qui s'en dégage. La chair qui excite les personnages ici se doit d'être marquée, abîmée, révoltée : il faut voir le personnage principal, incarné par James Spader, perdre tout contrôle lorsqu'il visite le corps d'une infirme sexy dans un fracas métallique, et y découvre une immense plaie à l'allure de vagin. Qu'importe le sexe des personnages ou l'attirance sexuelle qui les connecte : l'imagerie mécanique et la modelage possible des corps sauront les lier pour un instant. Maître fou, le personnage de Vaughan  le rôle le plus magnétique d'Elias Koteas) devra brutaliser le magnifique corps de l'héroïne pour l'amener dans sa sphère et y trouver son plaisir.

Ce délice dans la souffrance lie tous les protagonistes de Crash a une forme authentique de sado-masochisme, mais plus loin encore, il serait même plus logique de parler de nécrophilie : car en effet, les charniers routiers et la sensation de mort imminente devient le point d'ancrage de fantasmes vertigineux : c'est sans doute ici que peut s'organiser le lien, fragile mais certain, avec son cousin éloigné Kissed.


 Plus modeste et moins froid, le film de Lynn Stopkewich aborde quant à lui une nécrophilie non figurée, mais absolument consommée : son héroïne Sandra, dont on suit les turpitudes depuis l'enfance, ne peut trouver le bonheur et le plaisir que dans les corps inertes de beaux jeunes hommes, qu'elle se plaît à chevaucher à la morgue la nuit tombée. Une déviance qui va vite lui poser problème lorsqu'un garçon, bien vivant quant à lui, tombe amoureux d'elle et tente désespérément de la comprendre.


Ce qui bouscule le plus dans Kissed n'est pas nécessairement les images qu'il montre : on est loin, très loin de ce qui fit Jorg Buttgereit avec ses deux Nekromantik, deux essais poétiques et gores qui dévoilaient absolument tout au spectateur dans les détails les plus scabreux et vomitifs. L'approche de Stopkewich y est sensible, affective, étonnement douce : tout comme dans Crash, jamais on ne juge les déviances exposées, balayant par là même les notions de bien et de mal, de folie et de raison.

Le film joue même admirablement du contraste entre la beauté virginale de la trop rare Molly Parker et ses actes macabres, qui sont alors assimilés à un éveil absolu des sens. Tout comme dans Crash, on assiste même à une scène proche de l'initiation se déroulant dans une voiture passée au car wash ! C'est cette tentative de compréhension, cette plongée à la première personne dans un monde tabou et lugubre, qui hante le plus : l'audace des grands jours.

Django Unchained (2012) QT - L'Homme aux poings de fer (2012) RZA : Chains of Fury

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Le fait que L'Homme aux poings de fer et Django Unchained débarquent à quelques semaines d'intervalles en ce mois de Janvier n'a rien d'un hasard : ce qui est cependant plus surprenant est le sort réservé au film de RZA, compositeur affilié depuis peu à l'univers de Tarantino. Là où Django Unchained déchaîne aussi bien le box-office que des polémiques de tous poils (en particulier Spike Lee n'ayant pas supporté que Tarantino puisse se servir d'un background aussi le sud esclavagiste pour une oeuvre de "divertissement"), son petit frère de sang ne pu se traîner qu'à travers quelques salles parisiennes ; sortie technique fort curieuse pour un film vendu sous les noms de RZA, Tarantino et Eli Roth ! Si, comme nous pourrons le constater par la suite, les qualités de l'oeuvre s'avèrent plus que discutables, on ne peut pas dire qu'elle s'annonçait comme totalement invendable...

Bien que le label Tarantino marque au fer rouge les deux films, ils ne se contentent pas seulement de partager le même esprit : en y regardant de plus près, les deux films racontent ni plus ni moins que la même histoire (le combat d'un ancien esclave protégeant sa bien-aimé face à un monde hostile) sous la coupe d'un genre différent ; le film de kung-fu pour l'un, le western pour l'autre. Dans les deux cas, il s'agit bel et bien d'une embrassade au cinéma d'exploitation, qui n'hésite pas à souligner sa filiation via des caméos faisant office de pont entre les générations (une Pam Grier boursouflée chez RZA et un Franco Nero classieux chez Tarantino).


Si les plus sévères y verront vite les limites de chacun (modestie et maladresse de RZA, prétention et redondance pour Tarantino), le gouffre qui sépare les deux reste malheureusement bien trop probant. L'Homme aux poings de fer réunit une cohorte de personnages déchaînés autour d'un butin bien gardé au coeur d'une maison close, dont RZA lui-même incarnant le rôle titre, pauvre forgeron qui se verra obligé de se greffer deux armatures de fer en guise de bras pour préparer sa vengeance !

Tout le reste est à l'avenant : tout droit sorti d'un Western Spaghetti, Russell Crowe détonne en suggar daddy lubrique et Lucy Liu se remet vaguement en mode O-Ren Ishii. Mais il ne faut pas attendre longtemps pour que l'agacement prenne le pas sur la générosité de l'entreprise : mise en scène décousue, interprétation médiocre (RZA lui-même a l'énergie et les expressions d'un poisson mort), gore factice, montage à l'emporte pièce...même le peu de bonnes idées (un assaut de putes ninjas ou des tueurs gémeaux inséparables) tombent à plat, gâchées souvent à l'instant même par l'ineptie générale. Quant au mariage du rap et du kung-fu, (RZA fit partit de Wu-Tang et nous le rappelle bien), ce n'est certainement pas la meilleure idée du monde...


De son côté Tarantino réalise enfin un de ses fantasmes : signer un western, soit un genre qu'il ne peut s'empêcher de citer depuis le tournant très "exploitation" de sa carrière (tout en oubliant pas sa participation à un autre Django, à savoir Sukiyaki Western Django de Takashi Miike), aussi bien au détour de cadrages iconiques ou léoniens, dans la dramaturgie, les thèmes empruntés ou encore (et surtout) la musique. Un fantasme certes réalisé mais également détourné : plus le film avance, et plus il s'éloigne du western attendu : déjà parce que Tarantino retrouve son goût pour ses fameuses "scènes de tables" et ses personnages à la langue bien pendue, mais aussi par sa manière de cloisonner son intrigue.

De Leone et Corbucci, on finit par nager dans un autre pan du cinéma d'exploitation, le slaveploitation (si on peut l'appeler ainsi), dont le noyau dur fut le Madingo de Richard Fleischer : les 70's offrit quelques titres racoleurs tels que L'enfer des Madingos, Quadroon, Madingua, Emanuelle Bianca e Nera et surtout l'hallucinant Addio Zio Tom, dont Tarantino reprend parfois la cruauté implacable et fiévreuse (et qu'appreciait aussi Refn, qui reprit la chanson My Love pour son Drive). Du référentiel certes, mais malin et aguerri, qui revisite l'histoire dans le sang non sans jubilation et intelligence, brisant à l'occasion le manichéisme attendu noir/blanc dans sa structure de buddy movie même mais aussi via le personnage incroyablement détestable de Samuel L.Jackson en serviteur fourbe et aigri.

Toutefois, le Tarantino qui aime se regarder filmer (ou se filmer, comme l'atteste son inutile présence) n'est pas mort, loin de là : on compte bien une demi-heure en trop, le récit allant s'étirer par moment trop artificiellement. L'autre mauvaise surprise tient aussi dans le peu d'importance accordée aux rôles féminins, là où Tarantino en faisait des icônes vengeresses ou psycho : la compagne de Django est reléguée à son rôle de princesse à sauver et s'immobilise en position de jolie victime, et même Zoe Bell traverse quelques plans du film sans que Tarantino n'en fasse quoique ce soit ! De curieux choix, heureusement contrebalancés par l'étonnante verve comique du film (l'ironie mordante habituelle cède parfois à des gags digne des ZAZ ou des Monty Python, en témoigne la démystification hilarante du KKK !), l'onctuosité de Christopher Waltz et la démence éruptive de Leonardo Di Caprio, enfin dans un contre-emploi tant attendu.

Et s'il l'a certainement mieux fait par le passé, Tarantino brasse évidemment toutes les contradictions possibles, du romantisme impromptu (voire de la poésie, comme l'atteste le sublime Anchora Qui, titre de Morricone spécialement composé pour le film) en passant par le gore sauvage (des gunfights presque plus sanguinolents que Peckinpah, dont un renvoyant directement au carnage de La Mariée dans Kill Bill Vol 1) avec un plaisir sans précédent. Du divertissement de cinéphile de haute volée donc, comme on aimerait en voir plus souvent.

American Horror Story : Asylum (2012) : L'Antre de la folie

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Fourre tout malin et méchant qui reprenait à son compte le sempiternel mythe de la maison hantée, la première saison d'American Horror Story s'était révélée n'être qu'une histoire parmi d'autres, se concluant définitivement pour laisser la saison 2 emboîter le pas sur une nouvelle trame. Si Ryan Murphy reprend une partie du casting, aucun lien n'est emmené entre la première et la seconde saison : délocalisation géographique, thématique, mais aussi temporelle ; là où le passé grouillait encore sur le présent à travers divers flash-backs insistants, c'est l'inverse qui se produit dès lors dans la saison 2, l'action se déroulant en 1964 tout en faisant intervenir un récit annexe situé de nos jours.

Si l'action est plantée à nouveau dans un édifice manifestement maudit, ce ne sont plus les spectres qui sont ici à la fête ; il s'agit même de quelque chose de bien pire...
Le manoir Briarcliff, sanitarium devenu asile de fous, devient le centre de toutes les intentions : celui-ci est mené d'une main de fer par Soeur Jude, qui prêche davantage les coups de bâtons que l'amour de Dieu, tentant de suivre la fabuleuse ambition chrétienne de son supérieur religieux, le père Timothy Howard. La situation s'envenime dès l'arrivée de deux nouveaux patients : Kit Walker, un jeune garçon accusé d'être le terrible Bloody Face, le dépeceur de femmes terrorisant la région, et Lana Winters, journaliste lesbienne enfermée contre son gré.


Même si les surprises affluaient, la première saison foulait un sentier connu, en l’occurrence celui du film de maison hantée : dès le premier épisode, on sent ici la portée plus virulente, des articulations plus intenses et des ruptures de tons encore plus nombreuses. A force de retourner son sujet dans tous les sens, Ryan Murphy joue ouvertement la carte de la pochette surprise et donne si peu de chances au spectateur d'anticiper la suite des événements, ce qu'il fait avec une jubilation non dissimulée. 

Carrefour de la folie humaine, l'asile de Briarcliff devient une antichambre de l'enfer attirant toutes les créatures inimaginables : enfant diabolique, père Noël tueur, mutants, serial killer, et même plus fort encore, le diable et la grande faucheuse elle-même (incarnée par une Frances Conroy troublante) ! Le contexte encore persistant de la guerre froide va jusqu'à permettre d'installer un climat de paranoïa faisant intervenir nazis et extra-terrestres ! 


Grand vétéran des thèmes épineux et des surprises déviantes, Murphy se plaît dans ce foutoir satanique, mais impose des personnages plus complexes et attachants que ceux de la précédente monture. Et pour cause, tous deviennent tour à tour victimes et bourreaux, se jouant des clivages de la réalité et de la folie. Le face à face entre Soeur Jude, soeur revêche en pleine rédemption, et le Docteur Arden, savant louche aux mœurs douteuses, met le spectateur dans une situation délicieusement périlleuse, le forçant à gratter sous la monstruosité et à se confronter à une ambiguïté sans cesse remise en cause. La religion, absente de la première saison, va jusqu'à y tenir une place prépondérante, ce qui donne l'occasion à Murphy de tirer à boulets rouges sur les ignominies secrètes et hypocrites de la Sainte Mère l'Église : facile, mais efficace.  

Loin du glamour de son personnage de Constance, Jessica Lange passe par tous les états imaginables et s'abîme comme au temps de Frances, fausse vieille salope mais vraie âme blessée. Tout le reste du casting est au diapason, en particulier une Sarah Paulson éblouissante en lesbienne martyr en plein remake de Shock Corridor (mâtiné d'un rien de Rape and Revenge).


Parmi les revenants de la saison 1, et après Lange, le rôle le plus mémorable revient sans aucun doute à Lily Rabe, guère surprenante dans la première saison en maman fantôche mais ici hallucinante en bonne timorée devenue l'hôte malheureuse du malin, offrant l'une des incarnations féminines du diable les plus étonnante, sexy et vacharde de cette décennie. Quant aux nouvelles têtes, petits (Franka Potente, Ian McShane, Chloé Sevigny ou Clea Duvall) ou grands rôles (Joseph Fiennes, James Cromwell) offrent une cour des miracles épatante et névrosée à souhait.


Plus baroque et plus intense que son prédécesseur, plus émouvante, plus drôle (l'utilisation abusive et ironique de notre Soeur Sourire nationale !) et même plus barrée (une scène musicale funky débarquant sans crier gare)  cette virée au dessus d'un nid de coucous ne se contentent pas d'explorer simplement les mythes horrifiques et leurs équivalents cinématographiques (ce qui nous vaut des clins d'oeils musicaux à Candyman, Carrie ou Massacre à la tronçonneuse) mais également de labourer l'horreur du genre humain (le spectre du nazisme, l'homophobie, le racisme), d'explorer les ailleurs inquiétants (la présente flottante d'ovnis, jusqu'à l'ange de la mort) et les terreurs de l'Amérique (Bloody Face est un décalque persistant d'un certain Ed Gein). Autant dire que la Saison 3 aura du pain sur la planche...

Promenade avec l'amour & la mort (1968) John Huston : Les Amants Intemporels

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Dans le fracas constituant sa filmographie éclectique, il est injuste de constater que les oeuvres les plus intimes et les plus discrètes de John Huston n'ont pas toujours eu la chance de se retrouver réhabilitées. Sans doute est-ce cette même discrétion, voire même cette modestie, habitant Promenade avec l'amour et la mort qui gêna tant les studios, là où Huston avait passé deux décennies à aligner gros budgets et classiques instantanés. La Fox se retint même de sortir le film en Europe, dont la distribution fut sauver in extremis  à l'époque par Les Cahiers du Cinéma. Malgré l'effort, rien n'empêcha le film de tomber dans l'oubli...

Huston va a contre-courant et tente le dépouillement, va à l'essentiel : nul étalage d'argent ou de vedettes, absence de spectaculaire, voire de concessions ; ce qui aurait pu être vain et cheap tend vers une authenticité surprenante, un naturel tranchant radicalement avec les récits moyenâgeux mis en scène habituellement par Hollywood. En ce sens, Huston se rapproche plus du cinéma européen, filmant le moyen-âge comme le faisaient Bergman, Pasolini ou Rosselini. 


A la frontière du récit picaresque, Huston trimballe deux amants, Héron et Claudia (jouée par sa fille Angelica Huston, dont c'est le premier rôle), au milieu des turpitudes de la Guerre de Cent ans, opposant français et anglais. Lui est un étudiant traversant la France et rêvant de voir la mer, elle une noble dont on a rasé le royaume.
Sans que Huston ne s'y force, la situation s'universalise en se plaquant aux événements qui frappaient le monde à l'époque du tournage (la fin des sixties), bercé par la guerre et les révoltes étudiantes. Les deux jeunes gens, d'abord entérinés dans leurs certitudes, font la découverte d'un monde barbare, où la violence profite à chaque camp, et ensanglante un peu plus le paysage : qu'importe l'époque au final, puisque la réalité est sensiblement la même ?


Huston ne glorifie rien n'y personne, ne cache ni la cruauté (une impitoyable scène d'écartèlement), ni le profit qu'en tire l'Église, qui apparaît sous les traits de pèlerins douteux et de moines fous. Cette France des jacqueries, du fanatisme et des massacres offre presque un tableau de fin du monde, complétée par la présence fantomatique de la peste, qui contamine les premières images pour faire d'une ballade champêtre une nature morte.

 Le contraste avec l'amour, impromptu et sans espoir, des deux héros s'opère alors dans une grande émotion, célébrée à chaque instant par la musique de Delerue. Dans la rêverie des amants, dans leur impossibilité et leur dérive, il y a l'esprit du grand romantisme.
Ultime geste atypique, Huston en oublie le pathos dont on frappe les amours mortes : la conclusion, abrupte, porte le souffle tragique au delà des images, et hante jusqu'à la fin du générique.


Passion (2012) Brian De Palma : L'Impasse aux Pulsions

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Il aurait été particulièrement jouissif de dire que Passion allait à l'encontre la déliquescence galopante des grands réalisateurs d'hier, et surtout à celle de De Palma, qui s'est perdu voilà une bonne décennie (et pour d'autres plus loin encore). 
Remake d'un film médiocre bien de chez nous (Crime d'Amour d'Alain Corneau) Passion laissait fébrilement transparaître un espoir en renouant (vainement ?) avec le De Palma Hitchockien, qui n'avait cessé de dévoiler tous les processus imaginables autour du voyeurisme et du dédoublement non sans laisser quelques traînées mémorables. Or, les tentatives, maintenant lointaines mais hélas marquantes, que furent Femme Fatale ou L'esprit de Caïn pour raviver la flamme, avaient plutôt terni le tableau. Il faudra maintenant y joindre ce dernier opus...


Au sein d'un univers technologique, bourgeois et administratif (où la vidéo est reine : une aubaine pour De Palma donc), l'affrontement de deux jeunes femmes, Isabelle la discrète et Christine la garce, embrase tout. Pendant longtemps (presque une bonne heure), on se demande où ce jeu du chat et de la souris veut nous emmener : c'est d'ailleurs là la seule réussite de Passion, à savoir de nous mener en bateau tant bien que mal, mais aussi avec une roublardise vite embarrassante. 
On y esquisse l'adultère de boulevard, le saphisme de prime-time, les coups bas de soap : quand De Palma remplissait Pulsions avec ses jeux de séduction et ses caprices pervers, il le faisait avec l'amour du geste. Ici, on se croirait à la télé, quelque part entre Derrick et Melrose Place.


Des décors glacés, du racolage timide (le personnage de Rachel McAdams est une blonde petasse caricaturale au possible), des enjeux qui se cherchent : les obsessions sont bien là, mais rien n'y fait, De Palma s'imite de manière bête et régressive comme il le faisait avec Raising Cain et Femme Fatale. Lorsqu'il se décide d'aborder le thriller foufou de plein front, il se noie dans l'exercice de style et les citations : éclairages expressionnistes, faux semblants, vue subjective, manipulations des personnages et du spectateur, fissure entre le rêve et la réalité, plan-séquences, mimétisme, et...une douche, fatalement.

Sauf qu'on ne retrouve ni l'implication, ni la beauté qui faisaient le prix de chefs d'oeuvres comme Body Double ou Pulsions, à l'image de ce split-screen, tentative de maestria gratuite plus risible qu'autre chose. Pris dans le même piège, Dario Argento, son jumeau italien, vit d'ailleurs la même symbiose catastrophe : hier, sa louma défiait les lois de l'apesanteur pour jouer les voyeurs célestes, aujourd'hui, le voilà à faire des plans-séquences sur des tapis. Pour De Palma, le dérivé Hitchcockien s'est métamorphosé en Hollywood Night. Même combat.
A peine aidé par un Donaggio en mode Carré rose, De Palma s'imite et tourne à vide. Ironie suprême, si le film manque de quelque chose qui animait les grandes oeuvres de son réalisateur, c'est bien de passion.

                                      

L'homme qui rit (2012) Jean Pierre Améris - Les Misérables (2012) Tom Hooper : Hugo Délire

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Victor Hugo reviendrait-il subitement à la mode ? C'est sans doute ce que semble sous-entendre ces deux récentes adaptations luxueuses. Et il y avait de quoi faire avec ces deux grands romans populaires, sans doute les plus célèbres de son auteur avec Notre Dame de Paris : chacun à leur manière sont des plongées dans les bas-fonds de la France historique, dans les trésors et les terreurs de l'âme humaine, cris de révolte et tragédies à grande échelle. Oui, il y avait de quoi faire...

Ce n'est pas faute d'avoir essayé et le budget y était, aussi bien côté France que de l'autre côté de l'Atlantique. Mais les sous suffisent t-ils à traduire toute la sarabande de tourments Hugoliens ? Pas sûr. Mais ils sauvent sans doute L'Homme qui rit du désastre total (bien que...), dont la présence au box-office fut sérieusement compromise par la médiatisation polémique de l'une de ses têtes d'affiches (en l'occurrence, Gérard Depardieu). Et ce n'est pas faute d'avoir tenté la carte du "film de Nöel" en optant pour une sortie au milieu des fêtes. On aurait d'ailleurs voulu parler d'un joli film injustement boudé : la vérité est tout de même plus amère.


Transposer les aventures de Gwynplaine, héros hugolien très proche de Quasimodo (où la bosse est remplacée par un sourire éternel) également déchiré par le contraste de la beauté (intérieure) et de la laideur (physique), de manière aussi scolaire ne pouvait jouer que des tours à Ameris, réalisateur adepte de bluette graves mais pas trop. Pour dissimuler son manque d'assurance dans une dramaturgie défaillante, Ameris porte tout sur un visuel très burtonnien ; et assez convainquant il faut l'avouer....du moins durant un certain temps. 

A force d'imiter son modèle (score elfmanien en diable à l'appui), L'Homme qui rit perd en personnalité, et plus grave encore, en âme. Jouant sur le manichéisme de conte, la noirceur académique et la contemplation du beau freaks, on voit petit à petit où veut en venir Ameris, à savoir de faire son Edward aux mains d'argentà lui, exhibant sa blanche colombe (Christa Theret est une effarante erreur de casting) et son joli monstre à la beauté fanée (Marc-André Grondin en guise de Depp) au coeur de la tourmente. Mauvaise idée.

Alors que Depardieu se montre étonnement concerné et qu'Emmanuelle Seigner sait faire ce qu'elle sait faire le mieux (la prédatrice féline et ambiguë), L'Homme qui rit vise la plastique et concasse le contenu, tassant la saga d'Hugo en 1h20 à l'émotion ampoulée. Un petit film sans grand intérêt donc, à peine soutenu par ses ambivalences (la manière d'approcher de manière troublante l'aspect sexuel du récit sans trop y toucher), et au final, vite exaspérant (le film se noie littéralement comme son héros, quelle aubaine).

Plus démesuré encore, Les Misérables fut nettement plus attendu au tournant par les amateurs de la comédie musicale du même nom que de Hugo, qui se voit ici revu à la sauce Broadway. L'idée n'est pas désagréable et la qualité du musical d'origine (bien de chez nous rappelons le) aidant, on se laisse tenter, pour peu qu'on ne soit pas allergique aux films intégralement chantés. Encore couvert d'oscars scintillants pour son Discours du Roi, Tom Hooper met les petits plats dans les grands en mettant les playbacks au placard, faisant de ses scènes musicales des performances live assurément oscarisables (et un risque potentiel).


Une de ses performances faisant évidemment la promotion - voire l'attraction - du film, c'est évidemment celle d'Anne Hatthaway, chantant la plus célèbre chanson du Musical, I Dreamed a Dream. Brève mais intense, la jeune actrice en mode Renée Falconetti déverse ses larmes et ses tripes le temps d'une scène bouleversante, où la douce martyr Fantine laisse exploser son chagrin dans les sombres boyaux de Montreuil-sous-mer. Mais nous ne sommes qu'à une demi-heure du film, qui en compte encore deux et des poussières (regroupant courageusement une grande partie de la fresque d'Hugo).

On était en droit d'avoir un blockbuster à Oscars boursouflé et lyrique : et c'est ce que Hooper nous offre, avec tout de même beaucoup d'approximations. Dans la forme déjà, bâclée et maladroite, qui fustige une réalisation élégante et académique pour des plans parfois vomitifs de caméra à l'épaule. Un choix curieux s'accompagnant aussi d'un manque d'ampleur inattendu dans une production pareille : Paris est réduit à deux quartiers miteux, des plans d'ensembles nocturnes sans reliefs, et des CGI inachevés.


Le casting tente de donner du corps à tout cela, tant bien que mal : Russell Crowe et Hugh Jackman, virils et graves, font leur job et semblent constamment au bout du rouleau (les rôles veulent ça, bon...), Eddie Redmayne et Amanda Seyfried font office de tourtereaux têtes à claques face à une Samantha Barks vraiment touchante en amoureuse déchue, Sacha Baron Cohen et Helena Bonham Carter en Thenardier, plutôt funs, semblent animer les chutes de montage de Sweeney Todd...tout semble concorder à souffler le chaud et le froid. 

Et comme si ça ne suffisait pas, Hooper semble incapable de mener le rythme d'une telle entreprise, alternant moments de bravoure et séquences plombantes (le pathos inévitable lui fait souvent défaut), jusqu'à une dernière partie qui ne semble pas en finir. Une belle occasion de classique loupée...

                               

À la Merveille (2012) Terrence Malick : En liberté dans les champs du Seigneur

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C'est dans les années qui séparent les oeuvres de sa filmographie (six, sept...voire plus !) que l'on reconnaît sans doute la patience et la maniaquerie d'un esthète comme Terrence Malick. D'où une certaine exaltation à guetter toujours le prochain film, à attendre de replonger enfin dans une salle obscure pour retrouver l'un des grands poètes du cinéma américain.

Quelle surprise de voir ce To the wonder débarquer sans crier gare à peine deux ans après Tree of Life (sans compter que The Knights of Cups devrait suivre !), film monstre si l'on peut dire, où Malick explorait le cocon familial et les cicatrices de l'enfance en remontant jusqu'à la création du monde. Une ambition telle que To the wonder lui, en semble plutôt dépourvu. Reproche ? Pas forcément. Qu'importe la modestie du sujet, qui permet à Malick de respirer un peu et de se libérer de l'histoire (guerre, grande dépression, colonisation, genèse),  se permettant par là même de revenir à la base, à l'essentiel, à l'origine : l'amour.


Ce même amour qui était le moteur de tous ses films, quelque soit leur trame ou leur cadre. Ou même s'il n'en était pas exactement le sujet , il était bien là, rayonnant, surgissant, envahissant. Ici, il lie Neil et Marina, le temps d'une première demi-heure digne d'un roman-photo divin et exalté. Batifolages parisiens, déclaration lumineuse, espoirs conquis : Malick ne se contente pas de sublimer la capitale ou le Mont Saint-Michel (qu'on a sans aucun doute jamais filmé de la sorte), il réussit à communiquer cette impression de l'émoi amoureux, de ce soupir interminable. Ces tourtereaux, amoureux, fébriles, ont l'éternité devant eux. Et nous avons un film...

Problème, Malick s'enferme dans une boucle : on comprend vite où celui-ci veut en venir, décrivant un feu majestueux bientôt réduit à une flamme ne cessant de s'éteindre scène après scène. Marina aime Neil, qui ne l'aime plus. Puis arrive Jane, qui aime Neil, qui ne l'aime plus. Puis Marina revient, puis repart...


La substance n'est évidemment pas dans ce scénario de soap : elle se situe dans le royaume de sensations déployés par Malick, qui fait déferler les éléments et fait tourbillonner son actrice comme une toupie tant qu'il peut. Cette osmose avec la nature, ce sentiment de rêve éveillé, de décrire les choses les plus banales avec la grâce la plus surprenante et une caméra extra-terrestre, Tree of Life le faisait déjà. Pas de longs dialogues, mais des mots lointains, une voix-off fragile, des silences, des envolées. On connaît ça.

On ne sait pas si le choix de Ben Affleck était totalement voulu pour Malick, aggravant son jeu inégal en le dépouillant de toute substance, homme à la fois présent et fantomatique dont on ne saura pas grand chose. Le tout en opposition face à des personnages féminins aériens, amoureux, écorchés, délaissés, qui rêvent de l'amour et en souffrent. Malick s'entiche de l'esthétique de l'intime (les caresses, les engueulades, les errances, les joies) et les émotions qui en découlent, en évite les justifications : d'où une matière vacillante, déconcertante, souvent faite de non-dits. Malick déroule et étire comme il peut : on peut parier que son film devait être deux fois plus long.


Malgré la beauté de l'entreprise, il y a quelque chose de vain. Malick nous décrit l'amour comme extatique, fabuleux, mais aussi changeant, insaisissable, inconstant, et s'aide du personnage d'un prêtre paumé pour mieux parler de cette soif qui abreuve et assèche l'homme.

Malick ne donne pas de solution, pas de happy-end non plus à vrai dire : le constat est même noir, désespéré. Déjà anti-commercial de par sa démarche expérimental, À la merveille n'a rien d'un vendeur d'amour naïf, décrivant même un monde piégé, toxique, presque sur le déclin. Encore faut-il que Malick conclue dignement son poème...ce qu'il loupe. D'où frustration face à cette oeuvre languissante, étrange, répétitive, et belle, malgré tout.


Spring Breakers (2012) Harmony Korine : Hard Candy

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Alors que le très touchant et planant Mister Lonely (sans compter l'ultra underground Trash Humpers) semble vouer à l'oubli le plus total, Spring Breakers n'a même pas attendu de franchir les salles obscures pour faire parler de lui. Il faut dire que Korine s'attaque à un gros morceau de la culture américaine, ou plutôt devrait-on dire de la non-culture - le spring break - et aidé en cela par un casting juteux promettant de dévergonder un max les anciennes idoles Disney Vanessa Hudgens et Selena Gomez. Difficile donc pour les distributeurs de ne pas profiter de ce coup de pub, attirant une armada de fans qui n'a pas tardé à quitter les salles traumatisé ou scandalisé. Car à première vue, Spring Breakers aurait tout du teen-movie générationel bling bling. Mais derrière, c'est une autre histoire...


En connaissant un tant soit peu la filmographie du bonhomme, on se demande ce qui pouvait amener Korine à débarquer sur les plages de Floride, venir scruter l'abrutissement et les folies orgiaques des ados américains d'aujourd'hui. Ce même Korine qui préférait aller se nicher dans les décharges et les bourgades moribondes, qui offrait aux freaks, aux dégénérés et aux oubliés l'occasion de devenir des icônes à la fois poétiques et trashs. En somme, pourquoi quitter les marginaux pour la banalité crasse ? La réponse va se dessiner au fur et à mesure du film, où Korine embrasse une fois de plus une forme baroque et polymorphe, voire même irritante, accompagnant des figures allumées qui n'en pas fini d'en vouloir plus.


Si elles ne sont pas si marginales à première vue, les quatre lolitas vedettes sont à la recherche d'un Eden, et décide de combattre la morosité de leur train train soudainement par la violence : un hold up plus tard, les voilà en Floride à prendre des bains de foules où la drogue et l'alcool coulent inlassablement à flot. Pour elles, la vie en somme.
Qu'on ne s'y trompe pas : Spring Breakers n'est pas un teen movie riant des futilités qu'il exhibe, et ne moralise pas pour autant. Dès les premières images, la vulgarité éclabousse les moindres parcelles de l'image, comme un clip MTV racoleur puissance 1000. Enfer ou Paradis ? À vous de voir...

Korine cristallise la perte des repères et la soif intarissable de la génération Britney Spears, où la vie se doit de ressembler à un clip : ce qui pourrait passer pour une simple envie de s'éclater va dépasser tout ce qu'on a pu s'imaginer, en particulier via un duo de créatures qui a assimilé le désir au vertige de mort (l'image du pistolet à eau qu'on remplit d'alcool) ; tout devient possible, et même, du haut de leur vingt balais, de prendre le pouvoir sur le mâle (l'hallucinante scène du gun-blow job) et s'affranchir des limites au côté d'un James Franco en gourou bizarrement tendre et sardonique.


Korine n'a rien perdu de son talent à mêler fantasmagorie et documentaire, avec une crudité qui déstabilisera plus d'une Disney-fan. La démarche de l'auteur, plus proche du collage surréaliste et provocateur (l'emploi de la photographie de Benoit Debie qui tend volontiers vers le bad trip), que la pub spring break, se révèle pleinement lorsque l'air de Everytime résonne sur un piano au bord de la mer, alors que des bimbos cagoulées dansent shotguns en l'air. 
 Un mélange de douceur et de démence presque touchant (comme le dubstep dégénéré de Skrillex rencontrant les plages aériennes de Cliff Martinez) qui caractérise à merveille toutes les envies et les dérives de Korine. Le point de non retour sera atteint lors d'un dernier acte barge, entre cauchemar fluo et fantasme nocturne, qui ne nie pas une surprenante mélancolie.  

SPRING BREAK FOREVER BITCHES !


L'Enfant Miroir (1989) Philip Ridley : Le Garçon et la Mort

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Il y avait sans doute quelque chose dans l'air dans le cinéma de la fin des années 80, en tout cas quelque chose de suffisamment révélateur et lourd pour que, aux quatre coins du monde, l'on vit apparaître de si étranges portraits sur l'enfance, tous baignant dans une matière plus faite de cauchemars que de rêves. Citons Celia, Paperhouse, Parents, Léolo, Laurin, La compagnie des loups (et sa continuation The Magic Toyshop) ou bien cet Enfant Miroir, retitré agressivement en vidéo L'Enfant Cauchemar. Plus racoleur, plus vendeur, mais trompeur aussi.


Oeuvre intense et discrète, L'enfant miroir fait naître le talent d'un auteur fasciné et fascinant, Philip Ridley, sortit récemment de sa longue traversée du désert avec un barkerien Heartless. Le ton, plus urbain et plus moderne, dissimule assez bien la vraie nature du bonhomme, dont les premières (et uniques) oeuvres de cinéma l'apparentaient davantage à un disciple de David Lynch. Là où l'analogie est plus intéressante, c'est que l'un ne singe pas l'autre, loin de là.

Les deux hommes ont dû d'ailleurs vénérer et imiter à leur manière La nuit du chasseur, grand classique du bizarre, du beau et l'insaisissable, qui élevait le drame et le thriller au stade de pure cauchemar de gosse. L'équilibre entre la fantasmagorie et la violence du réel, dissimulée derrière de vaines apparences (la fameuse american way of life qu'on aime piétiner), trouve ainsi sa place dans L'Enfant Miroir, qui ne dresse qu'un vague repère temporel (les années 50) pour ériger au final une fable cruelle et intemporelle.


Quelque part aux États-Unis donc, le petit Seth passe son temps à parcourir les champs de blés, dans une zone rurale dépouillée et mortifère, télescopant les horizons de Magritte ou de Grant Wood (en particulier son fameux American Gothic). Entre deux jeux interdits, le bambin se trimballe entre une mère fanatique et hystérique, un patriarche honteux, et un frangin revenu fraîchement de la guerre (un tout jeune Viggo Mortensen en simulacre de James Dean ténébreux et abîmé).

Une cellule fragile, ou les repères moraux vacille d'un jour à l'autre, entre les croyances hostiles et les non-dits. Seth reflète à sa manière la folie de ceux qui l'entoure, et réinterprète alors malgré lui les névroses du monde des adultes (la frustration, le deuil, la honte, la vieillesse...). Une réinterprétation qui ira jusqu'à la tragédie (grand thème central de l'oeuvre de Ridley), possédé par l'idée que sa triste voisine est une vampire (très inquiétante Lindsay Duncan, dont le monologue final en scotchera plus d'un), et voyant dans un foetus en décomposition un ange tombé du ciel.


S'il fallait dresser une autre similitude avec l'univers Lynchien, c'est la bizarrerie latente et la menace sourde qui imprègnent toutes les images du film, les symboles qui se chuchotent et les étrangetés qui se gardent de toutes explications.
Face parfois à l'incongruité ou à l'horreur des situations, Ridley réplique par un lyrisme ébouriffant, que la musique (hélas jamais commercialisée à ce jour) de Nick Bicat souligne avec une ardeur et une passion incroyable. Un très grand film.

Le film est à (re)découvrir le 31 Mars au cinéma Comoediaà Lyon, dans le cadre de la rétrospective Évanescente Innocence du festival Hallucinations Collectives : http://www.hallucinations-collectives.com/?saison=2013


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