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Channel: Mais Ne Nous Délivrez Pas Du Mal
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Twin Peaks (1990/1992) David Lynch : The Girl Next Door

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"- Do you think that if you were falling in space...that you would
slow down after a while or go faster and faster ?
 - Faster and faster, and for a long time, you wouldn't feel anything. And then you'd burst into fire. Forever. And the angels wouldn't help you, because they've all gone away..."
 Nous voilà au début des années 90 : David Lynch troque le velours bleu avec les rideaux rouges, débauche la télévision et tourne une page ; Laura Palmer passe l'arme à gauche : Twin Peaks naît.
Ce que Lynch sous-entendait dans Blue Velvet (une bourgade de rêve bâtie sur des cauchemars) il l'exploite d'un bout à l'autre dans sa série révolutionnaire, annonçant l'émergence d'un nouveau standard télévisuel, ce qui débouchera - Fox l'avait bien compris - lentement mais sûrement sur un certain X-Files. Car en effet difficile de ne pas voir un véritable défi dans le mariage entre l'univers barré de Lynch et la télévision, si peu encline à l'expérimentation et aux audaces. Lynch l'emporte, malgré quelques concessions, et ouvre une porte vers de nouvelles possibilités...

Il faut dire que Lynch a bien assaisonné les téléspectateurs par une formule banalisée mais à l'efficacité toujours démontrée : le whodunit. Tout comme l'oreille coupée de Blue Velvet, le corps glacé et plastifié de Laura Palmer, glissant sur son Styx, soulève assez d'effroi, de fascination et de questionnement pour accrocher le spectateur le plus lambda. La mélancolie qui frappe la ville de Twin Peaks, n'en est d'ailleurs que plus touchante, flèche assenée au coeur d'un havre de paix venant de perdre un de ses oisillons. Du moins, le pense t-on...


À Lynch donc de jouer sur son modus operandi favori, à savoir la destruction des apparences, qu'il n'a jamais poussé aussi loin qu'ici, faisant de chaque maison coquette un nid à névroses inépuisable. Laura Palmer n'est qu'un effet papillon moribon, révélant toutes les failles d'une société trop polie pour être honnête. Si le fil rouge glace le sang, les personnages vedettes - Dale Cooper, son magneto et ses cafés en tête - tirent plus vers le comique et les archétypes en tout genre (Donna l'oie blanche, Léo le méchant, James le beau rebelle, Lucie la gentille cruche, Audrey la peste...).

Mais alors qu'un soap idiot semble s'afficher sur chaque télé allumée à Twin Peaks, l'évidence saute rapidement aux yeux : Twin Peaks est un pure soap, avec ses mensonges, ses coucheries, ses rebondissements improbables, ses amourettes, ses coups bas, le tout parasité par le génie Lynchien qui consiste à nous faire oublier tout cela par la bizarrerie des situations, son cast génial et des ruptures de tons aberrantes. Il fallait en effet du cran pour proposer au public une série gorgée de tant d'éléments surréalistes (énigmes zarbies à tous les étages), effrayantes (les apparitions de Bob) ou lyriques à en perdre pied (les scènes musicales au Bang Bang Bar, cabaret paradoxal où les chansons de Julee Cruise semblent canaliser toute la tristesse du monde). Toujours sous cet angle, les scènes dans la Black Lodge, dimension parallèle où le temps éclate et les morts se mêlent aux vivants, semblent ainsi appartenir à Eraserhead, trouvant d'ailleurs un point d'orgue dans un dernier épisode sérieusement allumé.


Inachevée, la série s'épuise en raison de son concept à retardement : le coup fatal sera porté lors de la seconde saison, où Lynch révéle - sous pression - l'identité du tueur de Laura. L'épisode en question, le septième, ira aussi loin que possible dans la violence et le désespoir. 
Un traumatisme qui débouche sur une porte ouverte, laissant le reste de la saison élargir les sous intrigues (pas toujours intéressantes) et voir la plupart de ses aspects soap se retourner contre elle. Même l'arrivée de Windom Earle, un bad guy dégénéré digne d'un Joker sans maquillage, peine à relancer l'intrigue. Lynch, trop occupé à tourner Sailor & Lula, se relève bien moins concerné par son joujou, auquel il ne donnera pas de troisième saison malgré les supplications des fans. Mais mieux que cela, il offre à Twin Peaks une préquelle cinématographique, un fabuleux Fire Walk With Me relatant les sept derniers jours de Laura Palmer.


Mal accueilli voire lapidé, il n'en reste pas moins un des chefs d'oeuvres de son auteur, à la fois pièce manquante de la série et fausse conclusion bouleversante. Loin des studios de télé, Lynch prolonge le plaisir avec une mise en scène evidemment bien plus léchée, quitte à se permettre ce qu'il ne pouvait pas montrer à la télé (l'hallucinante scène d'orgie au relais par exemple). Difficile d'imaginer en effet sur petit écran le calvaire et les dérives d'une jeune lycéenne cocaïnomane, princesse le jour et pute la nuit, qui brûle sa vie en rêvant sa mort.
Indépendamment de la série, le film fonctionnera étrangement (mais probablement) pour les non initiés (de nombreux éléments se rapportant à la série ont été d'ailleurs sucré), peut-être autant que les derniers Lynch en date ; les connaisseurs se régaleront cependant, à condition d'accepter la noirceur vertigineuse du récit, qui se débarrasse de toute la légèreté de la série (et de beaucoup de ses lieux communs, comme le fameux Hôtel du Grand Nord). Sans barrières, Lynch nous renvoi en pleine gueule l'horreur du destin de Laura, tragédie sordide (et incestueuse) digne du pire des faits divers crapoteux.


Hallucinée voire Zulawskienne, Sheryl Lee marque au fer rouge sa candeur accablante, ange déchu étrangement conscient de sa condition (et donc d'autant plus touchante). Dans ce destin sans espoir, dans ce reflet d'étoile morte, on retrouve les germes du défunt projet qui avait lié David Lynch et Mark Frost sur la mort de Marilyn Monroe, et donc un talent tel qu'il réussit à rendre une belle inconnue aussi poignante que la star mythique. 

Twin Peaks, c'est le Lynch que nous connaissons, avec son humour absurde, ses cauchemars prêt à nous sauter à la gorge, ses dimensions obscures, ses larmes qui coulent, mais surtout ses créatures aux coeurs écorchées, telle Laura, proche cousine de Dorothy Vallens ou de Diane Selwyn.
Dans ses dernières minutes, Fire Walk With Me résonne comme une mélodie lointaine se perdant dans l'espace, comme un épitaphe brûlant qui vous frappe le coeur. Même encore une vingtaine années plus tard, peut-être même plus...



Clip (2012) Maja Milos : Le Péril Jeune

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Force est pourtant de constater que la volonté de choquer s'est diluée à présent dans le cinéma d'auteur, qui se rassasie ouvertement des perversités du monde. Mais ce n'est pas le vague parfum de scandale qui émane de Clip qui surprend le plus, mais plutôt sa continuité troublante avec une autre odyssée teen sulfureuse : un certain Spring Breakers. Non pas dans le traitement, mais dans le constat qu'il dresse, dans les images qui illustrent les quelques jours d'une nymphette serbe...

Le premier mot qui viendra à la bouche c'est évidemment Larry Clark, le roi incontesté de la dérive adolescente, lui-même lié pertinemment à Harmony Korine. On y retrouve l'approche quasi-documentaire, le gommage total de toutes concessions, la sexualisation du corps adolescent mais aussi le choix de se confronter à un rejet évident, de subir l'ultime outrage : tout y est.
Et tout cela se profile sur une trame, qui pourrait continuer encore et encore : l'on suit la vie de Jasna, une adolescente de 16 ans ne donnant un sens à sa vie que dans les soirées arrosées, les prises de drogue et le sexe.


Là où Korine privilégiait un ton hallucinatoire et quasi-onirique, la jeune Maja Milos reste plus terre à terre et ne perd pas une miette des beuveries et des errances de son héroïne qui, comme les belles garces de Spring Breakers, provoque un curieux mélange de fascination et d'antipathie. Que le film se déroule en Serbie ne change pas grand chose (si ce n'est un background local plus amer) : il pourrait aussi bien se passer en France, au Brésil, en Angleterre...

Jasna est l'esclave consentante d'un mouvement élevant les plaisirs élégiaques au rang le plus vulgaire, où la pudeur, le respect, et la beauté semblent définitivement bannis de tout vocabulaire. Génération Nabila, où le moindre geste passe par les smartphones, où chaque moment s'encode en avi ou en mkv, poussés un peu plus par l'envie de se voir, d'être vu et de se revoir. C'est le royaume des duck faces, l'empire du string et du gloss, le règne des jambes écartées.


On retrouve cette même "aspiration par le vide" que chez Korine, et les même moyens de régresser par les excès les plus sauvages : les nombreuses scènes de fellation non simulées renvoient volontairement à la banalité crasse du porno, à son obscénité sous vide. Car le porno, c'est aussi la culture fondatrice des jeunes protagonistes du film, où la fille/femme, fière d'être libertine et d'exhiber son corps, oublie qu'elle en devient un objet, un fantasme malléable. Les scènes de sexe entre Jasna et son petit copain soulignent toute la portée de ce fonctionnement, aussi bien quand l'héroïne se réduit au rang de chienne en collier, que lorsque son copain se masturbe non en pas en l'a regardant, mais en mattant la vidéo qu'il a sous ses yeux.


Ce qui rend souvent Clip fascinant et même d'autant plus grave, ce n'est pas son racolage volontaire, mais ses scènes familiales, ruptures de tons obligatoires où l'on comprend que Jasna se sert de ses excès pour oublier une réalité trop triste ou trop banale, devenant odieuse avec ses proches et se privant de toutes émotions. La mécanique du fantasme, plus alléchante, moins complexe, l'a entraîné.

À la réalisatrice de déceler alors ce qu'il y a derrière ces images ordurières, de savoir si les sentiments peuvent encore perdurer : l'amour, la jalousie, la peur de la perte, la nostalgie...tout ça est encore là quelque part, mais noyé dans la fureur et l'obscénité.

Black Emanuelle (1975-1982) : Femme Libérée

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Recette bien connue, la déclinaison d'un grand succès par ces petits malins de ritals s'est acoquinée à tous les genres possibles. Alors que la belle Emmanuelle de Just Jaeckin part frétiller à Bangkok et s'octroie une suite l'année suivante, l'Italie va offrir sa réponse au succès français : il débauchent une jolie figurante d'Emmanuelle 2, une superbe indonésienne du nom de Laura Gemser et en font leur Black Emanuelle (et avec un seul m pour éviter tout problème de droit).
Moins éthérée et moins candide que son modèle, Gemser éblouit à son tour par son naturel et sa beauté lumineuse, régulièrement mis à mal par une série de films s'affranchissant de nombreux tabous. Lorsque Joe d'Amato, devenant progressivement le pape du Hard italien, s'empare de la déesse, il transforme les leçons de plaisirs en film d'aventures trash, faisant de Black Emanuelle une héroïne bien plus intéressante que sa cousine hexagonale ! Une escapade dans un cinéma bis qui ne connaissait aucune limites : tour d'horizon...



* Black Emanuelle en Afrique / Emanuelle Nera (1975) Bitto Albertini :
Il fallait donc lancer la belle Emanuelle sur la route du vice, et pour ce, autant commencer par ce qui se fait de plus exotique : l'Afrique. A y regarder de plus près, et hormis le fait que la jeune Emanuelle ne soit pas mariée, l'intrigue est très largement empruntée au film de Jaeckin : tout comme son homologue française, Emanuelle zone dans un hôtel bourgeois à l'étranger et y découvre le plaisir charnel, en l'occurrence ici auprès d'un couple aux moeurs libertines (comptant d'ailleurs une Karine Schubert bien peu mise en valeur par sa coupe de garçonne fatiguée). Reporter, Emanuelle explore la région et photographie tant qu'elle peut, quand elle ne couche pas avec quelqu'un (et si ce n'est pas elle, quelqu'un d'autre s'en chargera !).

Tout ça est léger, très léger : la fantaisie sordide d'Amato n'a pas encore pris place dans l'univers de Black Emanuelle, et il faut se contenter de voir évoluer la belle Laura Gemser dans des décors de cartes postales, très souvent en compagnie de Gabriele Tinti, son mari à la ville qui restera fidèle au poste sur le reste de la saga. A défaut d'être trash, ce premier opus est très régulièrement caviardé d'inserts hard totalement hors propos (la doublure de Gemser a bien cinq ou dix kilos en plus...), le tout enrobé dans un esprit d'une finesse incomparable (le raccord pompe à essence/pénétration, ooooh mais dites moi...). C'est trop peu, hélas. Mais les aventures de la jolie métisse ne fait que commencer : Gemser ne fut cependant pas concernée de suite ; alors que le flambeau est repris par d'Amato, Albertini tourne dans son coin un piteux Emanuelle Nera 2, qu'on passera gentiment sous silence. Pas fatigué, il signe même en 77 Yellow Emanuelle !



* Black Emanuelle en Orient / Emanuelle Nera : Orient Reportage (1976) Joe d'Amato :
Si le très bisseux Joe d'Amato prend ici le relais, il n'en reste pas moins que cette première suite est la plus mauvaise de toutes ! Les festivités, sans surprise, se déroulent entre la Thaïlande (avec ses fameux massages) et le Maroc, le tout agrémenté des habituelles orgies/scènes saphiques/scènes d'amour dont la série Black Emanuelle a le secret. Si on pouvait excuser la platitude du premier volet qui se contentait de mettre en route la machine, on se surprend à voir un d'Amato bien gentillet et pas encore taraudé par ses obsessions morbides et poisseuses. Reste une faute de goût assez ahurissante pour être signalée : une scène de viol où Emanuelle, attrapée par une poignée de gardes patibulaires, finit par accepter son sort et remercier ses ravisseurs !! Très classe...



* Black Emanuelle en Amérique / Emanuelle in America (1977) Joe d'Amato :
Avec ses tendances bien mal placées comme il faut, Joe d'Amato avait compris qu'il fallait pimenter les aventures de sa belle héroïne en la parasitant de situations de plus en plus incongrues, faisant glisser le graveleux vers le scabreux, puis définitivement vers l'horreur. La douce se lance dans des missions visant à infiltrer des demeures bourgeoises pas très nettes, et dont elle compte bien dévoiler l'envers du décor. Au delà des trafics habituels (femmes, armes....) et frivolités de rigueur (dont une scène de triolisme lesbien dans une piscine et une partouze dans un palais vénitien), on passe tout de même à une autre étape : d'Amato ne se gêne pas de franchir la barrière de la zoophilie (avec des soins non simulés prodigués à un cheval surexcité) puis du gore, avec une insistance inattendue sur des vidéos snuffs (fake évidemment).

Fugaces mais diablement marquantes, ces excursions vers l'horreur ne font pas de cadeaux, véritables échantillons infernaux et muets qui dépassent en sadisme certaines scènes de Cannibal Holocaust ou de Salò : même le réalisme estomaquant des maquillages dénotent avec le gore plus amateur auquel nous habitue souvent Amato. Fini les globes-trotters de rêve, d'Amato nous renvoie aux heures décadentes du Mondo, qui nous rappelait que notre planète était un enfer à ciel ouvert. Mais le ton de l'épilogue se permet aussi quelques échappées, se moquant ouvertement de l'exotisme toc dont la saga Black Emanuelle aime généralement se repaître !



* Emanuelle chez les cannibales / Emanuelle e gli ultimi cannibali (1977) Joe d'Amato :
Si le précédent opus ne se teintait d'horreur que dans sa dernière partie, qu'à cela ne tienne : ici d'Amato croise Emanuelle avec le cannibal-flick, très en vogue en Italie. On commence donc à New-York (comme souvent), notre héroïne sans peurs s'infiltrant dans un asile où il ne se passe pas des choses franchement catholiques. Quelques heures plus tard, la voilà débarquant en Amazonie à traverser une jungle qui a la saveur du danger ; méchant serpent, sables mouvants, trafiquants louches...et cannibales bien sûr. Résultat, une nonne se fait arracher un téton et cette gourmande de Susan Scott (ici très en forme) se fait dépecer : farfelu, racoleur et épicé, ce cross over déroutant a tout du plaisir coupable.



* Vicieuse Emanuelle / Velluto Nero (1976) Brunello Rondi :
Entre ses retitrages semant le doute (en dvd, il fut rebaptisé Black Emanuelle, White Emanuelle, qui est le titre d'un autre sexploitation de la même époque surfant sur le même filon) et la présence de Laura Gemser dans le rôle d'Emanuelle, ce Velluto Nero se l'a joue fausse suite l'air de rien, comme le piètre rape and vengeance Emanuelle, Queen of Sados (avec toujours Gemser). Devant l'objectif, et non derrière comme à son habitude, Emanuelle prend la pose en Egypte dans un second rôle se frayant un chemin dans des chasses-croisés sulfureux en plein désert. Il faudra donc tisser un lien entre la belle, une bourgeoise nymphomane et ses deux filles plantureuses (dont la superbe Annie Belle, qui fut en tête d'affiche de deux sous-Emmanuelle de la même époque : Annie et la fin de l'innocence et Laura, adapté justement d'Emmanuelle Arsan !), des gourous de pacotilles (incarnés par Al Cliver et Feodor Chaliapin) et un photographe aux tendances vaguement nécrophiles. S'il se rattache très vaguement au reste de la saga, il n'en reste pas moins (et curieusement) l'un des meilleurs !

Tourné dans un scope sublime avec le scénariste attitré de Fellini aux commandes, le résultat joue la carte de la ballade ellegiaque et morbide, où viennent s'incruster des scènes de rites étranges aux confins du fantastique. Sans compter des scènes de shoot photos hallucinantes, où la belle Emanuelle est priée de s'acoquiner avec des charognes et des cadavres encore chauds ! Envoûtant, fou et relevé par un superbe score, c'est bien la perle noire de cette saga.



* Black Emanuelle autour du monde / Perché violenza alle donne ? (1977) Joe d'Amato :
 Décidément très motivé par le tournant trash qu'il vient d'opérer, Joe d'Amato signe et persiste sous un motif vaguement féministe : les femmes s'en prennent plein la gueule, c'est moche, et Emanuelle compte bien s'occuper de tout cela. Un prétexte pour s'appuyer sur des humiliations sexuelles en tout genre (dont des viols zoophiles, merci au serpent et au berger allemand, tous deux très motivés !), d'un harem de pacotille en passant par les méchants chinois sadiques et des plans glauques new-yorkais où les clochards viennent se défouler sur de la viande fraîche. Un racolage évident qu'il vaut mieux prendre au second degré, où l'on passe d'une scénette à une autre sans parfois se soucier des ruptures de ton abyssales (dont l'intervention d'un freaks queutard tout droit sorti d'un giallo).



* Emanuelle et les collégiennes / Suor Emanuelle (1977) Giuseppe Vari :
Une nouvelle pause pour Emanuelle dans cet épisode qui ne reprend d'Emanuelle que son nom ! À l'inverse du très malsain Velluto Nero, Suor Emanuelle surprend par les distances qu'il prend vis à vis du reste de la saga ; mais des distances étonnement bénéfiques ! Bonne soeur impassible et glaçante, Soeur Emanuelle s'en va discipliner une adolescente délurée et nymphomane dans un couvent perché quelque part en Italie. Réalisé par un habitué de la sexy comédie qui a décidé ici de mettre la pédale douce du côté humour gras, Emanuelle et les collégiennes reste à ce titre la plus lumineuse (bien qu'une touche de sadisme vient égayer l'épilogue) et la plus émoustillante des aventures d'Emanuelle,  plongeon rafraîchissant dans l'univers de la nunsploitation.



* Emanuelle et les filles de Madame Claude / La via della prostituzione (1978) Joe d'Amato :
Alors qu'Emanuelle était elle-même un dérivé de l'héroïne de Just Jaeckin, voilà que d'Amato se permet un cross over avec Madame Claude, qui fut justement le troisième film érotique du Papa d'Emanuelle après Histoire d'O ! Bien que décidé jusqu'ici à offrir une tournure épicée aux aventures de la reporter, le résultat est pourtant bien décevant, offrant d'abord un voyage coquin au Kenya (où Emanuelle et sa copine partage tout et gambadent dans la savane entièrement nues) avant de revenir sur des affaires de prostitution hélas bien mornes. Seul le compositeur Nico Fidenco (qui signe son score le plus disco) et Laura Gemser (qui finira le film en offrant son corps à tout un équipage !) semblent encore vivants dans cette affaire.



* Révolte au pénitencier de femmes / Emanuelle fuga dell'inferno - Pénitencier de Femmes / Violenza in un carcere femminile (1982) Bruno Mattei & Claudio Fragrasso :
Le WIP était donc le dernier bastion du cinéma d'exploitation que la douce Emanuelle n'avait pas exploré : ce sera donc le cas, dans un dernier voyage au bout du bis...et plutôt deux fois qu'une ! Car, fait curieux, Bruno Mattei et Claudio Fragrasso s'accordèrent le temps de ces deux films quasi-identiques, et d'ailleurs tout aussi médiocres. Dans tous les cas, cette aventure pas vraiment glamour au fond de cellules crasseuses (où Emanuelle s'infiltre dans le but de dénoncer des pratiques honteuses) se donnent à fond dans le sexe et la violence : état de siège barbare, combat excrémentiel, rats grignoteurs...le cahier des charges du bon WIP de familles est remplit scolairement, et comblera sans doute quelques amateurs du genre, bien qu'on pouvait aisément se tourner vers des perles du genre bien plus gratinée à la même époque, comme le dyptique de Oswaldo Del Oliveira (qui réalisa d'ailleurs un sous-Emmanuelle intitulé sans ambiguïté A filha de Emmanuelle !) Bare Behinds Bars et Amazon Jail.

Evil Dead (2013) Fede Alvarez : La chair est faible

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On a bel et bien pris l'habitude depuis quelques temps d'accepter l'arrivée de bons nombres de remakes, en particulier vu les multiples réussites qui émaillent à présent le cinéma d'horreur à l'heure du revival. Une habitude telle que ce remake du légendaire Evil Dead a reçu un accueil inverse à celui qu'on réservait en général aux classiques dits intouchables : de la méfiance, on passe à l'impatience généralisée. Tant d'impatience que promo se gênera pas pour s'approprier le buzz avec une affiche racoleuse au possible (the most terrifying film you will ever expérience...) : et si tout ça était un petit peu...trop ?

Au delà du fait que le classique de Raimi, chef de file du "débrouille toi avec tes potes-movie", a été bien trop pompé jusque dans les circuits Z, il ne fallait pas se oublier que Raimi avait déjà entamé le travail avec un Evil Dead 2 d'ailleurs bien supérieur à l'original. Le choix de se laisser aller au second degré décomplexé permettant ainsi à ce carnage forestier de bien mieux vieillir, à l'inverse d'un premier volet dont on admire surtout actuellement la débrouillardise. L'autre gêne, vis à vis de ce nouveau remake, c'est aussi la sortie l'année dernière de Tucker & Dale fightent le mal, et (surtout) de La Cabane dans les bois, qui s'amusaient des codes du cinéma d'horreur et surtout de ceux du film de Raimi, dont ils reprenaient le décor principal. Le défi de donner assez de sang neuf à cette nouvelle monture reste donc assez conséquent. À Raimi d'aller parrainer donc un petit malin (dans lequel il doit sûrement se retrouver), Fede Alvarez, auquel on doit Ataque de Panico, un court de SF déglingué et plein de ressources qui avait fait vrombir YouTube en son temps. Un CV peu négligeable pour ce baptême du feu...


Plutôt que la copie carbone, Alvarez garde la trame de surface et opère de menus détails : ainsi, le plus appréciable sera de faire de sa bande de jeunes, non pas d'énième fêtards, mais un groupe réuni pour le sevrage de leur amie junkie. Une dramatisation à double tranchant, car peu effective : les personnages finissent par rester de la chair à canon, autant que ceux de l'original, et malgré toutes les horreurs qui défilent à l'écran. Paradoxal.

En matière de débordement et d'approche, Alvarez se grille pourtant dès une introduction massive et hystérique, symptomatique d'une industrie horrifique trop occupé à choquer à tout prix son auditoire. Si la suite se rattrape en évitant les jump-scares de rigueur, l'étalage de mutilations hallucinantes (ça se plante des clous dans la gueule, ça s'arrache la mâchoire, ça lèche des cutters...) et de gore cradingue confirment toujours plus le recours à une horreur graphique visant à en faire toujours plus. Car, malgré le premier degré affirmé, le Evil Dead nouvelle génération a un gros soucis : il ne fait absolument pas peur. Et la plastique irréprochable de l'ensemble, l'exploitation maligne du décor, et le soin de la réalisation n"y changent rien : on n'est guère surpris ou ébranler, si ce n'est par la qualité indéniable des maquillages.


Ce côté fan service, jusque dans la reprise de motifs célèbres (la tronçonneuse, le collier, le livre des morts, la main possédée...) a beau se dérouler dans le plus grand des respects, il n'est jamais aussi intéressant que lorsqu'il prend ses propres libertés : durant les dernières minutes, proprement apocalyptiques, Elvarez prend enfin le taureau par les cornes et improvise, même s'il se rapproche très ouvertement de The Descent. Et ça marche. Or, on était bien en droit de savourer la même impression durant tout le reste du métrage, se réduisant surtout à une "jolie" boucherie...

Stoker (2013) Park Chan Wook : Do Not Disturb

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Le défi du réalisateur étranger défié, pour ne pas dire engloutie par la machine Hollywoodienne a toujours été, et sera toujours, un point délicat au sein de l'industrie cinématographique. Un tournant se conjuguant parfois avec castration symbolique, liberté menacée et tensons diverses, qui demanderont à l'auteur soit de laisser sa personnalité sur le chemin, soit de singer parfois excessivement une formule déjà connue (on ne compte plus les "auto-remakes").
Alors que le remake de son Old Boy est déjà entamé par Spike Lee, Park Chan Wook emprunte enfin le pont d'or déployé par Hollywood, d'ailleurs la même année que son confrère Kim Jee-Woon : difficile d'aborder tranquillement la rencontre entre le monde impitoyable des studios et celui, très jusqu'au boutiste de Wook, qui n'a eu de cesse d'ausculter l'âme humain dans ce qu'elle avait de plus noire au détour de quêtes vengeresses. Même son Thirst allait à l'encontre de la vague Twilight en opposant aux cachets d'aspirines de Stephanie Meyer, des créatures hyper-sexuées, fiévreuses et sanguinaires.


Définitivement malin, Park Chan Wook évite avec Stoker, tous les pièges tendues par l'industrie : il adopte pour cela un scénario "simple" qui pourrait, dans de mauvaises mains, se transformer en thriller domestique sans grand intérêt, comme, entre de bonnes, en conte dégénéré. Inutile de dire vers quoi tend le résultat final...
Endeuillée le jour de son 18ème anniversaire par la mort accidentelle de son père, India voit arriver dans sa vie la silhouette d'un oncle mystérieux et séducteur, dont les intentions restent particulièrement troubles. Regards lourds, jeux de mains, secrets de polichinelles : la situation s'envenime très vite pour India et sa mère, veuve trop vite charmée par l'arrivée de se mari de substitution rêvée.


L'incroyable générique où chaque lettre semble participer à l'action souligne déjà la singularité d'un projet qui dépasse toujours plus son statut de thriller hitchockien : à la manière de l'élève DePalma, Wook se souvient que l'on peut transcender un point de départ relativement classique par la virtuosité de sa mise en scène, ici fluidifiant une histoire à la finalité particulièrement perverse.

Obsession des raccords, des cadrages parfois étranges, de l'image yoyo et du fétichisme ambiant (où comment une paire de chaussure symbolise le passage de l'adolescence à l'âge adulte) : tout concorde à donner à cette tragédie familiale des allures de fantasme tordu, à choyer la beauté dans le bizarre (la nature semble être un personnage à part) et à faire grandir le vertige. Wook se montre étonnement plus inspiré et plus posé (comprendre moins d'hystérie), tout en préservant la folie galopante de ses personnages (tous ambigus voire tarés), les éclairs de violence sanglants, et la cruauté exquise qui faisait le prix de son cinéma antérieur (fascination pour le thème de la vengeance et des mécaniques tordues).


Et si Stoker se plaît à mettre en avant sa virtuosité avec une poésie déroutante (l'incroyable scène du piano à quatre mains), il n'en oublie pas de diriger un casting digne de ce nom,  confrontant un Matthew Good magnétique (qui aurait pu faire un Norman Bates parfait) à une Mia Wasikowska épatante, weirdos en fleur dont la mine boudeuse et les dérapages presque scabreux nous rappellent au bon souvenir d'une certaine Jennifer Jason Leigh. Kidman, poupée de cire hitchockienne, se retrouve plus en retrait face à ce duo de la mort. Rien qui gâche cependant cette entreprise emplie d'un somptueux venin.


Only God Forgives (2013) Nicolas Winding Refn : Dragon Rising

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La division que provoquera (et provoque déjà !) Only God Forgives pourrait se résumer au mélange de huées et d'applaudissements rapportés lors de sa projection Cannoise. Pas vraiment très redondant ni particulièrement conformiste, Refn a tendu une nouvelle fois un piège à ceux attendant fermement ce qui semblait être un Drive Made in Thaïlande, incluant le retour de Ryan Gosling, de Cliff Martinez à la musique, et de cette esthétique hypnotique qui faisait le prix du précédent opus. Antithèse du faux polar mais vrai conte urbain qu'était Drive, Only God Forgives sabre les attentes, permettant une fois de plus à Refn de pratiquer recyclage thématique et de poser de nouveaux pions dans son cercle filmique.


L'expérience est, il faut l'avouer, ensorcelante mais aussi particulièrement déroutante : on y retrouve l'abstraction de Valhalla Rising, qui délestait ces promesses d'aventures ; tout comme l'isolement des vikings, la mort d'un tortionnaire n'est que le prétexte à une spirale absurde de violence, telles des vignettes dégénérées creusant un peu plus la noirceur de l'âme humaine et de ses personnages en perdition. Le tout traversé par la silhouette d'un flic mystérieux, dont l'autorité quasi-divine lui fait rétablir la justice à coups de lame.
 C'est le goût pour les règlements de compte véreux, où on se salit les mains à outrance, à quelques encablures de celles de Pusher. Si Drive fit autant impression, c'était sans conteste grâce à la manière avec laquelle Refn avait réussi à tendre une corde accessible au grand public : OGF, lui, livre une mécanique inverse, contemplant son action avec minutie et inquiétude, cisaille ses plans comme autant de tableaux. Si Drive se plaisait aussi dans l'apesanteur, OGF tient plutôt du cauchemar éveillé.


On se doutait que la Thaïlande allait si bien inspirer Refn, qui se plaît à filmer ruelles borgnes, bordels kitchs et rings saturés, qu'il métamorphose en tant de labyrinthes et de fantasmes électriques. Il est clair que son obsession pour les trips de Kenneth Anger persiste, ce qui n'empêche de faire OGF (et après Fear X) son film le plus Lynchien, maniant les silences troubles, la distanciation grotesque voire comique et le décalage cotonneux (karaoké impromptu ou séquences de rêves...).



Refn maltraite et vénère sa figure masculine, qui ne sait pas - comme toujours  - gérer ses désirs et sa violence, opérant une symbolique de l'impuissance souvent plus qu'explicite (allant jusqu'à piétiner ouvertement l'aura et la beauté de son acteur principal). Un symbolisme de la virilité guère nouveau chez Refn, mais affiné et renouvelé par le personnage de Kristin Scott Thomas, cougar sanguinaire appelant à la tragédie grecque (rivalité entre frère, ombre oedipienne). Des symboles sans doute guère étrangers à la rencontre récente entre Refn et Jodorowsky, auquel le film est dédié ; les éclaboussures de sang se mêlant aux néons rouges, la figure de la "mother medusa" ou la rue filmée comme un songe menaçant étant eux mêmes des pulsations qui hantait le fabuleux Santa Sangre. Inspiré et brûlant, Only God Forgives n'est pas foncièrement plus réussi que Drive certes, mais il prolonge sans problème la séduction...
 


V/H/S & S-V/H/S (2012/2013) : Be Kind, Rewind

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Alors qu'il s'adapte maintenant à de multiples genres (et même sous-genres : cannibal flick, films de zombies ou de virus, de monstres, de possessions, d'aliens...)  - le found footage semble avoir bonne mine. Mais "sembler" n'est manifestement pas "être" : c'est même l'état du found footage d'horreur qui inquiète actuellement, répandu voire banalisé, mais en grande partie très décevant.
En réduisant de manière maligne notre perception de la réalité via des caméras subjectives tremblotantes, voilà un filon qui semblait pourtant promettre de belles nuits blanches. Et pourtant, il suffit de voir des titres comme les récents Devil Inside, Apollo 18, Grave Encounters et autres Paranormal activity pour s'en convaincre.

Surfant à la fois sur la mode du found footage et celui du film omnibus (comme The theatre bizarre ou The ABC's of Death), qui réussi à conciler rentabilité, économie et liberté. V/H/S, premier et deuxième du nom, semblent vouloir mettre un bon coup pied dans la fourmilière : mais vouloir chercher le buzz à tout prix peut s'avérer aussi à double tranchant.

 Il faut dès lors déjà subir un fil rouge laborieux (et heureusement écourté dans le second film), pur prétexte amenant des quidams (des vandales dans le premier film puis un couple dans le deuxième) à s'infiltrer dans une maison abandonnée en pleine nuit, avant d'y faire une découverte surprenante : une montagne de vhs gisant auprès de multiples postes de télévisions encore chauds, prêt à recevoir ses dossiers brûlants...



La grande qualité et paradoxalement le grand défaut de la plupart des récits mis en scène est de vouloir jouer la carte de l'originalité à tout prix : seulement, le moyen d'y parvenir va s'opérer très maladroitement, rendant passionnants des segments peu intéressants ou au contraire, va tendre à déséquilibrer certains. La surprise n'est pas un art aisé...


Ti West par exemple, manque de nous endormir avec la vidéo de vacances d'un couple plan plan. On attend alors l'élément perturbateur de cette virée, intervenant comme une délivrance gore mais sans intérêt dans un dernier tiers vaguement malsain. Toujours côté bonnes intentions, un slasher forestier à priori banal prend une direction quasi-experimentale, utilisant les défauts du format utilisé comme un moyen d'illustrer les horreurs de son récit. Pas très clair, mais bien tenté.


Mais la flippe est aussi de la partie, et ceci avec trois rien, avec cette discussion en vidéo-conférence entre un couple aux nuits agitées, le tout dans une situation évoquant fortement les Paranormal Activity. Et là où la banalité et la familiarité d'un tel récit réussit enfin à déboucher des frissons bienvenus, voilà qu'une chute incompréhensible - aux relents d'Outer Limits - vient cracher à la figure de son sujet. Très frustrant.
Constat identique pour l'excursion d'un groupe de copains costumés dans une maison apparemment vide un soir d'Halloween : par petites touches, des détails de plus en plus alarmants tendent à leur faire comprendre que la demeure est hantée par une présence malveillante. Grand moment de terreur à son tour désamorcée par une direction ultra-spectaculaire : la démonstration lasse.

Ironiquement, c'est le premier segment qui convainc le plus malgré des personnages idiots à souhait, ici un groupe de potes refilant à un leur copain timide une paire de lunettes "espion" dans l'espoir de filmer ses ébats. On en dira pas plus pour ne pas dévoiler l'issue cauchemardesque du récit et qui pourra peut-être ôter l'envie à certains de ramener des inconnues trop gentilles pour êtres vraies !



Le second volet, bien que tout aussi déséquilibré, fait parfois preuve de plus de malice et d'invention dans la manière dont il aborde le found-footage, privilégiant ainsi des point de vues dès plus surprenants : celui d'un zombie tout frais par exemple, nous obligeant à vivre le temps de quelques minutes le quotidien de ces créatures décharnées (non sans humour et tristesse), ou celui d'un chien, soudainement surpris lui et ses maîtres, par une invasion alien !

Si le segment d'Adam Wingard, une sorte d'Insidious en vue subjective sympathique mais un peu poussif, reste du niveau du premier volet, la ballade zombiesque de Eduardo "Blair witch project" Sanchez ou l'hallucinant Safe Heaven, du tandem Gareth Evans et Timo Tjahjanto restent de grands moments de folie. D'ailleurs, s'il fallait voir un seul segment sur les deux films, c'est bien ce Safe Heaven qui remporterait l'adhésion, descente aux enfers musclée, cauchemardesque et ultra-gore lors d'un envoyé spécial dans une secte aux intentions fort louches.

Qu'importe si le plan final, trop demonstratif, se revèle en trop ou si le sketch suivant, franchement pénible, a du mal à prendre le relais : alliant visions dantesques, malaise, et gestion incroyable de son concept, il s'agit bel et bien d'un des plus grands moments du cinéma d'horreur de cette année !
Alors, on efface ou on rembobine ?

L'Inconnu du Lac (2013) Alain Guiraudie : Conte d'été

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La présence et les répercutions de La vie d'Adèle et de L'inconnu du Lac, les deux événements queer du dernier festival de Cannes, ont vite fait de rétrécir le lien se tissant entre la fiction et l'actualité. En attendant que la fresque du Kechiche se dévoile, L'inconnu du Lac, lui, impose difficilement ses couleurs dans la rue. Une autre histoire bien sûr, faisant de l'ombre au contenu du film (mais pas à son exploitation !) qui ne ravira pas d'ailleurs les yeux les plus chastes. Qu'importe...

Après un Roi de l'évasion rafraîchissant, Alain Guiraudie trace à nouveau sa route vers un conte rural cette fois bien plus noir, même s'il prête de temps à autre à sourire. Tout n'est qu'une suite de tableaux autour d'un lac sans repères, où les voitures s'amassent tranquillement et les silhouettes nues se profilent sur les berges. Plage interdite et backroom improvisé, le lac est devenu un point de rendez-vous pour les homosexuels de la région, généralement peu assumés, mais ici trouvant un point de libération sans aucun équivalent. Au milieu, il y a un Frank, un habitué récent ne cherchant rien de particulier mais prenant un plaisir évident à ce parcours naturiste.


Si Guiraudie instaure une ambiance mi-obscène, mi-pittoresque, c'est pour mieux la menacer par un objet de fantasme ambivalent, le fameux "inconnu du lac", croisement anachronique de Magnum et d'une porn-star des 70's. Un sujet d'obsession vite freiné par un plan séquence dévoilant toute l'horreur tapie dans l'ombre : Frank, face à l'homme de sa vie, découvre qu'il est aussi face à un meurtrier.

La fascination du mâl(e), cette manière d'embrasser la mort sans se défaire de son trouble érotique : Guiraudie a visiblement bien saisi les fantasmes (pas si) lointains, de Genet, éternel amoureux des assassins et des voleurs. Mais à la sexualité morbide, L'Inconnu du lac lui préfère des étreintes passionnelles, crues certes (elles y sont rarement simulées, gimmick de plus en plus courant dans le cinéma d'auteur) mais solaires et vivantes. Une manière de se détacher du cinéma de Bruno Dumont, dont le film se rapproche régulièrement dans son épure.


La ballade hédoniste se mue en promenade incertaine, hantée par une inquiétude dévorant le métrage petit à petit : tout pourrait se résumer dans ces eaux faussement tranquilles, où chaque baignade pourrait être la dernière. Le climat champêtre mêlant ivresse sexuelle et tragédie à venir rappelle si bien celui de Regarde la mer de François Ozon (où l'héroïne découvrait un endroit similaire), dont il semble être parfois le pendant homosexuel.
Bien entendu, au delà du trouble jeté le long de ce lac, quelques maladresses trop courantes du cinéma d'auteur se font sentir : interprétation inégale, fin loupée, longueurs, ou un personnage d'inspecteur de police proprement ridicule qui semble s'être trompé de film. Mais autour de ce mélange de tendresse, d'effroi et de faune orgiaque, la fascination reste.

Tomb Raider (2013) Crystal Dynamics : Voyage au bout de l'enfer

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Revenu très largement à la mode au cinéma, le Survival représente ce pont surprenant entre le film d'aventures et le film d'horreur, éternel face à face de l'homme avec à la nature, confrontation inévitable à son instinct de survie et à ses pulsions animales. Il faudra attendre quelques années de décalages pour que ce parti-pris contamine le  jeu vidéo avec des titres comme I'm Alive, The Last of us, Hydrophobia...une contamination d'autant plus intéressante qu'elle redéfinit le jeu d'action/aventure en revoyant à la hausse notre implication face à l'action. Il est donc évident que l'une des licences les plus célèbres du jeu d'action et d'aventure revienne sur la scène pour profiter (et relancer) allègrement de ce tournant...


Dix sept ans plus tard (aouch...), que reste t-il de l'aventurière la plus pulpeuse de la planète ? Pas grand chose il faut le dire...
Reine incontestée des bugs, l'héroïne de Core Design avait commencé à montrer des signes de fatigue dès son troisième volet, avant de connaître une suite d'échecs. Et malgré la récupération de la licence par Crystal Dynamics, on ne peut pas dire que Lara Croft enchantait autant les foules qu'auparavant, allant s'intégrer naturellement - pour ne pas dire banalement - au coeur du monde vidéo-ludique.
C'est là que le lien avec le cinéma intervient à nouveau : l'ère des super-héros est devenu également l'ère des reboots, avec ceux de Batman, Spiderman et Superman, destinés à relancer des franchises déjà clôturées ou trop "lointaines" pour le public actuel. Lara Croft connaît alors un sort similaire, avec à la clef une promo massive qui, il faut l'avouer, se justifie assez bien. Car en effet, ce Tomb Raider nouvelle génération n'a rien d'un pétard mouillé.

Histoire d'appréhender à nouveau les bases de leur heroïne, Crystal Dynamics et Square Enix misent (tout comme les reboots des héros cités plus haut) sur la préquelle : l'idée avait déjà été abordé par Core Design dans leurs derniers volets (le quatrième en Egypte puis le faiblard Sur les traces de Lara Croft) sans grand succès. En vadrouille sur l'océan pacifique, la belle et son équipage échouent sur les côtes d'une île mystérieuse, dans une atmosphère tendance triangle des Bermudes. Battue par des tempêtes incessantes, l'île semble peuplée de mercenaires vindicatifs ne défendant apparemment pas que de simples vestiges...


C'est donc au gré de cette aventure éprouvante que Lara se forgera en temps qu'aventurière et guerrière, jeune fille encore naïve mais débrouillarde. Ce qui frappe ici, en plus des graphismes majestueux, c'est sans doute la sauvagerie avec laquelle les concepteurs du jeu reviennent sur le personnage de Lara : autrefois fantasme pulp intouchable et irréel, elle devient ici une victime ravissante, mais victime tout de même, qui ne vit plus une simple aventure mais un véritable martyr !

Ce réalisme (toutes proportions gardées) ultra-spectaculaire, auréolé d'une violence carrément gore, ne se réclame plus, comme autrefois, d'Indiana Jones : à ses origines plus proche du serial et de la bd, le Tomb Raider d'aujourd'hui se réclame fermement de Rambo, de The Descent (avec des clins d'oeils éléphantesques au film de Neil Marshall) et du cannibal flick à l'italienne (comment ne pas penser à l'atmosphère poisseuse des films de Deodato ?). Les visions de charniers encore chauds et de cadavres grimaçants éloignent clairement Tomb Raider de la cible grand public qu'il visait autrefois, ou de son pendant masculin Uncharted. Surprenant, mais salutaire...



Parachutant son héroïne au milieu de situations invraisemblables et vertigineuses, Tomb Raider retrouve l'essentiel de son concept : nous faire sentir un véritable sentiment d'aventure (malgré des chemins plus tracés qu'autrefois), jusqu'à faire resurgir un instinct de survie inédit jusqu'ici dans la trilogie (les combats à l'arc nous ramène aux combats de John Rambo ou de Dutch dans Predator).

Mais malgré les efforts fournis, il faudra tout de même subir un scénario très linéaire et des personnages sans grande conviction, Lara compris hélas. Aussi abîmée soit-elle, Lara reste alors une poupée, une poupée de sang certes, mais encore transparente au delà de sa quête acharnée. Un point noir qui n'empêche pas de profiter pleinement d'un reboot à la fois mérité et audacieux...

La Foire des Ténèbres (1983) Jack Clayton : Pandemonium

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S'il fallait trouver le témoin parfait de la période noire de Walt Disney, qui débuta dans les années 70 avant de frapper de plein fouet les 80's, ce serait bien bel et bien cet étrange et superbe Foire des Ténèbres (perdant du coup sur notre territoire son beau et long titre original : Something Wicked this way comes). Un exemple probant côté films "live", car du côté de l'animation, on citerait plus volontiers Taram et le chaudron magique...

Au début des années 80, les studios Disney se retrouve à l'apogée d'une impasse, affrontant les répercutions dramatiques de la mort du géant. Malgré une ambition à la traîne (seulement quatre films d'animation sur une décennie avant le coup d'envoi de La Petite Sirène), l'écurie côté film "live" tente de se diversifier dans de multiples genres, révélant à la fois une étonnante maturité et des prises de risques inédites. Loin des comédies pouët-pouët et animalières qui ont fait leur gloire, voilà que Disney propose de la chronique adolescente (Tex), du space opera (Le trou noir), de l'heroic-fantasy (Le dragon du lac de feu), de la SF avant-gardiste (Tron), du drame psychologique (Amy), de l'espionnage farfelue (Condorman)...ce qui amènera à des oeuvres evidemment intéressantes, mais aussi à des échecs commerciaux importants, Disney se perdant en route à ne plus savoir quel public viser.
Autre genre impensable qui fut alors concerné : l'épouvante. Alors que John Hough ouvra la voie avec un déjà assez inquiétant Les yeux de la forêt, Jack Clayton, à qui l'on devait le plus beau film de fantômes jamais filmé - autrement dit Les Innocents - est convoqué pour adapter Ray Bradbury. Un choix remarquable vite escamoté par la pression des studios...


Nous voilà à Greentown dans les années 20, une petite ville américaine comme tant d'autres mettant enfin un pied dans le mois d'Octobre. À quelques jours d'Halloween, Will et Jim, deux enfants du patelin, guettent l'arrivée d'une mystérieuse foire, surgissant au milieu d'une nuit. C'est alors que commence la disparition de nombreux habitants, dont les désirs et les rêves deviennent l'essence de ce luna park de l'horreur, dirigé par le malfaisant Mr Dark (campé par un charismatique Jonathan Pryce, bien éloigné du petit anglais fébrile qu'il sera dans Brazil deux ans plus tard), toujours flanqué d'une splendide sorcière (incarnée par Pam Grier !) en guise d'âme damnée. Un sujet qui sera repris librement par un certain Stephen King (admiratif du livre de Bradbury) à l'occasion de son fameux Bazaar...

Cependant, ll n'a pas fallu attendre le début des années 80 pour que le projet naisse : Bradbury avoue avoir même envoyé un exemplaire de son livre au géant Walt de son vivant, qui apprécia certes le travail de l'écrivain mais souligna au passage son incompatibilité avec l'univers de son studio !
La foire de Bradury passe alors de la Fox à la Paramount (filant entre les doigts de Sam Peckinpah ou de Spielberg !), avant d'échouer au Studio Disney, alors à la recherche d'une oeuvre inhabituelle.
Si le binôme Bradbury /Clayton s'accorde aimablement, on ne peut pas en dire autant avec les pontes du studio : le premier screen-test du film convainc peu, poussant Clayton a retourner de nombreuses scènes (l'arrivée du cirque, l'attaque nocturne de la sorcière et la galerie des miroirs, entre autres)  avec l'équipe des fx de Tron.


 Certains effets spéciaux mécaniques (comme cette séquence où une main griffue gigantesque venait terroriser les deux héros dans leur chambre) sont laissés sur la touche au profit d'effets visuels plus élaborés et plus spectaculaires (peut-être même trop ; comme la matérialisation de la foire par ordinateur qui ne sera pas retenue du montage final). Quelques autres séquences (dont une scène onirique expliquant la présence de cercueils d'enfants lors de la parade) seront également évincées.

Le changement le plus intriguant concernera la musique du film, dont George Delerue s'occupa durant un temps. Un score rejeté à la mélancolie grandissante, qui rappelle par instant sa collaboration passée avec Clayton sur Chaque soir à neuf heures. Il faudra donc se passer de la fameuse sensibilité du compositeur, remplacé au pied levé par un jeune James Horner dont le travail reste éloigné autant que possible de celui de Delerue : un ton plus menaçant, des sonorités plus lourdes, plus effrayantes ; efficaces oui, mais imposantes, sans oublier que le thème principal est un plagiat inattendu de la marche impériale de Star Wars !


Il en résulte une œuvre fatalement hybride sur de très nombreux plans : la lenteur et l'atmosphère désenchantée et morbide de Clayton sont mariées de force à la pyrotechnie du studio, certes chatoyante, mais clairement en décalage. Tout pourrait se résumer à la place du personnage principal, qui hésite entre le duo de petits débrouillards estampillés Disney (dont le petit Shawn Carson déjà familier des parcs d'attractions lugubres puisqu'on le croisait dans Massacre dans le train fantôme) et Jason Robards, n'appartenant visiblement pas au même monde. On y retrouve toute la sensibilité de Clayton à y décrire un homme miné par son âge, laminé par la perte de sa jeunesse, et qui devra faire face à sa fragilité et aux terreurs du temps pour sauver son propre fils. Une thématique rare, inattendue et adulte, surtout pour une production Disney.

Et si son voisin de palier Les Yeux de forêtévitait les images trop effrayantes, La Foire des ténèbres semble se préoccuper assez peu de l'âge de ses spectateurs en jouant à fond la carte de l'atmosphère sinistre (musique sifflant dans le vent, orage menaçant, train de minuit spectral, cimetière...) jusqu'à y glisser des plans assez violents (Robards se faisant briser la main ou le petit Will assistant à sa propre décapitation par le biais d'une hallucination plus vraie que nature). Une audace qui en fera la seule production Disney interdit au moins de 13 ans en France, bien que le happy-end se charge de remettre les choses bien à leur place, comme si tout cela n'avait été qu'un long cauchemar.
Aujourd'hui, La Foire des Ténèbres brille encore de ses ambivalences et de sa plastique soignée, bien que le director's cut de Clayton, perdu dans les tiroirs du studio, attise encore une certaine curiosité...

Dishonored (2012) Bioshock Infinite (2013) : No More Heroes ?

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 Affilié à ses débuts à la série b horrifique, le FPS a connu une évolution telle que ses ambitions et son imagerie arrivent aujourd'hui, en terme de comparaison, à hauteurs des blockbusters actuels. Raison de plus d'attendre des softs qui auront l'audace d'exploser les codes du genre et de pousser l'immersion (on parle bien de jeu à la première personne) à son comble. Sur l'autel des exemples frappants, Dishonored, sorti l'année dernière, et Bioshock Infinite, il y a quelques mois, s'y révèlent triomphants. Chacun à leur manière se répondent et s'opposent, mais nourrissent surtout un genre qui cherche - du moins on l'espère - à s'extirper de plus en plus de ses licences guerrières.

Dishonored, aussi bien que Bioshock Infiniteportent en eux l'écho d'un titre antérieur : pour le premier, on pense au précédent jeu d'Arkane Studio, le fabuleux Dark & Messiah, qui nous faisait vivre une aventure épique et effrayante au sein d'un univers de dark fantasy pourtant très balisé. Le goût pour les décors monumentaux et le macabre, mais aussi les combats acharnés et jouissifs, avaient réussi à faire renaître un univers d'habitude plus attaché au RPG. Claque totale.
Pour ce qui est de Bioshock Infinite, il faut remonter au Bioshock premier du nom, qui imposait quant à lui quelque chose d'incroyablement nouveau aussi bien dans son genre, que pour le jeu vidéo tout court. Ballade funèbre au fond des mers, roman de Jules Verne tournant au cauchemar, où le frisson de découvrir un monde inédit le partageait à l'horreur des situations. Sa suite, moins plébiscitée, soulignait une certaine usure. Du coup, Irrational Games remet le couvert et reprend tout à zéro : nouveau scénario, nouvel univers, nouvelle ambiance. C'est tout à leur honneur.


Comparé à Dishonored dont la sortie fut un poil plus discrète, Bioshock Inifite s'impose en mammouth vidéo-ludique : superbe, jamais-vu, flamboyant, et jouant de sa valeur-sûr vis à vis de son prédécesseur. Pourtant il est assez ironique de constater que l'arrivée deDishonored a quelque peu bousculé la situation : n'oublions pas que le bébé d'Arkane empruntait un univers lugubre à la lisière du steam-punk où le héros évoluait dans une cité à la fois pourrissante et décadente. L'ajout de pouvoirs spectaculaires, équivalents à ceux de Bioshock en moins too much, continuaient d'entretenir la filiation. Mais elle s'arrête là...

Si Dishonored emprunte volontiers des pièces à Bioshock - sans quelles soient extrêmement évidentes - son ADN se situe plus du côté d'Hitman ou d'Assassin Creed. Il se réapproprie ainsi la notion de choix qui traversait le premier Bioshock, qui mettait le joueur dans une position délicate et jonglait avec sa moralité : tuer, ne pas tuer, l'un ou l'autre, être trop bon ou impitoyable. Des choix qui se répercutent sur des détails infimes certes (la fin en l'occurrence), mais œuvrent subtilement dans la tête du joueur. À cela, il faut ajouter la liberté dans la manière de procéder : apprendre à emprunter des chemins différents, choisir entre la malice et le carnage assumé. Déshumanisé à l'extrême, le joueur peut d'autant plus se fondre dans le costume de Corvo, un assassin royal accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis.


Racé et noir comme l'ébène, Dishonored jouit sans soucis de la qualité de ses ambiances (cette mission incroyable où l'on doit s'infiltrer dans un bal masqué bourgeois qui imposera au joueur de se retrouver face à ses contradictions, sa morale et...à sa concentration !) et d'une ultra-violence à la fois brutale (les ennemis sont loin de s'avouer vaincu et l'issue du combat donne lieu à des mutilations surprenantes) et stylisée (les décapitations au ralenti) qui le distinguent très largement du tout venant.

A l'inverse de Dishonored, certes scénarisé, Bioshock Infinite donne surtout l'impression d'évoluer dans un film interactif, avec une mise en scène bien plus élaborée : l'introduction est à ce titre, une parodie élégante et formidable de celle du premier Bioshock, où l'on grimpe dans les cieux au lieu d'aller voyager sous les mers. Et la découverte de Colombia, l'équivalent céleste de Rapture, est un éblouissement total. Les développeurs d'Irrational ont évité gracieusement le piège du copié collé, tant dans la progression (l'on assiste à la chute d'une société, alors que le premier Bioshock marchait sur des ruines) que dans l'esthétique, une fois de plus irradiée par des visions merveilleuses, comme si Le Roi et l'Oiseauétait subitement revisité par la main d'oeuvre de James Cameron et hanté par le spectre d'Edgar Allan Poe.


 Mais les qualités plastiques ne font pas tout : là où le premier Bioshock, bien qu'assez spectaculaire, tapait dans l’atmosphérique, ici on tombe très vite dans une action confuse, bruyante et discutable (avec en prime une violence étonnement plus gore). Armes un peu balourdes, vague d'ennemis calculée, beaucoup de cris et de fureurs...sans compter un monde en perpétuel changement mais handicapé par les mêmes ressorts (on fouille partout, on crochète des portes, on balaye une vague d'ennemis, on crochète, on tue, on fouille...). Le plaisir se perd vite dans le bruit.


On se retient donc davantage aux phases plus intimistes, liant un héros antipathique (style brun bourru ne comprenant rien à ce qui se passe mais qui fonce tout de même dans le tas) et un personnage féminin passionnant, la nommée Elizabeth, fausse princesse Disney mais véritable héroïne habitée. Une relation bien plus complexe que les apparences le voudraient (l'éternel tableau de la prisonnière libérée par son chevalier) qui trouvera son point d'orgue dans une conclusion étourdissante, qui non content d'invoquer sa propre mythologie (glissant au passage un clin d'oeil fabuleux au premier opus), nous offre le mindfuck le plus poétique et le plus émouvant de l'année (et même plus pour tout dire). Une manière surprenante de relativiser sur une oeuvre bien moins révolutionnaire qu'elle le laisse croire.

[L'heure du bilan] Spécial "Vacances j'oublie tout !"

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L'été au cinéma, c'est décidément toute une histoire : soleil de plomb, monstres marins, amours ensablés et on en passe. Du film culte à la série b obscure, du gore au mignon, en passant par les rendez-vous manqués et les indispensables, voilà quinze films qui vous feront venir sunlight et coups de soleil jusque dans votre télé. Un peu de crème avec ça ?





* Les révoltés de l'an 2000 (1976) Narciso Ibanez Serrador : Un chef d'oeuvre de l'âge du cinéma fantastique espagnol très largement réhabilité grâce à sa sortie chez Wild Side Video. Une reconnaissance d'ailleurs tardive pour ce successeur parfait au Village des damnés (à se demander même s'il n'est pas meilleur que le classique un peu vieillot de Wolf Rilla), où un couple las des villes touristiques prend le large et débarque sur une île uniquement habitée par des enfants aux sombres desseins. Au delà de ses scènes chocs qu'il vaut mieux taire avant visionnage, on est toujours ébahi par la maîtrise de Serrador, qui contourne le cliché des éternelles nuits froides du cinéma d'horreur par un soleil écrasant et des ruelles immaculées. Son atmosphère incroyablement lourde et sa cruauté impitoyable lui assurent une aura toujours aussi inquiétante.


* La meilleure façon de marcher (1976) Claude Miller : Contrairement au très drôle Nos jours heureux, Miller ne s'était pas pas servi du cadre la colo pour se limiter à la farce. Bien sûr son film est occasionellement drôle, et son atmosphère bon enfant rappelleront à beaucoup de (pas) jolis souvenirs, mais le coeur du film se trouve ailleurs.  Plus précisément, il s'agit de l'affrontement entre Phillippe, moniteur effeminé et sensible (un rôle extraordinaire pour Bouchitey), et Marc, macho grande gueule et ordure ambiguë. Un télescopage sans fard et douloureux des rapports masculins et sa farandole de dominations viriles, de préjugés assassins et de craintes refoulées. Seul bémol de ce chef-d'oeuvre : une conclusion dépassée et douteuse suivant pourtant un duel final au sommet. Un conseil : arrêtez bien avant le générique.


* Island of death (1978) : Nico Mastokaris : Totalement inédit en France, Island of Death fait parti de ces fleuron du bis tellement allumés qu'on se demande encore  comment ils ont pu échapper à tout statut culte. Sous couvert de suivre les exactions d'un couple de détraqués pourtant beaux et sains au premier regard, Island of Death n'est qu'une enfilade de scènes immorales flattant les bas instincts du spectateur, tiraillé à la fois par le grotesque des situations et des personnages, et par l'efficacité de sa réalisation. On assiste hébété à la crucifixion d'un peintre français, au viol d'une chèvre, à des hippies harponnés, à un mariage homosexuel terminant dans le sang ou à une couguar fan de douche dorée qui se fera décapiter à la grue quelques scènes plus loin. A la fois décomplexé, fascinant et ravagé, il reste à ce jour l'exemple le plus fou du cinéma grec.


* L'hôtel de plage (1978) Michel Lang :  Au rayon évidence, Les maris les femmes les amants ou encore Le Skylab, auraient pu s'inviter à la fête; mais il était sans doute encore plus intéressant de revenir à la source même, à savoir ce très fameux Hôtel de la plage qui se dressait au milieu de beaucoup d'autres comédies rurales et vacancières (Un moment d'égarement, Pleure pas la bouche pleineLes joyeuses colonies de vacances, À nous les ptites anglaises...). Pourtant, s'il y a bien un film qui cristallise à merveille cette "bulle" que représente les grandes vacances c'est bien lui. Le scénario, si on peut en parler ici, n'est qu'une excuse pour aligner des situations cocasses et romantiques durant le séjour d'un groupe de vacanciers en Bretagne. L'habilité de Lang, ce n'est pas de chercher les gags énormes, mais de dresser un portrait vivace et croustillant des plus jeunes comme des plus vieux. Et ça marche. Le charme de son atmosphère rétro embellie le film comme un album photo que l'on ressort à l'occasion. Et ce qui touche le plus ici, c'est l'émotion qui vient naître sans s'y forcer (bien que la chanson mythique de Mort Shuman  entouré pour l'occasion de Sheila, Souchon ou de Richard Anthony, y est pour quelque chose) avec un regard attendrissant sur des moments faussement banals mais réellement précieux.


* Anthropophagous (1979) Joe d'Amato : En pleine âge d'or "flesh and blood" (grosso modo, du cul et du sang à tous les étages); Joe d'Amato laisse un peu tomber les vapeurs sulfureuses pour le sang fumant. Le résultat n'a certes rien d'un chef d'oeuvre, vague copie de Massacre à la tronçonneuse se déroulant cette fois sur une île grecque, avec un gigantesque ogre cannibale en guise de bourreau. Mais malgré ses scories (qui en font une oeuvre plus maladroite que le Blue Holocaust du même auteur), le film se rattrape au vol par une atmosphère très différente du film de Hooper, où tout invite perpétuellement au malaise : ruelles vides, cave obscure, manoir au parfum de cadavre, catacombes, musique maladive... Même George Eastman, le beau géant du cinéma bis italien, impressionne encore en auto-antropophage (toute la publicité et la réputation du film tournaient autour de cette scène finale où il se dévore lui-même les tripes !), avec, à la clef, une terrifiante scène d'apparition nocturne dont d'Amato pouvait être particulièrement fier !


 * Comédie érotique d'une nuit d'été (1982) Woody Allen : Un très joli cru de Woody Allen - et malheureusement un peu oublié - s'échappant ici de la grande pomme pour une escapade légère et campagnarde réunissant trois couples à l'occasion du mariage d'un professeur cartesien. Près d'un bois où flottent semble t-il quelques esprits, les corps s'échauffent, tous curieux de démeler les mystères du désir et de l'amour. Le choix de la société corsetée du 19ème comme contexte n'a rien d'un hasard : Allen y célèbre d'autant plus brillamment la loi du désir et les joies de la chair - sans en montrer toutefois - avec une fraîcheur revigorante.



* L'été meurtrier (1983) Jean Becker  : Un bel exemple de cinema français populaire, replaçant un contexte tirant entre le film noir (femme fatale incluse) et le rape and revenge dans une petite communauté rurale comme tant d'autres. Malgré la gravité progressive du sujet, Becker n'y manque ni d'humour ni de tendresse (le très joli personnage de Cognata, incarné par la regrettée Suzanne Flon), donnant à Adjani l'occasion de jouer les fleurs sauvages (la Betty de Beinex prend des notes...) au milieu de belles figures du cinéma français. Le témoin d'un temps où l'on pouvait réaliser un thriller bien de chez nous, sans pour autant copier sur les voisins, en se passant des concessions, mais sans oublier pour autant de séduire le grand public.


* Massacre au camp d'été (1983)  Robert Hiltzik : Erzatz sans peur et sans reproche du très moyen Vendredi 13, ce Sleepaway Camp a beau être inférieur qualitativement parlant à son concurrent Carnage (autre tentative marquante de slasher en camp d'été), il n'en reste pas moins aussi, voire plus intéressant. C'est ainsi qu'à l'arrivée d'une élève timide, les morts se succèdent dans un camp apparemment sans histoires. Le suspens a beau être vite émoussé (sans compter que le twist final est aujourd'hui bien connu des amateurs) et le rythme assez pataud, le jusqu'au boutisme plutôt dérangeant de l'entreprise (les méthodes brutales du tueur, comme le viol d'une gamine à l'aide d'un fer à friser !) intrigue encore. Il est à ce titre l'un des trop rares exemples de slasher queer à la fois sordide et audacieux, aussi bien de son époque que de nos jours !



* L'année des méduses (1984) : Dégagé au dernier moment du tournage de L'été meurtrier, Valerie Kaprisky crie vengeance et part se dévêtir dans ce chassé croisé médusant sous le soleil de Saint-Tropez. Produit racoleur et incisif où les seins bronzés frétillent au rythme de Nina Hagen, L'année des méduses se voit encore aujourd'hui comme une tentative putassière de pseudo "liaisons dangereuses" baignant dans le sable chaud, avec un défilé topless sans pudeur particulière. Mais son casting béton (Bernard Girodeau en mode frime et Caroline Celier épatante) le rend encore curieusement jouissif.



* Bonjour les Vacances (1984) Harold Ramis : Un des fameux titres de la collection (pas spécialement glorieuse) des National Lampoon, ces comédies parrainées par le célèbre magazine u.s du même nom. Il s'agit ici du premier volet mettant en scène la famille Griswold, qui sillonne les routes américaines à l'assaut d'un célèbre parc à thèmes. Bien qu'inégal (une dernière partie de trop), le résultat fait encore grincer les dents par sa méchanceté surprenante (on est loin de l'humour d'une sitcom familial) où tout le monde s'en prend décidément plein la tronche. Mené par Chevy Chase, la belle famille connaîtra de nouvelles aventures dans une second film, cette fois en Europe (on l'on croise Eric Idle et Alice Saprich !) puis enfin une conclusion hivernale avec Le Sapin a les boules. Inutile dire que la présence de John Hugues à l'écriture contribue fortement au capital sympathie de ces escapades pas très fines certes, mais assez jouissives.
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* Calme Blanc (1986) Philip Noyce : Une excellente alternative au thriller domestique, ce sacro-saint schéma du thriller u.s où un outsider détruit la vie de brave gens honnêtes. Loin des agitations moralisantes et puritaines, Calme Blanc prolonge (de manière bien plus réussie) la première partie de Plein Soleil, où le personnage de Delon manipulait avec douceur ses hôtes sur un yacht brûlant. Moins sage, le psychopathe incarné par Billy Zane entend bien transformer la virée maritime d'un couple endeuillé (Nicole Kidman et Sam Neil, excusez du peu) en enfer. Érotisme moite (gueule d'ange au corps d’Apollon, l'intru entend bien posséder la belle femme apeurée du couple), gestion du décor admirable, tension salée : grand film.



* Regarde la mer (1997) François Ozon : Tentative remarquée et choc d'Ozon, pas encore sorti de sa période court, mais pas encore tout à fait côté long. On y retrouve sa joie passée à déployer une trame cruelle, lourde, qui appuie le malaise d'une scène à l'autre. Tout s'organise dans le mystère de cette rencontre entre la mère d'un bébé isolée près de la mer et d'une routarde, flippante Marina de Van qui contemple le rayon charcuterie et caresse les tombes ouvertes. À la lisière du cinéma d'horreur sans s'y engouffrer, étrange et rempli de non-dits, hanté par des détails troubles (observation du corps féminin, de ses rejets et de ses désirs, ogresse moderne, forêt interdite où l'on partouze à l'ombre), il reste sans doute l'oeuvre la plus forte et la plus dérangeante du cinéaste.


 Psycho Beach Party (2000) Robert Lee King : il s'agit sans doute du plus étonnant rejeton de la vague des neo-slashers post Scream, bien que l'aspect horrifique y soit relativement mis en retrait (sans compter que le film pourrait même paraître assez sage aujourd'hui). Mais plutôt que de s'inscrire dans le sillage de Scary Movie ou de Student Bodies, le film de Robert Lee King s'approprie l'imagerie des beach movies ayant sévis à l'aube des sixties, avec ces parades de surfeurs idiots et de bikinis lascifs. Le tout pour la détourner à son tour, non seulement en la mariant de force avec le slasher (un meurtrier trouble la tranquillité des adolescents friands de sable chaud et de drive-in), mais aussi en la comblant par un esprit queer très proche de celui du Rocky Horror Picture Show (sexualité débridée, personnages ambigus ou travestis, détails kitchs en pagaille) : une comparaison d'ailleurs à peine usurpée vu que le film est directement adapté d'une pièce déjà jouée à Broadway. Un spectacle enlevé, assumé et hors-normes (comme le sera le toujours plus fou Reefer Madness quelques années plus tard) animé par un casting très "télévisuel", où l'on croise Lauren "Six feet under" Ambrose, Thomas "Dharma et Greg" Gibson, Nicolas "Buffy" Brandon, Beth "Sabrina" Broderick et même une certaine Amy Adams !



Y tu Mama Tambien (2001) Alfonso Cuaron : A l'heure de Gravity, il est bon de rappeler que Cuaron est un touche à tout prodigieux qui réussit là où on ne l'attend pas foncièrement. La preuve en est que ses films se suivent mais ne ressemblent pas, exepté sur un point : la virtuosité. Après le grand bain hollywoodien (il sortait sa splendide adaptation de Dickens) Cuaron part se rafraîchir au Mexique avec ce road-movis grivois sur deux ados chauds comme la braise et une femme plus âgée tentée par l'aventure : on croirait dès lors avoir toutes les clefs de ce qui s'annonce comme une oeuvre légère et coquine. Non seulement Cuaron s'éloigne de l'influence Movida (qu'on trouvait dans un de ses premiers films, le très étonnant Love in the time of hysteria) pour une esthétique presque documentaire, mais il révèle bien plus qu'une simple histoire d'amitié et de coucheries. Si la sensualité explosive du film fonctionne, c'est que Cuaron se donne les moyens de nous y faire croire avec un casting incendiaire et des plan-séquences faisant respirer une sexualité franche et un naturel sans faille. C'est l'art aussi de faire exister ses silhouettes au delà du film, avec une mélancolie qui vous frappe sans prévenir : il suffit alors parfois d'un regard caméra de Maribel Verdu, pour percevoir la magie à la fois discrète et terrassante d'une telle oeuvre.


* L'été où j'ai grandi (2004) Gabrielle Salvatores : Comme beaucoup de perles récentes (toutes ?) du cinéma italien, le film de Salvatores n'a jamais connu la reconnaissance qu'il méritait. Un fait regrettable pour ce conte troublant et lyrique se situant dans le sud de l'Italie, où un gamin trop curieux apprendra à découvrir le monde obscur et cruel des adultes. Jonglant avec les genres (drame ? thriller ? fantastique ?), basculant d'une émotion à une autre, tournaillant dans un scope éclatant, le résultat laisse admiratif.

En rab :

- Plein Soleil (1959) René Clement
- Un Été 42 (1970) Robert Mulligan
- Les dents la mer (1975) Steven Spielberg
- Velluto Nero (1976) Brunello Rondi
- The Burning - Carnage (1981) Tony Maylam
- L'effrontée (1984) Claude Miller
- 37°2 le matin (1986) Jean-Jacques Beineix
- Le rayon vert (1986) Eric Rohmer
- L'été en pente douce (1987) Gérard Krawczy
- Les Maris, les femmes, les amants(1989) Pascal Thomas
- Le Grand Chemin (1989) Jean-Loup Hubert
- We hot American Summer (2001) David Wain
- Les Textiles (2004) Frank Landron
- Crustacés & Coquillages (2004) Oliver Ducastl
- My Summer of Love (2004) Paweł Pawlikowski
-Le Skylab (2011) Julie Delpy

The Conjuring : Les Dossiers Warren (2013) James Wan : Who you gonna call ?

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Après le triomphe de son surestimé Insidious, James Wan ne déchante pas et joue avec le feu : rejouer la même partition, encore. Alors qu'Insidious 2 est sur les rails, voilà que débarque en fanfare ce Conjuring qui ressemble étrangement à une transposition 70's d'Insidious, Patrick Wilson inclus ! Inquiétant au premier regard, le projet rassure à la lueur de son premier (et formidable) teaser, avec une partie de colin maillard traumatisante. Et si The Conjuring pouvait être la séance de rattrapage d'Indisious ? Pourquoi pas, après tout...

Dans son approche du fantastique, Wan ne cesse d'évoluer de film en film, comme si chacun était le brouillon du suivant : hommage plastiquement superbe au cinéma gothique italien, Dead Silence voyait ses grands moments d'effrois sabotés par un rythme et des personnages ineptes. Alors qu'on l'attendait comme la réponse glorieuse (ce qu'il est, malgré tout) à Paranormal Activity, voire comme le Poltergeist des années 2000, Insidious fonce tête baissée et souligne une fois de plus la générosité maladroite de son auteur, dont les mécanismes de l'effroi semblent orchestrés au buldozer. Entre ces citations envahissantes (Poltergeist bien sûr, dont Wan n'arrive pas à reproduire l'équilibre entre premier et second degré, et plus loin House ou encore..Freddy sort de la nuit !) et son approche démonstrative, Insidious sauve surtout les meubles en allant au delà de son simple postulat de film de maison hantée, alors annihilé par une dernière partie originale.


Dès les premiers instants, The Conjuringétonne à plus d'un niveau : malgré des auto-citations évidentes (une poupée échappé de Dead Silence !) , on sent que Wan a décidé de revoir sa copie et de calmer le jeu, tout en jouant encore et toujours sur le terrain de l'épouvante pur jus. Pas piqué des vers, The Conjuring trouve son inspiration dans les aventures véridiques des Warren, un couple formé par un démonologue et une medium ayant affrontés plus d'une force démoniaque (dont le fameux cas de la maison Amityville). Ils se retrouvent ici face à un cas d'entité démoniaque particulièrement puissante (le fantôme sanguinaire d'une sorcière de Salem), mettant en danger la vie d'une famille nombreuse venant de déménager dans leur nouvelle maison.


Tous les scories d'Insidious s'effacent avec une aisance étonnante : personnages nombreux mais attachants, réalisation à la fois old-school (l'apparition du titre ou certains zooms très seventies) et moderne (de nombreux plans étourdissants), une magnifique organisation de l'espace (le très beau plan séquence sur fond de Time of the Season), un tempo plus posé, une atmosphère à la fois chaleureuse et lugubre (on est loin de l'esthétique Ikea du précédent opus). Wan va jusqu'à minimiser les jump-scares et jouer admirablement avec les attentes du spectateur (comme ce miroir révélateur donnant lieu à des scènes retorses), avec une malice dénuée de cynisme.


Et malgré les motifs inhérents au genre qu'il attaque (présence sous le lit, pseudo ami imaginaire, cave condamnée, fantôme aux cheveux sales...), Wan ne cesse de surprendre de scènes en scènes : bien aidé il est vrai par son casting (Lily Taylor, échappée il y a 14 ans de Hantise, ne semble définitivement pas avoir de chance avec les bicoques hantées), The Conjuring bifurque même vers le fillm de possession dans une dernière partie ne singeant pas, pour une fois - et pour la millième fois - les mythiques dérives de Friedkin. La recette pourrait paraître facile et opportuniste (fantômes + possession + histoire vraie = jackpot), elle fonctionne ici car solidement charpentée. On ne peut pas en dire autant de la plupart des productions actuelles dans le genre...

Reste à savoir maintenant si l'entêtement de Wan à visiter les maisons peu fréquentables va persévérer, quitte à s'enfermer dans une bulle : le succès de The Conjuring et les quelques idées à suivre (la salle aux trésors des Warren révèle un petit côté XFiles qui sera sans doute exploité tôt ou tard) allant alors dans ce sens. Enthousiasmant...mais pour longtemps ?

Jeune & Jolie (2013) François Ozon : Vices Privés, Vertus Publiques

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"On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière..."

 Sélection officielle, sujet sulfureux, révélation féminine et vague controverse (la discutable tirade du réalisateur sur la croisette) : voilà pourquoi ce Jeune et Jolie semble si bien parler de lui, la productivité d'Ozon n'étant mise en surbrillance qu'occasionnellement. Pourtant, si on parle si vivement de celui-là, c'est peut-être aussi parce qu'il s'agit de son film le plus brillant et le plus intéressant de ces dernières années...

Isabelle souffle les bougies de ses dix-sept ans lors de ses vacances d'été, quelque part dans le Sud ; lieu déjà dompté par Ozon (Regarde la mer, Sous le sable, Une robe d'Été...), là où les corps et les âmes s'échauffent et se perdent. À l'heure de la sieste et des premiers désirs, la jeune et jolie créature se métamorphose, mais une étreinte et un retour à la capital plus loin, elle n'est clairement plus la même. Dans le plus grand secret, elle se fait appeler Léa, s'accapare trois ans de plus et se prostitue, retrouvant ses clients dans des hôtels luxueux. Mais cette double vie ne sera pas éternelle...


Sa bouche couleur cerise et les yeux mélancoliques, Marina Vacth mène une quête sensuelle dont elle seule est la détentrice : l'argent n'est rien, le plaisir opaque, le danger ignoré. Ozon évite tous les pièges tendus par un thème aussi sensible, celui de la Belle de Jour juvénile et assumée : pas de jugement, pas de morale, pas de vulgarité crasse ; mais de la crudité (dans l'érotisme) et de la justesse (dans les rapports, dans la direction d'acteur, dans le ton). Ce qu'il cherche (et ce qu'il réussit également), c'est troubler. À la manière des personnages extérieurs on ne saura vraiment jamais ce qui trotte dans la tête d'Isabelle, réservée et ambiguë : combler l'absence du père ? Trouver l'extase ? Se fabriquer une image ? Panser le souvenir d'une première fois terne ? La réponse désirée se dérobe.


On pourrait croire que Jeune et Jolie n'aille pas au bout de son sujet  : une simple impression, qui témoigne de l'envie d'éviter de réduire un tel sujet à une oeuvre racoleuse et putassière, où l'on sombre pour ensuite expier. Au final, il n'explore qu'une année de la vie d'Isabelle, au fil des saisons et des chansons de François Hardy (superbe idée) : on sait que tout commence, que rien ne s'arrête ici : des barrières impénétrables  qui font que participer davantage au trouble jeté par son auteur, comme une fugace et intense odyssée.


[Let's Play 'Retro'] Frissons en 16 Bits

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Années 90 : alors que sur PC, l'horreur et le fantastique s'illustraient de plus en plus librement via le Point & Click et le Doom-like, les consoles 16 bits comme la Megadrive ou la Super Nintendo, trop grand public, jouaient les timorées. Et pourtant, quelques joyeuses perles méconnues distillent à leur manière tout le venin de l'imagerie horrifique de base. Les deux dignes representants, en la personne de la saga Castlevania et de Ghouls'n'ghosts connaîtront bon nombre d’ersatz, parfois novateurs, souvent mesestimés. Il est donc bon de se repencher sur vos bons vieux pad pour retrouver le frisson dans une poignée de charmants sprites...


Nosferatu (1995) Seta Corporation : Alors que l'adaptation vidéo-ludique de Bram Stoker's Dracula est un naufrage sans nom, ce Nosferatu remet les pendules à l'heure en transposant le gameplay de Prince of Persia (troquant les donjons orientaux pour des corridors infestés de monstres en tout genre) dans un univers gothique de toute beauté (les cut scenes sont splendides). Des qualités atmosphériques et graphiques amoindries par une jouabilité certes discutable, mais qui n'excuse en rien l'oubli du soft, concurrent malgré lui d'un certain Flashback (pourtant antérieur).


Haunting, starring Polterguy (1993) Electronic Arts : Un drôle de cas, jeu foufou sans doute trop déconcertant pour son époque (difficile même de le poser dans un genre défini), où l'on incarne le fantôme d'un loubard hantant diverses maisons dans l'espoir de terroriser une petite famille de ploucs. Invisible, il faudra posséder les objets pour effrayer les victimes, et ainsi gérer sa jauge de slime qui permet de rester dans le monde des vivants. Malgré des phases annexes laborieuses nous parachutant en enfer (obligatoire pour "casser" la facilité de la tâche), les nombreuses animations délirantes à souhait et l'inventivité du soft en fait une oeuvre hautement singulière. Hilarant et novateur, le jeu inspirera indirectement (?) en 2003 un certain Ghostmaster (également oublié), tout aussi inégal mais particulièrement fun, poussant ainsi le concept dans ses derniers retranchements (plus de fantômes, de victimes, de maisons ou de pouvoirs).


Splatterhouse (1990 - 1993) Namco : S'il fallait bien citer le jeu le plus gore de sa génération, c'est bien Splatterhouse, qui concourt très largement à ce titre avec Mortal Kombat et Eternal Champions. Beat them all ardu et pas spécialement fun (bien que le troisième épisode opte pour une structure frôlant le survival horror), Splatterhouse impressionne encore par son design poisseux et agressif, où la moindre parcelle de décor semble dégouliner ou suinter incessamment. Avec son héros à la Jason Vorhees (en fait un garçon possédé par un masque Inca), on hallucine encore devant un spectacle aussi malsain et graphique sur des consoles 16 bits. Sa résurrection next-gen ne fit d'ailleurs pas grand bruit...


Warlock (1994) Realtime Associates :  Au rayon "jeu à licence qu'on a pas vu passer", Warlock est un cas inattendu, tant le film n'est qu'une gentille petite série b qui se prêtait à peine à une conversion vidéo-ludique. Bien sûr, l'idée d'explorer l'univers du sorcier blond est surtout une excuse évidente pour signer un Castlevania-like assez difficile et soigné, et à l'ambiance particulièrement oppressante (le score y est même incroyablement pesant). Pourtant il faut reconnaître que le jeu déploie un univers et une imagerie qui apprend intelligemment à s'éloigner de son modèle. Pas mal du tout.



Shadow of the Beast (1991) Psygnosis : Si aujourd'hui le titre psyché et hallucinatoire de Psygnosis peut paraître fouillis et maladroit, la fascination persiste sur bien des aspects. Jeu de plate-formes expérimental et d'une difficulté déconcertante, Shadow of the Beast déploie un univers lovecraftien et onirique particulièrement barré, où les créatures les plus biscornues qui soient (même le héros a une tête de chèvre) débarquent des quatre coins de l'écran, comme dans un mauvais trip au LSD. Une expérience étrange qui fit un sacré effet à son époque.

Clock Tower (1995) Human Entertainment : Tout juste un an avant Resident Evil qui allait instaurer définitivement le survival horror dans le coeur des gamers (la trilogie Alone in the Darkétait tout de même déjà passée par là), le petit Clock Tower passe étrangement inaperçu, allant continuer son bonhomme de chemin avec une saga mésestimée car écrasée par ses concurrents trop imposants. Il faut donc redécouvrir ce petit chef d'oeuvre, qui brille déjà par sa singularité sur une console comme la super nintendo : une oeuvre adulte et sombre qui ne lésine pas sur les scènes effrayantes ou (un peu) violentes, et un gameplay très proche du point and click. Sans doute trop en avance sur son temps, trop effrayant ou trop conceptuel, le résultat est d'une efficacité encore redoutable, preuve qu'un moteur graphique monstre n'est en rien la clef suprême de l'effroi virtuel. Mais en plus de son sens admirable de l'atmosphère et de sa structure étonnante (plusieurs issues pour finir le jeu, en une demi-heure comme en 2h !), Clock Tower est aussi le seul jeu de l'histoire à s'inspirer ouvertement du cinéma de Dario Argento : Clock Tower n'étant ni plus ni moins qu'une adaptation non officielle de Phenomena (nabot armé de cisailles géantes, marâtre sadique, petite brunette innocente, insectes grouillants...), mâtiné de clins d'oeils à Suspiria (yeux brillants dans l'obscurité de la nuit, victime chutant d'un vitrail...) et aux Frissons de l'angoisse. Une véritable merveille.


 Demon's Crest (1994) Capcom : Spin-off de Ghouls'n'Ghosts, Demon's Crest réussit à être encore plus ambitieux et réussi (l'exploration des niveaux en mode 7) que son modèle, lui empruntant ses cimetières hantés, ses forêts mutantes et ses temples démoniaques...à la différence qu'ici, nous sommes du côté des démons ! Beau et magnifiquement accompli (quelle musique !), Demon's Crest est une autre preuve infaillible de la grandeur de Capcom en son temps.


The Immortal (1993) SandCastle : avec sa jaquette plus horrifique que merveilleuse, The Immortal donnait déjà le ton. Éternelle ballade dans des donjons infestés de gobelins et de pièges, le résultat change la donne avec des combats spectaculaires et gores plutôt intimidants pour l'époque : ennemis électrocutés, décapités, tranchés...  Et avec en prime, tout le charme d'une atmosphère sentant bon les livres dont vous êtes le héros...


Zombies (1994) LucasArts : Son titre complet (Zombies ate my neighbors) affiche davantage les intentions de cette immense bisou baveux et gluant à toute l'imagerie du cinéma d'horreur : morts-vivants gloutons, poupées pompantes, body snatchers hargneux, momies poussiéreuses, tronçonneurs en série, fourmis géantes, loups-garous... Entre ses graphismes pop, son bestiaire inépuisable, sa bande-son siphonnée (qu'on croirait interprété par les monstres eux-mêmes) et ses idées farfelues (les armes vont du pistolet à eau bénite au bazooka, en passant par les assiettes et les cruxifix !), Zombies est clairement le chef d'oeuvre oublié des amateurs de cinéma de genre..et de jeu vidéo. Génial.


Dragon's Fury (1992) Tengen : Succédant à Alien Fury sur PC Engine, Dragon's Fury persévère dans l'art d'aborder le flipper autrement. Malgré ses limites, le résultat, fort etonnant, nous plonge sans ménagement dans une imagerie gothique, occulte et organique vaguement héritée de Giger, où les démons et les mutants se mêlent à une sarabande infernale. Jamais un flipper n'aura été aussi vivant et bizaroïde, avec ses décors mouvants et grimaçants, ainsi que ses niveaux cachés. Une recette toujours efficace, qui sera reproduite sans grand succès avec Dragon's Revenge (et son univers d'Heroic Fantasy kitch à vomir) et Jaki Revenge (cette fois sur Super Nes) qui échouera également malgré le choix de la mythologie japonaise comme nouveau terrain de jeu.


King of Demons - Majyuuou (1995) KSS : Inédit aussi bien en Europe qu'aux States, King of Demons est en effet un jeu de plate-forme horrifique assez singulier. A l'inverse des atmosphères gothiques chères à Castlevania, celui-ci nous propulse dans un univers parralèle (l'enfer ?) où l'on comtemple des ciels déchirés et des cités en ruine. Malgré sa musique bon marché, le côté assez glauque et degenerescent du design le rapproche plutôt des anime horrifiques de son époque tels que DevilMan,  Megalopolis ou Urostokidoji. Assez unique donc, et plutôt plaisant.

Cin'Express #1 - Août 2013

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 * Les Apaches, de Thierry de Peretti :
Porto-Vecchio, le sud du sud : une villa volée et on s'emballe. Alors que les menus larcins d'une bande de jeunes retournent à l'envoyeur, une paire de fusils manque à l'appel. Angoisse sourde, climat bourdonnant, regards qui fuient, approche des corps Pasolinienne ; Peretti brosse avec âpreté et justesse les détours de la jeunesse corse : l'absence du regard, le problème de l'identité, la gêne du tourisme...c'est même ce qu'il réussit de mieux. Malgré des acteurs confondant de naturel, le film, avec son petit côté Larry Clark light, ne semble pas vouloir aller plus loin que l'illustration du fait divers sordide dont il s'inspire. Une oeuvre dont la force tourne court.


* Elysium, de Neill Blomkamp :
Les sous en plus, le réalisateur de District 9 revient à la charge avec un nouveau film de SF pas si éloigné de son précédent opus. Pas assez visiblement. Au delà d'une reconstitution soignée et d'une Jodie Foster enfin dans un rôle de bad gurl, on patauge dans de l'anticipation maladroite, vu et revu, où l'on sépare riches et pauvres (les uns sur terre, les autres dans l'espace), et où un pseudo élu viendra se retourner contre la très vilaine société. Méchant de pacotille, caméra tremblante, love story boiteuse, enjeux barbants : rendez-vous manqué.


 * Les Salauds, de Claire Denis :
Manifestement peu inspirée, Claire Denis plonge à nouveau dans la noirceur de l'âme humaine, guettant les errances d'un marin revenu sur la terre, et découvrant de terribles secrets sur sa famille. Si son côté hypnotique, sensuel (très belles étreintes entre Vincent Lindon et Chiara Mastroianni) et parfois brusque, ainsi que sa direction d'acteurs jouent en sa faveur, on peine à voir Denis venir à bout de son propos, empreint d'images troubles et glauques.


* Lone Ranger, Naissance d'un héros, de Gore Verbinski :
Pacific Rim était le blockbuster de l'été, et l'un de ses flops aussi. Il en va de même pour cette franchise déjà morte (?) ressuscitant un héros pas vraiment apte à séduire le public actuel (éternel débat du Western ne faisant plus recette). Très triste tant le film de Verbinski réussit à s'alimenter de ses maladresses (des ruptures de tons aberrantes, où des gags surréalistes à base de cheval volant et bourré succèdent à une cascade de morts violentes, dont une scène de cannibalisme hors-champs !) et à illustrer avec soin un Ouest sauvage nimbé de légendes et d'ordures crasseuses (les américains en prenant très largement pour leur grade). La cerise sur le gâteau étant sans conteste son dernier acte (déjà culte ?), hommage hallucinant au slapstick et à la poursuite ferroviaire qui concluait Retour vers le futur 3. Turbulent et borderline, c'est assurément le grand plaisir du mois d'Août.


* Oggy et les Cafards, de Olivier Jean-Marie : pourtant mis en sourdine depuis quelques années, l'excellente série de Jean Marie Olivier ressuscite le temps d'un long métrage un poil suicidaire et assez décevant. Faute d'un vrai long métrage, quatre épisodes (pas très inspirés) à la structure identique se succèdent en traversant les siècles. On sourit parfois, mais le plaisir s'étiole au fil des gags. Pas de quoi casser quatre pattes à un cafard donc.


* Kick-Ass 2, de Jeff Wadlow :
Les super héros/vigilantes casses-gueules sont de retour, prêt à rempiler encore plus nombreux. Car en effet, le bien nommé Kick-Ass devra faire face à la naissance de nouvelles recrues...et de nouveaux méchants ! Autant dire que cette séquelle à su conserver l'approche tantôt décomplexée, tantôt noire du premier film, dans un fracas d'action pas toujours du meilleur goût (mais on aime). Si on compte quelques idées jouissives (la très impressionnante Mother Russia) et le plaisir de retrouver les personnages vedettes du précédent épisode, il faudra tout de même supporter une réalisation assez laide (les combats sont illisibles !), témoignage éloquent de l'absence de Matthew Vaugh.


* Magic Magic, de Sebastian Silva :
Très jolie surprise que ce Répulsion exotique, où une jeune fille timide est traînée par sa cousine lors d'un séjour au Chili. Au milieu de nulle part, entourée de figures grimaçantes et parfois un peu méprisantes, l'ado fragile sombre alors dans la folie. S'il excelle dans son exercice du petit Polanski illustré (détails incongrus faisant grandir une angoisse de plus en plus incontrôlable, personnages ambigus, névrose mystère, proximité malsaine et morbide des animaux), Magic Magic met miraculeusement en valeur ses jeunes acteurs (dont une Juno Temple toujours plus fascinante, et un Michael Cera moins engoncé dans son habit de timide, petite lueur perverse dans les yeux en prime) dans un voyage étrange et assez perturbant (une scène d'hypnose sur fond de The Knife dont on se souviendra longtemps). Dommage que la fin, à vouloir s'éloigner totalement du cinéma de genre (le film est vendu aux states - à tort - comme un thriller horrifique), échoue lamentablement.


* Grand Central, de Rebeca Zlotowski :
La jeune réalisatrice de Belle Épine (dont elle garde la belle Léa Seydoux et l'incroyable compositeur Rob) recompose un triangle amoureux radioactif qui séduit sans peine la croisette cette année. Il y a indéniablement du talent et du style dans ce tableau d'un monde à la fois banal et étrange, où l'on se balance entre le champêtre et l'industriel, entre la chair amoureuse et la chair toxique. Un casting magnétique, charnel (un poignet pressé contre une cuisse suffisent à délivrer un grand moment d'érotisme) et une étonnante sensation de danger permanent (la peur d'être vu se partage à celle d'être contaminé) qui séduisent mais s'essoufflent par peur d'aller jusqu'à bout : à tel point que Zlotowski ne sait pas comment finir son film. Dommage.

Parents (1989) Bob Balaban : Label Rouge

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 Second rôle pittoresque du cinéma américain, on aurait pas imaginé un instant Bob Balaban laisser derrière lui une carrière de réalisateur aussi surprenante, en particulier en se penchant sur le cas de Parents, premier long-métrage après une petite excursion sur le petit écran (et pas des moindres, puisqu'il signa des épisodes de Tales from the Darkside ou de Histoires Fantastiques). Encore aujourd'hui, Parents fascine et épate, fausse comédie mais vraie fable d'horreur toute en singularité, aussi bien à son époque que maintenant.

Avec ses premières images rutilantes et colorées, Parents semble provenir d'une autre planète, ou plutôt d'un autre temps : pelouse soyeuse, maison de poupées, sourires aimables, voitures clinquantes ; nous voilà dans les années 50. Tout va bien donc, enfin...soit-disant.
Garçon malingre et autiste incapable de s'intégrer dans cette publicité permanente, le petit Michael semble peu à l'aise en société, et encore moins dans le cocon familial. Depuis trop longtemps, il soupçonne ses parents de cacher un terrible secret, qui aurait sans doute quelques menus rapports avec les très nombreux plats cuisinés avec beaucoup d'amour...et de viande !


Il est évidemment quasi-impossible de garder le voile sur la dite révélation, qui se susurre de manière intensive d'une image à une autre. Balaban compose, en place du splatter gore attendu, une atmosphère décalée proche de la comédie acide. Une chose est sûre, c'est qu'il a dû apprécier Blue Velvet, puisque non content de repiquer Angelo Badalamenti (cependant très discret), il y imprime la même logique défaillante que chez Lynch : déployer la belle toile de l'American Way of life et la voir se consumer en secret derrière ses volets clos. Dans le film, Michael se lie d'amitié avec une gamine mythomane et turbulente qui synthétise cette agitation sous-jacente et dévoile l'hypocrisie vénéneuse du monde des adultes.


Bien que malin et mordant, Parents est aussi inquiétant à bien des égards puisqu'il déconstruit sans ménagement la figure parentale : ce qui est censé protéger devient ici la menace en la personne d'un Randy Quaid halluciné, papa ours au coeur d'ogre.
À Balaban ne nous rappeler aussi qu'il trempe dans le genre et pas timidement d'ailleurs, avec des fulgurances faisant basculer une peinture de Norman Rockwell dans un cauchemar de chair (scènes oniriques où le sang rouge surgie d'un noir et blanc crasseux, une scène de meurtre digne d'un giallo de la grande époque, un faux plan séquence hallucinant emprisonnant une victime dans l'horreur...). Quelque peu ignoré par les amateurs du genre, Parents devrait retrouver sans plus tarder l'aura culte qui lui manque : donnez lui une chance, vous ne le regretterez pas.

Le film est à découvrir le Lundi 9 Septembre au Forum des Images dans la section des Pépites de l'étrange de L'étrange Festival !


NightDreams (1981) Cafe Flesh (1982) Dr Caligari (1989) Stephen Sayadian : Derrière la porte noire

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Le plus surprenant dans l'industrie du Porno, c'est que celui-ci n'a jamais été aussi inventif qu'à ses débuts : avec l'arrivée de la vidéo à la fin des 70's, une déconstruction s'annonçait, les films allant se réduire petit à petit au strict minimum.  C'est justement à cette période de "régression" que Stephen Sayadian apparu, nanti d'une ambition artistique délirante et unique. Le bonhomme se faufila sous de nombreux pseudonymes, les plus connus étant Rinse Dreams, FX Pope et surtout Francis Delia. Si l'homme s'est tourné plus tard vers le clip, cela n'a rien d'un hasard : on y retrouve déjà les germes d'une imagerie kitch et décadente qui fait vagabonder l'esprit. La même qui irriguera alors la génération MTV...


Titre de gloire de Sayadian, Cafe Flesh n'est pourtant sa première tentative dans le genre, Nightdreams le précède alors, mésestimé et pourtant bien meilleur. Celui-ci se sert d'un vague prétexte (une jeune femme démente surveillée par des scientifiques) pour illustrer des fantasmes tous plus surréalistes les uns que les autres.
Le soin plastique apporté aux séquences et la succession d'idées de plus en plus tordues (un coït avec une sorte de pantin terrifiant se servant de son nez en guise de phallus, des sévices sexuels en Enfer et des plaisirs éthérés au Paradis, un hommage au giallo où le tueur se sert d'autre chose que de son rasoir...) insinuent que Sayadian ne cherche pas vraiment à exciter son public, mais à provoquer quelque chose tenant à la fois de la fascination et du rejet. Dans ce courant de sentiments contradictoires, touchant parfois au sublime (une étreinte de cow-girls au coin du feu sur fond de Wall of Voodoo), Nightdreams se pose bel et bien en Eraserhead du porno. Rien que ça.


Cafe Flesh joue quant à lui d'avantage la carte de la folie mortifère en nous catapultant dans un post-nuke qui ne bande plus : face à une population impuissante, les dernièrs priviligiés au plaisir s'affichent sur scène dans des mises en scènes ahurissantes. Une vision du futur typique des 80's, où l'on se perd dans des dédales de néons et de fumigènes, préfigurant l'ère du vidéo clip ou des délires comme Liquid Sky. 
Ainsi, on peut croiser un homme crayon en rut ou un mutant proche du rongeur honorer une mère au foyer sous le regard de faux bébés flashy ! Des saillies délirantes qui peinent pourtant à combler un film froid, malade et très bavard. C'est là aussi où se trouve la particularité d'une oeuvre totalement en marge du circuit du X : Sayadian prenait des risques fabuleux avant que tout ne se formalise.


Encore moins connu, Dr Caligari est une conclusion (bien que Nightdreams et Cafe Flesh eurent des suites...qu'il vaudrait mieux oublier) surprenante aux dérives de Sayadian, qui se passe cette fois ci de scènes pornographiques. Conçu comme une fausse suite au classique de Robert Wienne (où la fille du dit docteur prend le relais), le résultat retrouve l'aura lynchienne de Nightdreams, avec toujours le même entêtement à superposer des scènes de cauchemars hypnotiques et dérangeantes. Le clou du spectacle restant sans aucun doute cette étreinte entre une jeune femme et une bouche gigantesque d'où émerge une langue vivace !

NightDreams (le 12 Septembre) Cafe Flesh (le 13 Septembre) et Dr Caligari (le 12 et le 14 Septembre) ainsi que Party Doll A Go-Go (le 15 Septembre) sont à découvrir au Forum des Images à l'occasion de l'Étrange Festival en la présence de Stephen Sayadian !

American Nightmare (2013) James DeMonaco - You're Next (2011) Adam Wingard : Home (Not) Alone

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Fait étonnant que les deux Home-Invasion de l'année arrivent le même Été, et ceci à un mois d'intervalle, chacun abordant le genre avec un style et des intentions tout à fait différents. Distribués avec une promo étrangement généreuse (en particulier pour You're Next, qui n'a pourtant aucun alibi marketing hormis son prix à Gerardmer), les deux films se posent tranquillement en bon rollercasters de famille. Malheureusement, force est de constater que la réussite n'est pas forcément au rendez-vous. Explication...

Pour faire court, l'on peut considérer le Home-Invasion comme une sorte de Survival en huis-clos, où les espaces hostiles de rigueur laissent placent aux couloirs sombres d'une villa (ou même plus). Avec un sadisme non dissimulé, Haneke semblait avoir muselé le genre avec ses deux Funny Games...et pourtant force est de constater que celui-ci revient à la charge (le come-back du Survival aidant pas mal). Véritable première pour le Home- Invasion, American Nightmare (joli titre français colmatant The Purge, titre original sans doute trop sujet aux jeux de mot faciles) s'empare d'un sujet d'anticipation étonnement ambitieux : dans un futur proche, l'on apprend que les États-unis ont voté une loi barbare rendant légale la pratique dite de la "purge". Une nuit par an, les citoyens sont en effet autorisés à s'adonner à tous les crimes possibles jusqu'au petit matin, où tout redeviendra alors normal.


Père de famille comblé et bon bourgeois, James Sandin vend les systèmes de sécurité les plus sécurisés du pays, n'hésitant pas à en faire l'apologie dès qu'il peut (c'est à dire tout le temps). Dans son quartier, on se barricade tranquillement en attendant la purge. Mais le fils de Sandin, un petit génie quelque peu troublé par la tournure des  événements, tente de sauver un clochard poursuivi par un groupe de fils à papa psychopathes. Frustrés de ne pouvoir lyncher leur proie, ils se retournent alors contre la famille de Sandin...

Passé le fait (prévisible) que l'argument d'anticipation n'est qu'un prétexte à un ersatz pas très finaud de The Strangers (masques chelous compris), The Purge voit ses minces efforts saccagés par les mauvais choix quasi-constants de ses personnages, une gestion du lieu discutable (hop, tout le monde dans le noir et en plans serrés) et sa violence pas si sauvage : coincé entre un Ethan Hawke cabotin et une Lena Headey à perruque, le film laisse toutefois transparaître un discours assez grinçant sur l'hypocrisie bourgeoise et la face cachée de l'american way of life. Jusqu'au moment où l'on imagine un tel résultat sous la caméra de Verhoeven ou de Carpenter, et là ça picote un peu...


Bête de festival quelque peu en retard sur son planning (le film date de 2011), You're Next joue la carte de la série b qui a tout compris : le film d'Adam Wingard (dont on pouvait découvrir les travaux dans Abc's of death et V/H/S 1 et 2) est évidemment supérieur à American Nightmare, car traitant au moins son sujet de bout en bout avec une hargne et une efficacité de petit malin. Ce qui cloche, c'est plutôt son traitement...
Alors qu'il commence façon Festen (une réunion de famille dans une maison isolée), You're Next tourne façon carnage familial lorsque débarque une bande de tueurs masqués (oui encore !) qui massacrent méthodiquement tout le beau monde. Au milieu des cadavres, la fiancée d'un des quidams décide ne pas se laisser faire et s'octroie un splendide rôle de Final Girl (à croire que le film aurait pu s'appeler comme ça).


En amateur du genre, Wingard fait de l'oeil à son public concerné avec un rythme adroit et des saillis gores jouissives (dont l'utilisation très inattendue d'un mixer), mais n'esquive malheureusement pas les tics les plus "tendances" du moment : une caméra qui s'emballe quand l'action reprend ses droits, des jumpscares agressifs et idiots, des bad-guys pas effrayants pour un sou (et dont la justification des actes achèvera vite ce sentiment), un manque d'atmosphère frustrant...au final, on ne garde que ses embardées sanglantes, qui n'apportent cependant rien de neuf. À croire qu'on préfère encore les refontes récentes de Mother's Day et de La dernière maison sur la gauche, bien moins originaux et pourtant bien meilleurs...

Possession (1981) Andrzej Zulawski : Apocalypse en Chambre

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Pour son auteur, Possession n'a jamais été un film d'horreur, ou du moins, il n'avait pas à être vendu de la sorte (comme aux États-Unis, où, remonté sauvagement, il ressemblait à une série b hallucinogène). Et pourtant force est de constater qu'avant Possession, toutes ses oeuvres s'y apparentaient d'une manière ou d'une autre. Quelque soit les époques, les genres (comme le film historique ou la science-fiction), le pays ou l'histoire, Zulawski s'est improvisé maître de la terreur sociale et de l'horreur des sentiments, plaçant systématiquement ses personnages dans un monde au bord du gouffre pour mieux canaliser et déployer les névroses du genre humain. Utilisation systématique du gore, hurlements incessants, échos de douleurs, décors sinistres trop grands ou trop petits, légion de faciès torturés : il s'agit bien de l'horreur, la vraie, la pure.

Quand il réalise Possession, le surnaturel et le monstrueux sont pourtant au coeur d'un vaudeville qu'on croirait redessiné par Artaud et Lovecraft, où si l'on préfère Kramer vs Kramer revisité par The Thing : un couple, Anna & Marc, doute, se remet en question, avant de se déchirer inlassablement. Au milieu, un amant qu'on ne voit pas, détenant une emprise mortifère sur Anna, qui semble perdre la raison à chaque nouvelle apparition. Sauf que l'amant va se révéler tout sauf humain...


Zulawski avait déjà frappé fort lors de son premier passage en France avec L'important c'est d'aimer, où il faisait irradier Romy Schneider de tristesse : dans Possession, il s'empare du cas Adjani, déjà considérée comme une diva, et l'exploite avec une violence insensée. Un César et une thérapie plus loin, il faut encore voir une telle performance pour le croire, ne tenant plus du simple "acting" mais de la transe littérale, avec à la clef une gestuelle maniaque ne s'imposant aucune limites (la manière dont elle frotte frénétiquement ses poignets, son regard caméra quand elle torture une petite danseuse, ses gémissements au pied du Christ, ses spasmes...).
Sa crise d'hystérie dans le métro berlinois tient de l'abandon le plus total, ballet de cris et de fluides inoubliable, traumatisant. C'est là même la quintessence zulawskienne, qui ne pourra plus jamais justifier de manière aussi crédible l'hystérie de ses comédiens dans ses films suivants. Comme si celui-ci était arrivé au bout de quelque chose...


À une époque où la steadicam de Kubrick faisait des merveilles dans l'Overlook de tous les cauchemars, Possession se montre parfois encore plus démesuré : la caméra chez Zulawski n'est plus une caméra, mais une entité démoniaque et aérienne qui serpente et tournoie jusqu'à plus soif. Parfois avec une simplicité désarmante (le travelling avant sur le visage impassible d'Adjani, madone glacée délivrée de la douleur) parfois avec une verve quasi-pyrotechnique (l'hallucinante course en moto de Sam Neil).

Une folie technique parachevée par la photographie de Bruno Nuytten, partagée entre un bleu dévorant et la crasse galopante. Les ruelles de Berlin, dépeuplées, sinistres, traversées d'artères immenses, de pavés suintants et d'immeubles monstres, offrent un tableau de fin de monde en sourdine comme les affectionne Zulawski.

Dans ses outrances et sa complexité (le film est-il un chemin de croix divin et tortueux ? Une allégorie politique tragique ? Une fable apocalyptique ? Une métaphore monstrueuse du couple ?) Possession cultive encore la fascination et le rejet.

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