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Channel: Mais Ne Nous Délivrez Pas Du Mal
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Cin'Express #2 - Septembre 2013

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* La Danza de la Realidad, de Alejandro Jodorowsky :
Pas un film depuis vingt trois ans (c'est long...très long !), des projets avortés à la pelle...puis soudain, voilà que surgit cette "danse de la réalité", petit film porté à bout de bras contant l'enfance de son auteur. La démarche, basculant très franchement vers le fantasme, s'apparente au travail d'Arrabal sur son Viva La Muerte. Jodorowsky signe une oeuvre plus thérapeutique qu'ultime, dans le sens où son film se vit davantage comme une avancée personnelle (le casting est composé en grande partie de ses enfants) qu'un nouveau El Topo. Malgré des longueurs évidentes et une émotion parfois trop outrée pour fonctionner, le résultat surprend par sa liberté formelle, sa frontalité (golden shower divine ou évocation hardcore de la torture) et sa cascade d'images à la fois violentes et tendres, tendant parfois vers l'opéra surréaliste (le personnage de la mère ne communiquant que par le chant, concept tantôt comique, tantôt émouvant). À contrario des introspections boiteuses de Coppola (Twixt) ou de Brisseau (La fille de nulle part), Jodorowsky semble encore jouir d'une belle vitalité pour son âge. Vivement la suite !


* Tip-Top, de Serge Bozon : Dans la banlieue lilloise, la mort d'un indic algérien dépêche deux flics, une maso et une mateuse, dans une enquête pas piquée des vers. On a beau croire que les intentions d'un film policier décalé et burlesque sont honorables, le résultat se mortifie à force de confusion et d'humour absurde mal luné (et pas drôle). Au delà du Huppert show (toujours en forme et improbable) et des éclairages clairs-obscurs conférant une atmosphère surprenante, il est bien regrettable de se retrouver en face d'une comedie arty ne faisant visiblement rire que son auteur. Si ça l'amuse...


* Blue Jasmine, de Woody Allen :  Où comment prendre la descente aux enfers d'une bourgeoise suffisante et ruinée avec une légèreté presque insolente. Si on ne peut pas dire que ce nouveau Allen marquera l'histoire du cinéma, il met une fois de plus assez bien en valeur le talent et la simplicité de son auteur, dans cette tranche de vie tragicomique confrontant prolos et richards. Menant son conte de la folie ordinaire non sans acidité, Allen offre surtout l'opportunité à Cate Blanchett de s'offrir magnifiquement en spectacle, créature désargentée tour à tour détestable, irrésistible et déphasée. S'il faut bien voir le film, c'est bien pour elle...


* Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh : Après un Effets Secondaires ressemblant étrangement à un décalque réussi du Passion de DePalma, Soderbergh brouille les pistes une dernière fois et conclue (?) sa carrière de réalisateur dans les strass malades de L.A. Jugé trop "gay" par les studios (ce qui inquiète fortement quant au regard condescendant sur l'homosexualité au cinéma), le projet trouvera refuge chez HBO mais sera miraculeusement distribué chez nous en salles (il sera avec La vie d'Adèle et L'inconnu du Lac, le troisième coup d'éclat queer du festival de Cannes cette année). Formidable idée pour Soderbergh de justifier le kitch et l'outrance d'une époque par la vie de Liberace (personnalité plus connue outre-atlantique), pianiste dont les extravagances ferait rougir Elton John lui-même. Dans son manoir microcosme, il se déjoue du désir de ses admirateurs et en embarque un dès qu'il peut. Mais d'un parcours égoïste et tabou, Soderbergh en garde aussi la tendresse, la drôlerie, et jongle si admirablement avec les excès qu'il s'offre à lui, qu'il finit par devenir sobre dans l'outrance apparente. Transfigurés, transformés, remodelés, pas toujours flattés par la caméra, Michael Douglas et Matt Damon emportent tout sur leur passage.


* Moi & Toi, de Bernardo Bertolucci : Un retour discret et peu médiatisé pour Bertolucci (même si la rétrospective à la Cinémathèque tente de lui donner un coup de pouce), qui joue la carte de la modestie, sans doute plus encore qu'avec The Dreamers, orgie cinéphile et adolescente derrière les barricades de Mai 68. On y retrouve la sensualité fleurissante de celui-ci, son goût pour le huis-clos, les balbutiements de La Luna (le héros, un ado terrible, assaille sa mère de questions scabreuses au début du film) et...c'est tout. Ici, deux marginaux (un garçon asocial et sa demi-soeur, artiste junkie type) se découvrent et se retrouvent au fond d'une cave, isolés du reste du monde. Il y a évidemment quelque chose de touchant dans ce schéma certes téléphoné, mais bien servi par une réalisation habile. Le seul soucis réside dans les aspirations craintives de Bertolucci, qui refuse de briser la glace entre ses deux personnages et préfère se contenter d'un attachement platonique. Comme si le Bertolucci d'antan, plus frivole et plus audacieux, souhaitait maintenant s'effacer...

Insidious 1 & 2 (2010/2013) James Wan : Fantômes à Vendre

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À la manière d'une certain Amityville : la maison du diable à son époque, Insidious est arrivé suffisamment en temps et en heure pour devenir un petit classique : non pas qu'on tenait là un véritable chef d'oeuvre de l'épouvante (il faut dire que depuis Les autres, Fragile et L'échine du diable, on bafouille un peu...), mais un film carré et généreux qui suffisait à remplacer dans les esprits un Paranormal Activity tout aussi médiatisé, mais bel et bien médiocre quant à lui. Ceci dit, on peut aussi s'inquiéter du piédestal offert à James Wan (succès public oblige), tant son film est inégal.

L'idée était d'apporter le Poltergeist des années 2000 (bonne chance...) avec comme principale innovation l'idée de contourner le cliché de la maison hantée : terrifiée par des apparitions, une famille (trop) bien sous tous rapports, les Lambert, doit faire face à la force démoniaque planant autour de leur petit garçon, ramenant alors son lot de spectres vagabonds.


Bien que virtuose dans la forme, Insidious souligne les ficelles assez lourdes de son auteur (références mal digérées, jump-scares agressifs, personnages sans grand intérêts...), parfois trop démonstratif pour s'imposer en maître de l'épouvante (le grand méchant est un Freddy Kruger galopant en CGI sur les murs). Sa technique est à l'image de l'apparition du titre Insidious, qui surgit dans un mélange de vrombissements et de crissements qui ordonne au spectateur d'avoir peur sur le champ. Des tics agaçants rachetés par une dernière partie qui s'autorise une virée de l'autre côté du monde des vivants, le "lointain", galaxie fantomatique et brumeuse où flotte les plus beaux cauchemars.

L'arrivée d'Insidious 2 juste après le méga-succés de The Conjuring ne partait donc pas d'un bon point, preuve que Wan s'offre dangereusement l'occasion de s'enfermer dans une bulle certes rentable, mais fragile. Rattrapant les erreurs de Insidious, The Conjuring confirma très vite une grande crainte : celle que son auteur était vraisemblablement plus occupé sur l'un des deux films. Et ce n'est pas manifestement pas Insidious 2...


Reprenant là où le premier s'arrête, ce Insidious 2 est un véritable train de fantôme en ruine, qui tente de se focaliser cette fois-ci sur le second boogeyman du premier opus, soit la mariée en noir (qu'on jurerait surgit de Dead Silence). Une figure terrifiante réduite ici à une silhouette digne d'une sorcière Disney, peu aidée par un alter ego ectoplasmique digne de Cruella d'Enfer. Trop occupé à jouer les Jack Torrance de Prisunic, Patrick Wilson n'a sans doute jamais été aussi mauvais, trop occupé à grimacer et à assommer son épouse avec une théière.

Ce qui est terrifiant de constater dans Insidious 2 (plus que toutes les scènes d'épouvantes du film), c'est que Wan excecute là une commande avec un ennui à peine dissimulé, même s'il retrouve toute sa fine équipe et un certain sens du cadrage. Si sa patte est bien présente (le charnier emmuré ou le vitrail rouge renvoyant aux belles heures de Bava), son envie de se débarrasser d'un script indigent transparaît beaucoup trop. Établi à partir de mecanismes rouillés d'un bout à l'autre (symphonie de portes qui grincent et de personnages allant d'un point A à un point B), rien ne fonctionne dans cette séquelle qui rappelle aussi le mercantilisme sauvage de la saga Saw : le film n'hésite à revenir sur des moments charnières du premier pour en étirer leur contenu, histoire de faire croire au spectateur qu'un sacré cerveau se cache derrière tout ça.


À le comparer avec son cousin, on lui préférerait même Poltergeist 2 qui, s'il n'était pas non plus très réussi, restait encore sympathique et parfois inquiétant : une comparaison pas si innocente lorsque l'on constate que l'apparition risible d'une Lin Shaye hagarde et paumée rappelle tristement celle de la mamie céleste dans la suite du chef d'oeuvre de Hooper. En bref : il faut savoir dire stop. Pas sûr que les chiffres du box-office soient d'accord...

Gravity (2013) Alfonso Cuaron : Le grand silence

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Quelle mouche spatiale a donc piqué les producteurs pour que 2013 devienne soudainement l'année de la SF ? Voilà que depuis le début de l'année, pas un mois ne voit les salles obscures assaillies par une quantité surprenante de titres futuristes : Oblivion, Cloud Atlas, Riddick, Pacific Rim, Man of Steel, Elysium, Star Trek Into Darkness, After Earth, Les âmes vagabondes, Snowpiercier...

On serait tenté d'ironiser sur cette nouvelle vague en imaginant qu'elle tente de colmater la déception du néanmoins sympathique Prometheus, attendu à tort comme le messie de la SF. Mais il est cependant agréable de constater que parmi les arrivants, certains arrivent sans peine à détrôner le film de Scott à ce titre, dont sans aucun doute ce Gravity, actuellement sous cocotte minute médiatique.


On pourrait voir dans cet engouement dévastateur le résultat d'une promo bien huilée (et c'est le cas), entre une réception critique dithyrambique et fiévreuse, et l'adoubement même de Cuaron par James Cameron. Bien sûr, la pression monte et on espère jusqu'au bout que tout ceci sera bel et bien justifié...
L'élément le plus stimulant dans cette attente, c'est déjà le fait de se remémorer Les fils de l'homme, qui, en plus d'être le Soleil Vert de son époque, ne s'était pas contenter de simplement innover dans son genre. Touche à tout depuis une vingtaine d'années, Alfonso Cuaron, qu'importe le genre qu'il aborde, est un virtuose qui maîtrise l'art de l'image avec une justesse et une beauté que peu de monde possède de nos jours.


Il serait pourtant dommage de réduire Cuaron à l'élégance de sa technique : car sa force, c'est bien ne pas faire tourner une mécanique à vide, et se contenter de faire beau. La technique froide, le coeur d'acier (coucou Nolan), il ne connaît pas.
On peut dire, par un raccourci toujours plus usité ces jours-ci, que Gravity est le 2001 de son époque : il l'est, non pas parce qu'il imite le modèle Kubrickien (les deux films ne sont que des parents lointains avec comme gêne commun, l'espace), mais parce qu'il montre l'impossible, parce qu'il filme l'incroyable, le jamais vu. Et pourtant, avec tous les films de cosmonautes ayant défilé dans les salles, on pensait avoir tout vu. Faux.

Gravity ne prétend aucunement partir à la recherche des secrets de l'univers, à communiquer avec une intelligence extra-terreste ou à prédire l'avenir : il oppose simplement l'homme à l'espace, cette mer du vide qui chuchote son infinie. Deux astronautes (Clooney et Bullock, qu'on pensait dépassés) en mission de routine se retrouvent alors égarés dans le cosmos, après un accident dû à une redoutable chute de débris ; un schéma proche du survival (sans grand méchant), où l'unique but est de rejoindre la terre. Mais comment...


On pourrait croire la réalisation d'un film comme Gravity possible il y a quelques décennies ; possible oui, mais pas de cette manière là. Cuaron tend vers l'impossible (et ceci bien aidé par une conversion 3D extraordinaire), à savoir rendre tangible la place du spectateur dans une situation qu'il ne peut connaître. Gravity ne ressemble pas à gadget géant, à un trompe-l’œil ingénieux où l'on sait où s'arrête le réel : on y est, on y croit, et ceci dès les premiers plans où l'on chavire dans l'apesanteur, où l'on frisonne dans le silence. Comme des repères qu'on l'on perd pour mieux reconstruire, dans un trouble et un émerveillement total.

De périples en périples, où la quête de survie se transforme en quête de soi, puis en renaissance (hautement symbolique), Gravity donne plus d'une fois l'envie d'arracher les accoudoirs de son fauteuil ; mais ce qui bouleverse autant, si ce n'est plus, que ces moments de tension, c'est le sens de la poésie et de la grâce apporté par son auteur. Qu'il s'agisse du mariage des éléments du final, de quelques larmes en apesanteur ou de la proximité avec la plus belle vue du monde, Gravity ne fait pas que flotter les corps et les âmes. Il y a un peu de notre coeur aussi...

Prisoners (2013) Denis Villeneuve : An American Horror Story

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Voilà bien trop longtemps que le mystère Villeneuve persiste, dont la carrière jalonnée d'oeuvres graves et obsédantes semble parfaitement ignorée (du moins surtout dans l'hexagone). Quittant son Canada natal (et après un Incendies au moins remarqué celui-là), il réalise coup sur coup Enemy et Prisoners, tous deux portés par la présence de Jake Gyllenhaal. Alors que le destin du premier est encore discuté, le second flatte le box-office et s'impose comme la nouvelle référence du thriller américain. Beaucoup de bruit pour rien ? Eh bien non, diablement non...


Loin de la grisaille urbaine et de sa décadence facile, Prisoners impose déjà, en l'espace de quelques plans, un tableau rural à la tristesse diffuse, comme si tout semblait joué d'avance. Un moment d'inattention, et deux gamines, appartenant à deux familles voisines, disparaissent. Pratiquement pas d'indices, peu de pistes, beaucoup de larmes et une issue imprévisible.

Figure type de l'american dad bourru à qui on l'a raconte pas, Keller part à la recherche de sa fille en se laissant guider par des instincts de plus en plus violents : lorsque l'unique suspect est un garçon autiste et ambigu, les événements prennent une ampleur désastreuse...Face à la méthode forte, le Detective Loki met tout en oeuvre pour aborder ce jeu de pistes tordu à souhait qui va l'amener à découvrir l'horreur quotidienne.


Là où les médias voient dans ce thriller massif (2h30 qu'on ne voit pas passer) le digne successeur du Silence des Agneaux ou de Seven (on cite également Mystic River ou Zodiac, la présence de Gyllenhaal aidant), Prisoners n'est pas une nouvelle chasse au serial-killer : ce qui l’irrigue, c'est la banalité du mal et son emprise sinueuse sur le genre humain, celle-là même qui fascine tant Friedkin.

Ce n'est donc pas tant aux grands classiques du thriller cités qu'on pense, mais plutôt à deux oeuvres mésestimées que Villeneuve a dû se remémorer naturellement : L'homme qui voulait savoir tout d'abord, à qui il emprunte la progression d'une enquête inexorable et suffocante (comment retrouver ce qui a disparu sans laisser de traces ?) ; et Les 7 jours du talion, vigilante étouffant adapté de Patrick Senecal, où un père de famille torturait des jours durant le psychopathe ayant assassiné sa fille. On retrouve alors la violence au cordeau et les respirations désespérés de ce film québécois lors des scènes opposants un Hugh Jackman ivre de rage à un Paul Dano transformé petit à petit en chair à canon tremblotante.

Amérique fanée, redessinée à l'encre noire, épuisée par la peur et traversée de figures labyrinthiques et christiques : Prisoners n'est pas une partie de plaisir. Mais le coup de fouet qu'il donne au thriller lui, fait plutôt du bien.

Salò, ou les 120 journées de Sodome (1975) Pier Paolo Pasolini : Agony is their triumph

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"Nous voudrions te tuer mille fois jusqu'aux limites de l'Éternité si l'Éternité pouvait en avoir"
 Salò n'avait rien d'un film testament. Il le devint, par la force des choses et par la mort de Pasolini, à peine quelques jours avant que le film ne soit distribué dans le scandale le plus complet. Il y a une logique assez terrible dans la place que tient Salò dans la filmographie de Pasolini ; comme si son auteur avait voulu renverser le processus qui imprimait sa trilogie de la vie, où l'on célébrait le corps et les âmes. Bien sûr, son cinéma n'a jamais été angélique (voire les tragédies comme Médée ou Oedipe Roi, le méconnu Porcherie où intervenait cannibalisme et zoophilie, ou encore le projet avorté sur Gilles de Rais) ; Salò sera l'aboutissement, le maelström de cette noirceur déjà perceptible ;  comme si l'auteur devait aller aussi loin qu'il pouvait, jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'impossible. Salò en sera donc son linceul...

L'autre place stratégique que tient Salò, c'est celle vis à vis du cinéma de son époque, qui renversait les tabous et les valeurs établies comme jamais personne ne l'avait fait auparavant : aux côtés des États-Unis, l'Italie sera d'ailleurs le pays qui se confrontera le plus à l'incroyable, atteignant parfois un point de non-retour dans les thèmes abordés ci et là. Comme une catharsis collective qui se devait de dévoiler la véritable horreur, non pas celle des monstres et des chimères, mais celle à visage humain. Avec des oeuvres comme Mondo Cane, Cannibal Holocaust, Avere Vent'anni ou Faccia di Spia (pour ne citer qu'eux), Salò trace un nouveau chemin vers les enfers terrestres. Car vraisemblablement, l'enfer est ici, et nulle part ailleurs.


Malgré les siècles, malgré les folies, lire Sade de nos jours ne laisse toujours pas indifférent ; le choc a persisté. C'est tout autre chose lorsqu'il s'agit de se montrer aussi radical à l'image, le divin Marquis devenant l'égérie d'un cinéma érotique encore trop poli pour déloger le malaise derrière le fantasme. Accomplissement de son auteur dans ce qu'il pouvait faire de plus décadent et immonde, Les 120 journées de Sodome est une oeuvre que l'on peut déjà qualifier d'inadaptable, de non adaptable même.
Comment ? Dans quel but ? Pour satisfaire quel public ?
Il fallait donc un poète des lettres et du cinéma pour résoudre ce problème : Pasolini ne se contente d'ailleurs pas de l'adapter, il replace le contexte du livre dans la république fasciste de Salò, bulle noire du nord de l'Italie durant la seconde guerre mondiale.


Le choix du fascisme, osé mais habile, permet alors de donner corps aux excentricités sadiennes ; il justifie en quelque sorte cette parade barbare, orgie perpétrée dans un gigantesque tombeau Mussolinien où des puissants entassent un groupe d'adolescents, à la merci de leurs fantasmes les plus vils, le tout étalé sur trois cercles "dantesques" (le cercle des manières, de la merde et du sang).

On a très vraisemblablement fait plus trash en matière de gore et d'humiliations que Salò  ; mais on a fait aussi peu de films aussi maîtrisés avec de tels débordements à disposition. Car ce qui heurte encore le plus dans Salò c'est la froideur incandescente qui est mise en place : la réalisation n'est ni du côté des bourreaux, ni de celui des victimes, elle observe et ne laisse rien au hasard, suivant une ligne conductrice inexorable, sans espoir : comme un air de solution finale.
La mine réjouie des tortionnaires face à la tristesse sans fin des adolescents (dont le silence et les appels aux secours poussiéreux se heurtent aux élucubrations verbales des bourreaux), en dit long sur le sentiment d'effroi qui plane sur le métrage : ce que Pasolini a sû retranscrire et qu'on oublie souvent chez Sade au profit du simple fantasme, c'est le sadisme abyssal des personnages, qui se repaissent de la souffrance des autres, et bandent dans les larmes de leur victimes.


Il fallait bien ça pour illustrer la violence toute puissante qui irrigue le fascisme, où l'autre n'est plus et devient objet. Réduire l'humain à sa seule chair, à sa dimension de jouet qu'on brise : dans ce concert de viol, de cris, de flagellations et de tortures, la dénonciation de Pasolini pourrait paraître facile ; elle n'en ai que plus puissante.

L'année suivante, dans sa fresque Novecento, Bertulocci dénoncera lui aussi l'horreur du fascisme avec un sens du soucis historique sans doute plus "commode" : il ne pourra pourtant pas se passer de scènes parfois aussi trash que celles de Salò. Tout est question de voir l'innommable en face : la démarche de Pasolini, elle, emprunte davantage au symbolisme. On pourrait y voir ce qu'on veut, un peu trop même (Pasolini ne souhaitait pas que son film soit "compris"), mais ce qui en découle interpelle : Jean Baptise Thoret y voyait par exemple l'amorçage de la télé-réalité, dont le film participe - sans le savoir - au même champ lexical et aux mêmes règles (les tortures finales qui apparaissent comme tant d'images volées et morcelées, pourraient s'apparenter à une sorte de zapping de snuff movie)

Traversé d'images glaçantes (plans d'une symétrie quasi picturale, atmosphère de fin du monde où la guerre gronde au loin), métamorphosant le plaisir en douleur (l'absence d'érotisme et de désir glace, bien que la séquence de la sodomie privée s'apparente à une mystérieuse trêve à ce mécanisme), la farce en gêne (Aldo Valetti et son regard de chèvre dégénérée ou Hélène Surgère, empruntée à Femmes Femmes, en sorcière du stupre), basculant du trivial au scabreux, Salò ne cesse de triturer l'inconfort (les récits contés par les maquerelles où l'on encense la pédophilie, le matricide et la coprophagie), sans ordonner la moindre respiration.

Si l'on sait dans les dernières images, que sonne le glas de 45, personne ne s'en inquiète, encore moins ces miliciens trop préoccuper à danser. À se demander si l'horreur a une fin. C'est donc là où réside l'essentiel de Salò, où bat son coeur noir : il y a une part - la république de Salò - décrite par Pasolini, qui appartient bel et bien au passé, l'autre vit encore, sans doute sous d'autres formes, ailleurs, ici et là-bas. Pour combien de temps ?

Le Grand Frisson (Part III) : Fun & Fears

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LE GRAND FRISSON PART I
On en a beaucoup voulu aux 80's de décomplexer le cinéma d'horreur, avec l'omniprésence quasi-systématique d'humour et d'effets spéciaux tapageurs. À présent, et en grande partie par nostalgie, on en revient beaucoup à regretter cette formule, une alliance par ailleurs pas aussi évidente qu'on le prétend ; n'oublions pas qu'elle n'exclue ni une vraie mise en scène, ni un véritable sens de l'atmosphère. Avec une emphase assez jouissive sur les monstres et les serial-killers, cette échappée a donné lieu à de véritables bijoux conciliant divertissement et frissons, comme le veut le bon vieux principe du train fantôme.
Soit treize titres idéals pour toute bonne soirée d'Halloween qui se respecte !


* Le monstre du train (1979) : Roger Spottiswoode: Après Vendredi 13, le 31 Octobre, Noël, la remise des diplômes ou le bal de promo, il fallait bien s'attaquer au nouvel an ! Et c'est donc le cas ici, puisque lors de la nuit de la nouvelle année, un groupe d'étudiants prêt à festoyer investit un train de nuit prévu pour l'occasion. Une excellente idée donnant l'occasion à Spottiswoode de gérer admirablement un espace restreint, ainsi qu'une ambiance de huis-clos hivernal assez unique. Autre petite précision, la final girl incarnée (évidemment) par Jamie Lee Curtis devra faire face à un tueur changeant de masque à chaque victime, profitant de la fête costumée ayant lieu à bord ! Malgré des réserves typique du genre (rythme en dent de scie, meurtres sans grand intérêt...), Terror Train rebondit aisément sur ses bonnes idées, sa réalisation solide (belle photo de John Alcott, à peine sorti de Shining !) et une dernière partie musclée et redoutable (avec en prime, un tueur plus flippant à visage découvert que masqué) où Curtis devra en découdre dans l'horreur, le chemisier débraillé et ensanglanté. Vraiment à redécouvrir.


 * Massacre dans le train fantôme (1981) Tobe Hooper : Il fut un temps où Tobe Hooper, encore talentueux, explorait l'Amérique des grands malades. Conclusion à cette trilogie hypothétique, The Funhouse est pourtant le plus mésestimé des trois, jeune loup débarquant après un terrassant Massacre à la tronçonneuse et un suffoquant Crocodile de la mort. Trop post-Vendredi 13 ? Trop classique ? Trop soft ? On ne sait pas ce qui a valu l'oubli de ce slasher à l'atmosphère inoubliable, coinçant un troupeau d'adolescents en rut dans un train fantôme hanté par un monstre difforme (merci Rick Baker). À la rudesse de ses titres précédents, Hooper l'a joue taquin et amusé (le film s'ouvre sur une parodie de Psychose), mais sans oublier de faire peur : dans un train fantôme, derrière les pantins grimaçants et les squelettes en plastique, un malaise indicible n'est jamais très loin...


* Le retour des morts-vivants (1985) Dan O'Bannon : Si Romero avait déjà commencé a démystifié ses propres zombies au sein de son oeuvre (ce serait oublier les traits d'humour de Zombie), il a fallu attendre Dan O'Bannon, le scénariste d'Alien himself, pour donner un bon coup de pelle aux revenants. Si vue de l'extérieur, le film s'apparente à une série b horrifique bien dans ses baskets et à la tonalité très comics (ce qu'il est, évidemment), on en a, avec le temps, oublié des qualités qui le déloge gentiment de sa place de simple petite pelloche de Samedi Soir. Avec un sens de l'atmosphère parfois digne du Carpenter de l'époque (c'est quand même flippant...), le film réussit l'incroyable équilibre en premier et second degré, tout en ne perdant aucune miettes de ses possibilités (des zombies quasiment indestructibles, l'iconisation d'une punkette exhibitionniste devenant une pin up des ténèbres, une scène d'intro hallucinante décrivant la propagation d'un produit chimique, une conclusion nihiliste au possible...). Avec toutes les séries Z qui l'imiteront sans succès (dont sa sympathique mais pitoyable suite) et même après la vague actuelle de film de zombies, ce Retour des morts-vivants reste un cas en béton armé de classique indéboulonnable, en tout cas bien plus qu'on ne le croit.


* Demons (1985) Lamberto Bava : Avatar urbain et rital d'Evil Dead, Demons restera sans doute l'oeuvre la plus excitante de Bava junior (si l'on excepte son très impressionnant Baiser Macabre d'un tout autre acabit), faisant ici surgir un virus démoniaque dans un cinéma projetant un slasher au rabais ! Le résultat, baroque, rock et toc, se balance entre les tares habituels du cinéma bis (personnages idiots et caricaturaux, monstres et maquillages outranciers, rebondissements débiles) et de sincères qualités (beaucoup de gore, une ambiance flippante et des idées folles, comme cette victime se perdant dans un dédale de rideaux avant de percer le grand écran, ou un carnage au sabre à bord d'une moto !), en faisant un des produits les plus réjouissants de son époque. Sa suite en l'occurrence, est un nanar quatre étoiles enchaînant les moments de grâce d'un autre monde (attaque de nain ou de chien démon, cavalcade de possédés sur fond de Dead Can Dance, massacre de culturistes fluos). Dans les deux cas, vous ne serez pas perdant !


* House (1985) Steve Miner : Avec un goût du grotesque rappelant parfois les E.C Comics, House est un des plus curieux spécimen de film de maison hantée des 80's, puisqu'il troque les habituels spectres blafards contre une cohorte de goules, gnomes et autres sorcières spongieuses ! Une manière pour Fred Dekker (ici à l'écriture) de déjà préparer le terrain pour ses futurs monstruosités (voire plus bas)... Sur un script faussement Kingien (un écrivain en mal d'inspiration tente de retrouver son fils dans la demeure maudite qu'il occupe), Miner fait apparaître toutes les créatures les plus improbables possibles à un tempo dès plus appréciable. Quant à ses suites plutôt tièdes (un second opus plus familial, un troisième lorgant vers les Freddy et un quatrième nanardesque au possible), elles lui arriveront à peine à la cheville.


* Spookies (1986) : Eugenie Joseph, Thomas Doran, Brendan Faulkner : Autant le dire tout de suite, Spookies n'est pas à proprement parler un bon film (certains diront même sans réserve que nous sommes face à un nanar mais ce serait un peu trop s'avancer). Guidant des personnages d'une connerie abyssale (à peine arranger par une vf calamiteuse) dans un manoir envahie par les pires créatures de l'univers (zombies qui puent, femme araignée, gobelins, grande faucheuse fluo...), Spookies est un ovni rapiécé (il est en parti constitué des chutes d'un autre film : Twisted Souls) et contaminé par la logique du train fantôme : paradis pour maquilleurs drogués, les nombreux monstres transpirent tant et si bien l'excès d'inspiration et une approximation parfois douteuse, que le résultat amuse et dérange sérieusement. En d'autres mots, une oeuvre autre qui mérite pleinement l'attention des amateurs de bizarreries.


* La nuit des sangsues (1986) The Monster Squad (1987) Fred Dekker : Sans aucun doute le diptyque le plus représentatif de cette liste ; et par bonheur, il s'agit de l'oeuvre d'un seul homme : Fred Dekker. Un artisan généreux et nostalgique qui avait eu l'idée géniale d'insuffler le meilleur du cinéma de la série b d'antan dans ce que les 80's avaient de plus succulent. Source d'inspiration à peine citée de Slitter et de Dance of the Dead, Night of the Creeps démarre fort : une poursuite dans les coursives  d'un vaisseau alien, un prologue en N&B où des tourtereaux partent en ballade alors qu'un fou furieux erre dans la ville : si le rythme s'affaisse un peu par la suite, on jubile de voir des zombies sanguinolents et des sangsues extra-terrestres semer la terreur dans un teen movie johnhughesque, avec en prime un très sympathique carnage final rappelant Braindead avec quelques années d'avance (tondeuse à gazon en bonus !). The Monster Squad louche quant à lui sur un autre versant des glorieuses eighties : Amblin. Rencontre inespérée entre Les Goonies et les monstres de la Universal (Dracula, the Gil man, le loup-garou, le monstre de Frankenstein, la momie : ils sont tous là !), The Monster squad surpasse son statut de gentille farce pour amateurs de par sa superbe réalisation (quel scope !) et son mordant (la présence de Shaun "L'arme Fatale" Black au générique est un gage de qualité à ne pas renier).


* Night of the Demons (1988) Kevin S.Tenney : Surtout connu des amateurs en raison de ses misérables suites ayant squattés les bacs vidéos, la saga des Night of the Demonsétait pourtant parti sur des bonnes bases, avec un Evil Dead like (encore !) prenant place durant la nuit d'Halloween. Une bande de teens brailleurs y connaîtront une nuit de cauchemar dans un manoir où ça possède et ressuscite à tout va. Loin d'être une série Z au rabais, Night of the Demons fait preuve de style, et le prouve lors d'un générique d'ouverture dantesque, sans doute l'un des plus beaux du cinéma d'horreur des 80's. Bizarrement sexy (une goth sulfureuse offrant une scène de danse mémorable sur fond de Bauhaus ou Linnea Quigley s'enfonçant un baton de rouge à lèvres dans le sein !) et joliment macabre (c'est loin d'être réalisé avec les pieds), on lui en pardonnerait ses facilités.


* Waxwork - Crimes au musée de cire (1988) Anthony Hickox : Artisan honnête de la série b de vidéo-club bien torchée, Anthony Hickox signe avec Waxwork ce qu'on trouve de mieux en divertissement horrifique ultra eighties ! David Warner y tient en effet un musée de cire où chaque statuette dissimule un monde parallèle lui étant dédié : une bande de sales gosses de riches (dont Zach "Gremlins"Galligan et Dana"Twin Peaks" Ashbrook) y verront l'occasion de se perdre dans des dédales de dimensions hostiles où les attendent Dracula (réservant une scène de massacre bien gore), le loup-garou, la momie ou encore le Marquis de Sade ! Assez méchant et inspiré, l'essai ne sera malheureusement pas dignement renouvelé dans une suite certes inventive (il est cette fois question de voyage dans le temps), mais trop cheap et éparpillée pour convaincre. Ce qui est loin d'être le cas de la première monture.



* Les Clowns tueurs venus de l'espace (1988) Stephen Chiodo : Que Stephen Chiodo et ses frères aient fréquentés un temps l'univers de Burton (à ses balbutiements pour tout dire) n'a rien d'un hasard à la vue de ce pandemonium sucré et macabre mettant en scène l'invasion d'une bande de clowns extra-terrestres et mangeurs d'hommes ! Empressés de transformer l'humanité en barbe à papa, les voilà redoublant d'ingéniosité pour embarquer le moindre étourdi dans leur vaisseau chapiteau : tarte à la crème sulfurique, voiture invisible, ombres mortelles, pop-corn vorace...
Se défilant d'une véritable responsabilité scénaristique (les personnages sont volontairement tartes et sans intérêts), Killer Klowns amuse autant qu'il inquiète avec sa bande de Bozo caoutchouteux, où chaque apparition est l'occasion pour les auteurs de marier poésie, bizarrerie et déambulation cartoonesque.


* Le Blob (1989) Chuck Russell ; Après un monstrueux Freddy 3 qui n'aurait pas fait tâche par ici, Chuck "The Mask" Russell récidiva dans la série b hargneuse et bourrée à craquer de Fx en s'attaquant au blob, exemple type de la série b de SF dont les qualités tiennent davantage dans son charme rétro. Une nuit d'horreur attend ainsi une petite ville après la chute d'une comète dont s'échappe une matière informe prête à dévorer la terre entière. La beauté toujours intacte des effets spéciaux (un cuistot se fait happer par l'évier dans une scène impensable sur le papier et les déplacements incroyables du blob sont un beau gros fuck aux cgi actuels) et la cruauté permanente du spectacle (bodycount généreux n’épargnant ni les enfants, ni le prétendu héros vendu dans les premières minutes du film !) assurent encore aujourd'hui un grand moment de b-movie.`


* Trick 'r Treat (2007) Michael Dougherty : Nous ne sommes plus dans les années 80 certes, mais cet exemple (pas si) hors sujet paraissait avoir tout à fait sa place ici bas. Que l'un des meilleurs films d'horreurs des années 2000 soit resté inédit en France est une injustice sans nom qui, vu sa date de sortie américaine (elle-même chamboulée), ne sera sans doute jamais réparée. Dans une structure chorale évoquant Pulp Fiction, Trick 'R Treat fait parler le destin de plusieurs protagonistes de tout âge déambulant le soir d'Halloween, qu'on croit tout d'abord sans véritablement lien : un groupe de gosses cherchant à se faire peur, un petit chaperon rouge (Anna "True Blood" Paquin) menacé par un vampire masqué, les complications d'un père de famille serial-killer...le tout traversé par la silhouette d'une créature masquée et facétieuse. Mêlant l'horreur baroque et comics d'un Creepshow au sens de l'atmosphère d'un Halloween, le résultat est un petit bijou de méchanceté à la fois somptueux, flippant et malin. À découvrir d'urgence !

Cin'Express #3 - Octobre 2013

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* La vie d'Adèle - Chapitre 1 et 2, d'Abdellatif Kechiche :  Difficile d'aborder la fanfaronnade Adèle, auréolée de toutes les polémiques possibles : assiste t-on à un chef d'oeuvre ou à une palme volée ? Léa Seydoux est-elle une petite profiteuse ou une nouvelle étoile ? Kechiche est-il un ogre des plateaux ou un génie incompris ? Le regard masculin brade t-il le public lesbien et la crudité des scènes de sexe est-elle justifiable ? On pourrait s'étendre encore et encore...
À l'arrivée, La vie d'Adèle n'est pas parfait c'est certain...mais se révèle être un grand film (et c'est déjà pas mal). Pas une si jolie histoire que ça d'ailleurs (merci l'affiche française qui tente de nous faire avaler n'importe quoi), mais une oeuvre amère, rugueuse (à contrario de l'approche esthétique et plus romantique de la bd d'origine, déjà assez sombre malgré tout) sur la chimie des corps, l'éducation sentimentale, la passion qui fâche, la découverte de soit. En 3h, Kechiche va souvent étonnement vite (des ellipses parfois abruptes), mais il capte les regards, les gestes et les faiblesses avec une ardeur brillante. Un (petit) voyage de l'intime et de la souffrance, où le bleu se niche dans tous les plans possibles. Bleu d'une chevelure, bleus du coeur... 

"- Pourquoi tu pleures ? 
- J'pleure pas..."

* 9 Mois Ferme, de Albert Dupontel : Certains ont parié pour un retour de Dupontel vers quelque chose de plus rude et de plus trash, façon Bernie. Or, et il faut être réaliste, jamais Dupontel ne retrouvera la hargne parfois impensable de son premier film. Mais il reste de ce 9 Mois ferme bien d'autres choses. Invitant une Sandrine Kiberlain loufoque malgré elle, Dupontel dessine une rencontre improbable et tendre entre une juge vieille fille (et fière de l'être) et un cambrioleur coffré pour cannibalisme. Un conte branque peu avare en performance bouffone (Nicolas Marié incarne le plus mauvais avocat du monde et a droit à un monologue d'anthologie), en grimaces et en gore (oui oui !), pour le plus grand bonheur d'une comédie française qui aurait besoin de ça bien plus souvent. Pour ne pas dire, tout le temps...


* L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet, de Jean Pierre Jeunet : On a beaucoup reproché à Jeunet de se vautrer sans complexe dans un cinéma camembert : ni une, ni deux, il applique la même recette chez les ricains avec cette ballade initiatique certes jolie (la 3D est assez surprenante), mais pas loin de ressembler à une longue pub McCain. Moins drôle et moins inspiré qu'à l'accoutumée, Jeunet dissimule tout de même sous sa couche de bibelot un étrange aparté sur le deuil, qui réussit à sortir ce T.S Spivet du tout venant (sans ça, le film aurait sans doute ressemblé à une comédie familiale des 90's). Problème de taille tout de même : Jeunet a t-il encore des choses à dire ? On se demande...

* C'est la fin, de Seth Rogen & Evan Goldberg : Comédie métha carburant au même humour gras, destroy, enfumé et gore que Sa Majesté et Délire Express (ça tombe bien, on  y retrouve le même casting agrémenté de guests rigolos, dont un Michael Cera ultra vicieux et une Emma Watson farouche), This is the end parachute une poignée de comiques réunis dans une villa pour y faire une bringue d'enfer...jusqu'à que l'enfer vienne à eux, le temps d'une apocalypse définitive ! S'il faudra passer sur les fx calamiteux et des gags gay friendly ultra-répétitifs (à croire qu'ils ont un sacré soucis avec ça...), le résultat est hallucinant de dinguerie assumée. À condition par contre d'en connaître assez sur le casting et ses antécédents, ou cette private joke géante risque de vous passer complètement au dessus.


* Nos héros sont morts ce soir, de David Perrault : Triste de constater que les films de genre français les plus intéressants passent parfois complètement inaperçus (remember Dans ma peau, Innocence, Dernière Séance, Territoires...), comme c'est le cas avec cette oeuvre inclassable, nimbée dans un noir et blanc de toute beauté. À l'aube des sixties, le catch fait fureur en France et deux de ses icônes échangent alors leur masque, à leurs risques et périls. Si son casting de gueules (Jean Pierre Martins et Denis Menochet n'ont jamais été aussi magnétiques) et son emballage rétro peut faire penser à un simple bisou vintage, le résultat étonne à plus d'un titre : plus qu'un film sur le catch, Nos héros sont morts ce soir s'apparente à un rêve éveillé toujours à la lisière de l'étrange, où les références ne sont pas celles qu'on imagine : tour à tour, Nerval croise Gainsbourg, Frankenstein approche James Cagney, le fantôme de Giorgio Ferroni appelle celui de Georges Franju... Inspiré, mystérieux, racé. Et c'est à voir. Vraiment.



* Snowpiercer, le transperceneige, de Bong Joon Ho : Adaptation ambitieuse et attendue d'une de nos bd hexagonale (qui est un territoire bien plus riche qu'on ne le pense si on sait aller au delà des Schtroumpfs et d'Asterix), Snowpiercer laisse place à tous les débordements d'un enfant terrible et précieux, qui nous fait oublier le souvenir tristounet d'un certain Elysium. On y retrouve en effet le paquetage des classes dans un futur dérisoire, condamnant les miettes de l'humanité à vivre dans un train traversant incessamment la planète : on balance alors les pauvres à l'arrière dans des wagons poubelles et les riches vivent oisivement à l'avant. Puis soudain la révolte....
Valse glaciaire de moments de bravoures hallucinants (l'affrontement avec une armée des gardes bouchers, une tuerie sauvage dans un sauna, une fusillade incroyable en plein virage) et de décalages grotesques sans cesse contrebalancés par une noirceur vertigineuse (les choix radicaux du personnage incarné par Chris Evans en surprendront plus d'uns), Snowpiercer fait vite oublier ses menus défauts (un casting parfois cabotin, quelques incohérences ou non dits douteux) par la puissance de son traitement. Une sacré expérience évoquant plus d'une fois la saga Bioshock (le mariage de la technologie et du délabrement, les aspects steam-punk, l'illustration d'un micro-société gangrenée et décadente...) tout en évitant la structure linéaire qui lui pendait au nez. Implacable, ébouriffant.


* Attila Marcel, de Sylvain Chomet : Quelle coïncidence que Chomet se mette au cinéma "live" la même année que le retour de Gondry et de Jeunet. Une chance pour lui, les deux hommes se sont bien plantés. Qu'en est-il donc de ce Attila Marcel, où un pianiste muet farfouille ses souvenirs en espérant résoudre le mystère entourant la mort de ses parents ? Eh bien, c'est plutôt sympathique. Si on excusera un visuel pas aussi inspiré que les dessins animés de son auteur et deux scènes musicales atroces, ce joli conte (pas toujours très joyeux d'ailleurs) se relève suffisamment charpenté par un beau casting. Si Gouix fait bien mouiller ses jolis yeux verts, le trio Bernadette Laffont/Hélène Vincent/Anne le Ny font de véritables miracles, sans oublier le trop rare Jean Claude Dreyfus dans un petit "grand" rôle. Faussement innocent, drôle et prenant, cette ballade proustienne a décidément du charme.

Santa Sangre (1989) Alejandro Jodorowsky : Le Carnaval des âmes

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"Je tends mes mains vers toi, me voici devant toi comme une terre assoiffée
Révèle moi le chemin à suivre, car je suis tendu vers toi "
 Lorsque La danza de la realidad fit son apparition à Cannes cette année, la surprise fut savoureuse mais avait un air de déjà vu : à jeter un oeil dans le rétroviseur du passé, l'expérience du Voleur d'arc en ciel en 1990 avait en effet dégoûté Jodorowsky des plateaux de cinéma (et surtout des films de studio). À la fin des années 80, la situation pour le grand manitou de la psycho-magie était relativement similaire : alors qu'El Topo et La montagne sacrée lui avaient ouvert les portes de dimensions inédites dans les 70's, le naufrage de Dune et l'échec du mystérieux Tusk le ramenèrent à la désillusion, pour ensuite le conduire sur les chemins de la bande-dessinée, à qui il offrit une contribution généreuse.

Alors que le cinéma d'horreur italien est sur le déclin, Claudio Argento, frère de Dario, toque à la porte de Jodorowsky et lui offre une histoire de serial killer qu'il pourra détourner à sa guise (l'excuse du giallo étant semblable au prétexte du western pour El Topo). Le résultat en sera Santa Sangre, fruit sanglant d'un homme libre, comblé, inspiré et porté par une grâce magique.


Une grande partie de la réussite de Santa Sangre tient d'ailleurs dans son conditionnement :  El Topo et La montagne sacréeétaient des aventures picaresques et psychotropes et les rejetons d'un cerveau en fusion ; Santa Sangre segmente ses débordements baroques dans un récit plus construit, où tout semble couler de source, sans que rien ne soit prévisible pour autant. Cet étrange équilibre bâti sur des fulgurances tient bon de la première à la dernière image, là où il aurait pu égarer très vite le spectateur.

Et pourtant, Jodorowsky ne se ment pas, il offre même un accomplissement total de son art et de ses manières : l'amour des freaks, le symbolisme omniprésent, la tentation du gore, les éclats religieux, l'impression d'hallucination permanente ; tout cela et bien plus encore demeurent.


L'histoire de Santa Sangre est à elle seule celle un tableau fou et tragique : dans un cirque planté au milieu des quartiers pauvres de Mexico, le petit Fenix se trouve ballotté entre un père lanceur de couteaux, adepte de l'hypnose et de la bouteille, et une mère fanatique ayant bâtie sa propre église, y vouant un culte (de courte durée) à une martyr imaginaire.
Tout pourrait s'arrêter sur l'amourette entre Fenix et la petite Alma, la funambule sourde et muette, mais la tragédie le rattrape : castrant son époux pour une infidélité, la mère de Fenix finira les bras tranchés, tandis que le père se suicidera sous les yeux de son fils. Fenix perd alors la raison et passe des années entières dans un asile, figure christique revenu à l'état d'animal, vivant tel l'aigle qu'il a tatoué sur le torse. Puis un jour, sa mère revient : son pouvoir sur Fenix est immense, lui ordonnant alors de devenir ses bras, et lui faisant commettre le pire...


Une critique publiée à l'époque de la sortie du film scandait que Santa Sangreétait l'équivalent de Psychose revisité par Bunuel :  raccourci très juste, bien qu'on pourrait s'en autoriser bien d'autres. Jamais Jodorowsky n'avait été aussi enivré d'inspirations si nombreuses, croisant Tod Browning (Freaksévidemment, et surtout L'inconnu, qui causait déjà de manchot et de lancers de couteaux), le Mime Marceau (une scène coupée rend d'ailleurs hommage aux Enfants du Paradis) et Fellini (le goût du sublime et du grotesque, des femmes atypiques et bien sûr, du cirque).

Quant au nom d'Argento au générique, Jodorowsky ne semble pas le laisser au hasard : toutes les couleurs du cauchemar (éclairages verts ou rouges dévorant les murs) s'invitent le temps de quelques scènes, appelant bien évidemment l'influence de Dario Argento (la mise à mort de la femme tatouée, rituel de chair sur fond de mambo infernal, dépasse en cruauté et en gore tout ce qu'à pu faire Argento dans les 80's) et de Mario Bava (un cimetière d'où émergent des spectres nus et livides), ou même d'ailleurs (Simon Boswell récupère quelques passages musicaux de Bloody Bird !). Une belle réunion de références qui ne voilent jamais le style de son auteur, qui décuple comme toujours le budget à l'écran par des moyens incroyables.


 S'il s'agit de son film le plus maîtrisé, Santa Sangre est aussi de loin le plus émouvant, et le plus personnel avant La danza de la realidad. Jodorowsky y effleure déjà le mélange paradoxal de cruauté et de tendresse dans la figure du père et de la mère, ainsi que sa passion pour le cirque : plus qu'un cinéma de l'hallucination, Jodorowsky voulait s'accomplir dans un cinéma de l'émotion.
Du tatouage douloureux de Fenix comme passage de l'âge adulte aux retrouvailles de deux anciens enfants égarés (l'un des plus beaux baisers du cinéma), Santa Sangre déborde d'un lyrisme foudroyant, jouxtant un érotisme déglingué (les couteaux sont ramenés à leur puissance phallique et les scènes de lancers de couteaux ressemblent à des coïts) et un humour noir insidieux.


Norman Bates de carnaval, le personnage de Fenix (incarné par les deux fils de Jodorowsky) perd en horreur ce qu'il gagne en beauté : comme ce serial-killer que Jodorowsky avait rencontré et qui avait occulté son passé et repris une vie normale, c'est l'idée de rédemption qui se dégage dans cette marre de sang. À contrario du tueur lambda, Fenix se retrouvera in extremis, dans un final au croisement de la renaissance, de la déclaration d'amour et du deuil accompli. Santa Sangre est à l'image de son personnage principal : un geste d'amour et de violence, une montagne de sang et de larmes.


Cruising - La Chasse (1980) William Friedkin - Interior Leather Bar (2013) Franco & Matthews : Cuir Moustache

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Pour ouvrir le bal cuirassé de Cruising, difficile de taire deux titres antérieurs d'une dizaine d'années : Le Détective de Gordon Douglas tout d'abord, où un Frank Sinatra désabusé et homophobe enquêtait déjà dans le milieu homosexuel, et Les garçons de la bande du même Friedkin, huis-clos amer entre homos qui ôtait le voile sur ce qui n'était à l'époque qu'une perversion. Entre temps, Friedkin s'est fait un nom, et a touché au film d'aventure, à l'horreur, au polar, à la comédie : bien avant l'arrivée des thrillers à tendance érotiques, Cruising plaçait d'ailleurs déjà le sexe au sein d'une intrigue policière jouant ouvertement la carte de la ballade sordide.
À ce titre, les premiers plans montrant un bras coupé flotter dans l'Hudson River soulignent sans ménagement les envies d'explorer les arcanes d'un New-York encore crasseux et interdit.


Comme beaucoup de films de son époque, Cruising finira lui aussi par devenir un interdit à lui seul, maudit par une succession de scandales. D'un côté, la communauté homosexuelle, rebutée par la représentation frontale et douteuse de Friedkin, s'en ira gâcher le tournage et la sortie du film ; de l'autre, les censeurs décontenancés par le contenu violent et sexuel de l'oeuvre, qui obligera Friedkin à tronçonner son film.

Tenant presque de la légende urbaine, quarante minutes du film disparaîtront dans la nature, écartant de nombreuses (?) scènes sulfureuses, et réduisant le temps de présence des personnages de Karen Allen ou de Joe "Maniac" Spinell. Entre vengeance et provoc', Friedkin ajoutera des plans subliminaux hard lors des scènes de meurtres lors de la ressortie du film, coquetterie grossière surlignant inutilement la dimension symbolique et sodomite des meurtres.


Thriller déséquilibré mais fascinant, Cruising est un instantané ambivalent d'une époque, finissant presque par reléguer son enquête policière dans les orties. Son côté sensationnaliste (le fétichisme du cuir, les sous-bois orgiaques, l'envers d'un New-York ténébreux) jette un regard effrayé mais séduit sur un monde hédoniste et nocturne, qui ne connaissait pas encore la terreur du Sida, à la manière de son homologue hard New-York City Inferno (qui a dû très certainement documenter Friedkin !).

En terre inconnu, le personnage d'Al Pacino devient le cobaye d'un auteur obsédé par la propagation du mal : la sensation de devenir gibier (pour le tueur et pour les dragueurs de passage), le chemin vers une nouvelle ultra-virilité, la perte de repères liée à une libération d'un autre genre ; c'est tout cela que raconte Cruising, outre son imagerie accomplie et hyper sexuelle (d'ailleurs amoindrie par un nouvel étalonnage bleuté très "science-fiction", à l'inverse de l'original, plus chaud et moite).

Mais c'est aussi le revers de la médaille : le discours de Friedkin est fatalement ambiguë (c'est sa seconde nature, rien de très nouveau), encore plus replacé dans une époque où les homosexuels faisant encore figure de freaks malvenus à Hollywood (ce plan d'introduction aujourd'hui disparu où un douteux "We are everywere" bavait sur un mur). Car c'est encore de cela qu'il s'agit malgré tout, ainsi que dans l'assimilation mâle/mal parfois à double tranchant. Mais rien n'est clair chez Friedkin, encore moins son rapport au monde, vu le peu d'estime qu'il assigne aux forces de l'ordre (la plupart des flics y sont décrit comme sadiques ou pervers). Les eaux troubles du grand William...

S'associant au grand manitou du porn gay hipster (si l'on peut dire) Travis Matthews, James Franco s'amuse un peu plus à se dessiner une carte gay-friendly avec ce Interior Leather Bar, film concept alléchant cachant un essai assez curieux. Et pour une fois qu'il faut bien être prévenu, voire spoilier, il faut dire que ce ILB est une arnaque fascinante, qui projette de reconstituer les fameuses quarante minutes perdues de Cruising.


Sur une heure, nous n'aurons pourtant que cinq minutes de "reconstitutions," vague clip (très réussi tout de même) ne nous apprenant strictement rien de nouveau. Quant au reste, il s'agit d'un making-of monté de toutes pièces (il s'agit d'un mockumentary , littéralement un documenteur), où l'on voit Franco et Matthews s'atteler à réunir un casting ne réunissant d'ailleurs pas que des acteurs gays. L'acteur incarnant Pacino, est de ce fait un hétéro angoissé à l'idée d'être catégorisé ou confronter à l'incroyable. Lorsque Franco explique l'intention de son projet (extirper la beauté du stupre et fustiger l'hypocrisie sexuelle) ou que l'on partage les doutes  de ce fake Pacino angoissé (autant que le personnage de Cruising !), quelque chose d'autre se dessine derrière le fantasme inassouvie, entre mise en abîme et remise en question du système hollywoodien. Très curieux.


Les Rencontres d'après Minuit (2013) Yann Gonzalez : We are the Night

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" J'ai déjà envie de vous..."
À peine quelques semaines plus tard que la sortie de Nos Héros sont morts ce soir (présenté lui aussi à la Semaine de la critique), Les rencontres d'après minuit fait à nouveau office d'OVNI hexagonal mystérieux et tapageur (et d'autre part, de surprise mésestimée). Sevré à l'exercice du court, Yann Gonzalez se jette à corps perdu dans un projet insensé, qui aspire des années de gavage de cinéma bis (il le revendique et c'est tant mieux) et de promenade cinéphilique éclectique. Mais l'idée principale, c'est aussi de se défaire d'un cinéma français linéaire, engoncé, qui ressasse et se résiste. 


Au commencement, un scénario de film porno, ou plutôt un rêve de film porno : un couple bourgeois et leur bonne travestie accueillent quatre invités (l'Étalon, l'Adolescent, la Star et la Chienne) pour une orgie jusqu'au bout de la nuit. Ce qui aurait dû virer Dorcel va cultiver son champ ailleurs : ici, le Bunuel du Charme discret de la bourgeoisie s'invite au Breakfast Club, dont il reprend le huis-clos où les contraires s'attirent. Ce qui frappe dès les premiers instants, c'est l'imaginaire de Gonzalez, qui persiste, flatte, inquiète : doux cauchemar ou féerie érotique, on ne sait plus. Et on se laisse aller...

Autour d'un couple d'amants séculaires et angoissés, s'activent des archétypes (comme chez John Hughes donc) qui brisent la glace. Ce qui aurait pu être chaotique garde une unité fascinante ; son casting lui doit beaucoup : Cantona inattendu en poète déchu et membré, Fabienne Babe touchante en étoile fassbinderienne, Delon Junior magnétique en fugueur sorti d'un Genet... Gonzalez souhaitait déjà dénoter à travers son choix de comédien, visant ce qu'il appelle lui même une "harmonie bizarre".

Tout concourrait donc à quelque chose de profondément pornographique, ou au pire, comique. Si le film de Gonzalez peut faire sourire, il refuge de séjourner là où on l'attend : chaque personnage laisse éclater des fragments de vie que l'on peut croire ou pas, voguant entre rêves, souvenirs, légendes ou projections. Un fantastique assumé se glisse alors entre ces virages, et le désir monte autant que la mélancolie grandit. Là un plan renvoie à La Belle Captive de Robbe-Grillet, plus loin on songe à Cocteau et Jean Rollin, Ilsa s'invite le temps d'une scène (incarnée par...Beatrice Dalle !), un intermède aux allures de conte emprunte aussi bien à Eric Rohmer qu'à Mario Bava. Des parfums rares et nombreux mais qui ne noient jamais les intentions de Gonzalez...


Rituel d'amour, cérémonie pansexuelle, Les rencontres d'après-minuit ne se renie jamais et s'invente : sa mélancolie grandiose, bercée par l'incroyable b.o de M83 (évoquant Francis Lai ou François de Roubaix), ne cesse de nous renvoyer à la fragilité de l'homme, à la beauté des instants suspendus.  Car aussi cochon soit-il, on se surprend à y déceler une tendresse infinie (l'incroyable scène de baisers dans l'obscurité), célébrant le plaisir mais sublimant les élans du coeur. Et si de chair trouble et ardente il est question, Les rencontres d'après minuit c'est aussi un immense poème voué à la nuit, à ses peurs, ses errances, ses forêts noires, ses fantômes, ses merveilles.


Cin'Express #4 - Novembre 2013

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* La Venus à la fourrure, de Roman Polanski : On craignait une nouvelle régression de la part de Polanski, dont le récent Carnage se laissait piéger par un minimalisme à bout de souffle : cette Venus à la fourrure joue en effet une nouvelle fois la carte du théâtre filmé, ici au sens propre du terme ! Mais par une ironie grinçante, ce choix va prendre ici tout son sens. Réunissant un metteur en scène sur le pied de guerre et une actrice vulgaire mais non dénuée de talent autour d'un casting fleurant bon le Sader-Masoch, Polanski déroule une situation d'abord délicieusement comique pour en faire un huis-clos suintant très vite par tous les bords le cuir froissé et le poison de la soumission. On s'amuse des clins d'oeils et des mises en abîmes au cinéma de Polanski, mais aussi au personnage lui-même (bien que tout cela ne semblait pas si volontaire selon son auteur !). Une comédie vénéneuse, à la mise en scène admirable (l'incroyable manière d'aborder l'espace et de la métamorphoser, ou la puissance grandissante de l'inversion des rôles) qui réanime le fiel d'un cinéma délicieusement malsain.


* Cartel, de Ridley Scott : Dire que ce traquenard bourgeois et parano collait plus à l'esprit de son défunt frère Tony Scott est un doux euphémisme, laissant ici le survivant de la fratrie à bord d'un objet aussi raté que bizarre. Trop bavard et autiste, Cartel se voudrait chic et choc, et finit par sonner toc. Malgré ses écarts de conduite (comme ces deux mises à mort qui semblent tout droit provenir d'un Saw !), malgré son casting all stars, malgré l'esthétique toujours aiguisée de Scott...l'ensemble prend vite l'eau. On en retient surtout la noirceur inhérente à l'écriture de Cormar McCarthy, faisant glisser le film vers la fable cruelle et démesurément nihiliste, ainsi que la présence d'une Cameron Diaz à la vulgarité décomplexée, femme panthère faisant l'amour aux voitures en plein coeur de la nuit...


* Borgman, de Alex Van Warmerdam : Voilà presque deux décennies que Warmerdam nous a habitué à un cinéma décalé et surréaliste, chantant la bizarrerie humaine à tout va ; ça ne risque pas de changer avec ce Borgman, de passage à Cannes. Croisement aussi bien esthétique que thématique d'un Haneke avec Bunuel, ce thriller aliénant précipite un ermite mystérieux et ses sbires dans les pattes d'une famille tranquille, qui ne tardera plus à se déglinguer. Entre son humour noir tendance serré (le fond d'un lac se retrouve constellé de cadavres encombrants) et un climat de frustration sexuelle permanent, Borgman finit par stagner dans son étrangeté forcée, quitte à lasser dans sa seconde partie. Son atmosphère pavillonnaire hors du temps et sa manière d'envoyer valdinguer les valeurs familiales ne sont d'ailleurs pas sans rappeler un Canine bien plus déjanté; mais aussi bien meilleur.


* Inside Llweny Davis, de Joel & Ethan Coen : Autant dire d'emblée que l'auteur de ses lignes n'a aucune passion particulière pour le cinéma des Coen, dont ce Inside Llweny Davis fut encensé sur la Croisette et ailleurs. Ballade tristounette teintée d'humour à froid, il en résulte un poème folk dépressif et faussement comique, cristallisé de beaux morceaux musicaux et de silhouettes aigries dessinées à la cisaille. Un bel objet un peu plat tout de même, qui aura au moins l'avantage de relancer davantage la carrière du bel Oscar Isaac (retrouvant d'ailleurs une Carey Mulligan étonnante en brunette ordurière), ici en looser affublé de chats roux voyageurs.


* Il était temps, de Richard Curtis : Figure aujourd'hui emblématique de la comédie romantique British, Curtis s'amuse cette fois à broder un argument fantastique (un garçon se découvre le don de voyager dans le temps) autour d'une rom com glissant petit à petit vers la chronique familiale douce amère. Du coup, Il était temps assume sans répits son statut de "date movie", enfonçant même le clou dans sa vision ultra-conformiste du bonheur (= mariez vous et faites des mômes). Si ces bons sentiments restent impossibles à décaper, on appréciera tout de même la finesse typiquement anglaise du script et le casting incroyablement à l'aise (dont le couple Lindsay Duncan / Bill Nighy, fameux).


* Les garçons et Guillaume à table !, de Guillaume Gallienne : Au milieu des Camping et des Bowling, ce "piece of me" 100% Gallienne sait évidemment faire la différence, décorticage loufoque de la crise d'identité d'un garçon qui a toujours cru être une fille. Si la saveur des personnages féminins et la maîtrise du bonhomme, tant à l'image qu'à l'écrit, en font un moment sympathique, ses quelques réserves lui fait louper le coche de la grande comédie vendu hystériquement à gauche et à droite : démarche nombriliste sans grande pudeur (on aurait préféré une approche sans doute plus simple à la Woody Allen), vision de la communauté gay digne d'un lointain Pédale Douce (lascars surgis de Citébeurre, gogo danceurs et musclors écervelés) ou gags inégaux (que vient faire Diane Kruger en reine des lavements à la bavaroise ?). Pour un premier long, on veut bien passer l'éponge...


* The Immigrant, de James Gray : Violence et passion dans un NY 20's blafard et obscur, qui ne demande qu'à laisser filtrer la lumière de l'espoir. Si pour une fois Gray s'adonne à la fresque historique intimiste, ce n'est sans doute pas seulement par coquetterie : conduisant une immigrée polonaise dans les bras d'un souteneur ambigu et d'un magicien amoureux, The Immigrant appelle à tout un pan du cinéma où le mélo hissait sa plus haute voile (en somme, les années 20 donc). Un spectre de pellicule qui va jusqu'à hanter la prestation d'une Marion Cottillard enfin libérée du joug potiche que lui a collé le cinéma ricain, ici en lointaine cousine de Lilian Gish. Destinée désespérée mais jamais racoleuse, subjuguante de beauté : on admire.

Carrie, la Vengeance (2013) Kimberley Peirce : La Reine des Pommes

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On ne reviendra pas sur le sempiternel débat concernant la mode du remake sauvage, qui a su alterner bonnes et mauvaises surprises. L'utilité d'un remake étant toute relative, il ne reste qu'à découvrir si certains auteurs ont été assez malin pour ne pas tomber dans la malédiction du "copié-collé". Qu'importe donc que le Carrie original est un chef d'oeuvre (comme beaucoup des films "remakés"), puisqu'on nous susurre qu'il s'agit d'une nouvelle adaptation du roman. Une excuse assez légitime pour qu'on puisse jeter un oeil curieux dans ce projet plus ou moins louable. Les premières images insistaient d'ailleurs sur les évictions spectaculaires du film de DePalma (à savoir la ballade destructrice de Carrie), annonçant du neuf avec du vieux.

L'autre point éventuellement rassurant de ce Carrie 2013, c'est la présence de Kimberly Peirce aux manettes, qui avait mis beaucoup de coeur dans son Boys don't Cry quinze ans auparavant, en décrivant la cruauté de l'homophobie aux portes d'une ado qui se rêvait garçon. Quoi de mieux pour aborder une histoire aussi tragique et touchante que celle de Carrie, qui attendait de pousser son cri de révolte et de souffrance...
Hélas, trois fois hélas, on comprends très vite que Peirce se laisse aller en pilote automatique, le temps d'un film assez léché pour ne pas ressembler à un DTV certes, mais reprenant scène après scène toute la structure du DePalma.


2013 oblige, Carrie ronge son frein sous l'ère Facebook et YouTube, et apparaît sous les traits d'une Chloé Moretz qui peine terriblement à retrouver la grâce fragile de Sissy Spacek. Déjà trop jolie, l'ex Hit Girl cabotine même à outrance dès l'utilisation de ses pouvoirs (à peine aidée par des CGI chaotiques), gesticulant et grimaçant comme une X-Men sous Tranxene. Une erreur de casting évidente à peine rattrapée par le reste du casting,  télévisuel et interchangeable à souhait (la palme à revenant au personnage de Chris devenu une Lindsay Lohan de trottoir).

S'il y a bien une âme qui s'accroche à ce triste spectacle, c'est bien Julianne Moore, pas aussi mémorable que Piper Laurie certes, mais suffisamment fiévreuse pour emporter l'adhésion. Elle s'accapare un des rares bonus de cette monture, à savoir une introduction hystérique où son déni de grossesse la mènera à menacer sa propre progéniture, qu'elle ne sait comment appréhender.


Sans effort aucun, la séquence charnière du bal n'a même pas l'audace de se vautrer dans le grand-guignol tout désigné d'un Destination Finale (se retrouvant même en dessous du gore cracra de Carrie 2), laissant compter plus de survivants que de morts ! Et en terme de tensions, inutile de dire qu'on est à mille lieux de la progression apocalyptique du film de DePalma...

Cette absence révoltante d'érotisme, de lyrisme, de beauté, de chair même, renvoie non pas à l'inégalité déjà prouvée de l'empire des remakes, mais à la pente glissante dans laquelle se fourvoie le cinéma d'horreur actuel.
Bret Eston Ellis disait que la première monture de Carrieétait le film plus grand, le plus triste, le plus incroyable et le plus compliqué de l'histoire du cinéma américain sur les femmes. Il avait raison, et c'est toujours le cas. Vous savez ce qui vous reste à faire...

Black Christmas (1974) Bob Clark : Le Sapin a les boules

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Comme la belle étoile d'un sapin qu'on aurait retrouvé au fond du grenier, Black Christmas fut un plaisir à (re)découvrir, écopant d'un statut de "classique tardif" bien trop longtemps après sa conception. Un honneur tout de même sauf pour un grand film resté inédit chez nous durant des décennies, et dont la présence fut parasitée à la fois par l'arrivée d'Halloween (avec accessoirement celle de la vague slasher), puis ensuite par le virage sec de Bob Clark vers la comédie, après un dernier détour par le thriller victorien dans le tout aussi oublié Meurtre par Décret. Un réalisateur mésestimé dont on exhuma également un antérieur Dead of Night, qui anticipait le Martin de Romero en bien des points. Black Christmas brûle quant à lui les cartouches du slasher avant même que celui-ci ne naquit...

 

On a évidemment beaucoup disserté sur la naissance du slasher (les deux pré-Slasher les plus évident étant Torso et La baie sanglante, merci les italiens) : à y voir de plus près, Black Christmas est encore éloigné de la plupart des petits films qui viendront le narguer au box-office ; car, retour de flamme, il est plus malin qu'eux à tous les égards. Ce qu'il anticipe surtout, plus que les codes du genre (pas de masque, pas d'adolescents dévergondés, pas de gore mais déjà l'utilisation du téléphone comme objet de terreur.), c'est le schéma d'Halloween, prenant une fête célèbre comme tableau tragique et fondant son serial-killer dans une ombre totale. À cette égard, sa première apparition sera filmé en vue subjective tout comme chez Carpenter.

Inutile de parler de plagiat, parlons plutôt de similitude : chez Carpenter, la croisade d'un psycho-killer revanchard se nimbe dans un fantastique prudent et troublant ; Clark à l'inverse, distille quelque chose de nettement plus âpre, mais aussi de plus chaleureux et suranné, et d'infiniment plus macabre. En témoigne les premières minutes du film, où jamais les chants de Noël n'ont paru aussi funèbres...


À la veille de Noël, une silhouette se glisse dans une sororité d'étudiantes et les disparitions commencent. Sans compter ces coups de fils obscènes qui troublent vite la tranquillité des lieux. Un peu plus loin on s'inquiète du meurtre d'une fillette : Jess, une étudiante déjà bouleversée par la tournure de sa vie privée, prend les devants, les mains tremblantes...

Bob Clark instaure certaines règles du slasher mais les transgresse surtout avant l'heure (ici le sort des victimes ne dissimulent pas une morale de mauvaise foi) : lentement mais sûrement, Black Christmas se donne des allures de whodunit...qui seront trahis lors d'un derniers acte aussi gonflé que terrifiant. À l'inverse, son remake de 2006 (plus gore et plus fun, mais tout à fait sympathique), jouera carte sur table et dévoile les zones d'ombre de l'intrigue : avec le recul, il serait même préférable de le voir comme une séquelle.


Malicieux et flippant, Black Christmas l'ai à plus d'un titre, et sait se montrer drôle : Bob Clark y annonce déjà un goût certain pour la comédie, genre dans lequel il se tournera et s'enterrera pour le reste de sa carrière. Mais ce qui pourrait détendre l'atmosphère (comme le personnage mémorable de Margot Kidder, en ivrogne polissonne et grossière) ne fait que donner plus de vie au métrage et aux personnages, plutôt que de jouer les troubles-fêtes inutile. À croire que certains devraient en prendre de la graine.
Zébré d'images à l'effroi intact (l'oeil du tueur qu'on aperçoit dans l'entrebâillement d'une porte, un cadavre figé planté devant le carreau d'une fenêtre...) mais à l'économie certaine, profondément ténébreux sans céder au chantage du grand-guignol, lent mais habile, Black Christmas vaut bien( voire bien plus) ses modèles.

[L'Heure du Bilan] Bilan Cinéma 2013

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1. Les rencontres d'après-minuit, de Yann Gonzalez :
Au milieu d'un cinéma français de plus en plus ankylosé, Yann Gonzalez va voir ailleurs et s'entiche d'un héritage européen et poétique. Son film est un spectre d'amour qui absorbe quant il peut et ramène ce qui fut beau autrefois : Fassbinder, Kumel, Bunuel, Rollin, Cocteau, Greenaway, Argento...une confection baroque à l'âme pop, qui lie des figures de porno chic le temps d'une nuit. Gonzalez fait naître un ovni à la fois cochon et tendre ; déclaration d'amour à la nuit, à la chair, au cinéma, aux fantômes. Un objet de cinéma enivrant, frivole, étincelant, à vous rendre amoureux et orgiaque. Nuit magique. Film magique.


2. La Grande Bellezza, de Paolo Sorrentino :
Très vite recalée sur la croisette, cette "grande beauté" confirme sans aucun doute la place délicate de Paolo Sorrentino dans le cinéma italien d'aujourd'hui : on refuse encore d'avouer qu'il s'agit de l'un de ces plus grands représentants actuel. Après une escapade anglo-saxonne avec This must be the place, il part à l'assaut tout entier de la ville de Rome et de sa décadence bourgeoise, sous l'oeil d'un écrivain blasé. Mariant le désopilant et le déglingué (des scènes de fêtes comme si on y était), le laid et le sublime, le marbre des statues à la chair palpitante, la nostalgie avec l'amertume, La grande bellezza est une fresque turbulente, terrassante, filmant une Rome suspendue, hantée par le syndrome de Stendhal. Tout cela est bien entendu diablement fellinien, et pas qu'un peu : même s'il en revendique très modestement la parenté, Sorrentino signe ni plus ni moins que La Dolce Vita des années 2010. Rien que ça.
    " C’est le plus beau train de l'Italie....Tu sais pourquoi ?

    Parce qu’il ne va nulle part..."
3. Gravity , de Alfsonso Cuaron :
Il fallait assez de talent, de cervelle, d'imaginaire et de sophistication pour relever le défi Gravity. La mission ? Un GRAND blockbuster de moins d'1h30 comptant seulement deux personnages (ou plutôt trois, si l'on compte le cosmos), réinventant la 3D, redéfinissant le sens de l'immersion, faisant surgir la terreur et la beauté du silence et de l'infini, tout en rendant 100% crédible un armada de FX qui ne se proclament plus en gadgets futiles. Il fallait donc Alfonso Cuaron.
CRITIQUE ICI

4. Cloud Atlas, de Andy & Lana Wachowski et Tom Tykver :
Dire qu'on attendait la rencontre de tels auteurs autour d'une adaptation aussi corsée relève de l'euphémisme. Le résultat, bien plus libre, fou et ambitieux que toute la production américaine de ces dernières années, est un conte gigantesque qui se lit autant de fois que possible. Le pari est osé, et bouscule assurément : où comment mettre une comédie anglaise frappadingue, une page d'histoire amère, un post-nuke sauvage, un techno-manga, un polar seventies paranoïaque et une romance inachevée dans un même sac. À la fois leçon de cinéma et leçon de vie, festival de contre-emploi et de ruptures de tons, Cloud Atlas est une oeuvre pétrie d'émotions et de trouvailles comme on voit trop peu. Tout simplement revigorant.


5. Stoker, de Park Chan Wook  / 6. Snowpiercer - Le Transperceneige,  de Bong Joon Ho :
Comment la beauté, le grotesque, la sauvagerie et la folie du cinéma de ces deux coréens fous pouvaient survivre au broyeur hollywoodien ? Le résultat ne se fait pas attendre : y'avait du ciboulot et du talent là-dessous. Alors que Park Chan Wook tente le thriller domestique ultra vénéneux, son comparse Bong Joon Ho adapte une fresque futuriste et ferroviaire bien de chez nous. Stylisés à souhait, d'une grande cruauté et bardés de tableaux saisissants, les deux films ne se disputent guère leur sujet mais affirme chacun leur âme de guerrier du septième art. Et que ça continue...
CRITIQUE DE STOKER ICI


7. Maniac, de Frank Khalfoun :
Réappropriation du très crasseux film culte de Lustig, ce remake inespéré devient la face stylée et lyrique de la ballade mortelle de Frank Zito, fils à maman traumatisé et collectionneur de mannequins de chair. Si sa vue subjective se réfère davantage à un joli gadget qu'à une révolution, cette nouvelle monture électrise littéralement.
CRITIQUE ICI 

8. Jeune & Jolie, de François Ozon  :
Après un Dans la maison maladroit, Jeune et Jolie revient aux premiers amours troubles d'Ozon, conte mélancolique et incertain qui ne fait rien comme les autres. Une authentique et déroutante séduction, guidé par la voix de Françoise Hardy.
CRITIQUE ICI

9. Trance, de Danny Boyle  :
Entre série B détournée et faux thriller high-tech, Trance pulse de la première à la dernière minute, loin des égarements d'un Slumdog Millionaire. Autour d'une chasse aux trésors arrosée d'hypnose, Danny Boyles concocte un spectacle gonflé et tortueux, piétinant toute notion de manichéisme pour livrer un film noir atypique, qui convulse de rage et de beauté.


10. 9 Mois Ferme, de Albert Dupontel  :
Certains ont parié pour un retour de Dupontel vers quelque chose de plus rude et de plus trash, façon Bernie. Or, et il faut être réaliste, jamais Dupontel ne retrouvera la hargne parfois impensable de son premier film. Mais il reste de ce 9 Mois ferme bien d'autres choses. Invitant une Sandrine Kiberlain loufoque malgré elle, Dupontel dessine une rencontre improbable et tendre entre une juge vieille fille (et fière de l'être) et un cambrioleur coffré pour cannibalisme. Un conte branque peu avare en performance bouffone (Nicolas Marié incarne le plus mauvais avocat du monde et a droit à un monologue d'anthologie), en grimaces et en gore (oui oui !), pour le plus grand bonheur d'une comédie française qui aurait besoin de ça bien plus souvent. Pour ne pas dire, tout le temps...


11. Before Midnight, de Richard Linklaker  :
Il serait  dommage de ne voir dans la trilogie «  Before  » qu'un simple marivaudage rohmerien ou une rom'com singulière ; bien sûr il y a de ça, mais depuis le temps, on a bien compris que le trio Linklaker / Hawke / Delpy touche surtout à une expérience assez unique. Celle de voir grandir une histoire d'amour maintenant vieille de 18 ans réunissant le ricain Jesse et la frenchy Celine. Cette fois sous le soleil grecque, le couple s'aborde cette fois auprès de personnages extérieurs (dont leurs enfants), allant mêler les angoisses et la tendresse de leur idylle. Conclusion ou pas, il s'agit en tout cas du plus bel opus de cette histoire qui n'a pas fini de s'écrire...


12. La Venus à la fourrure, de Roman Polanski :
On craignait une nouvelle régression de la part de Polanski, dont le récent Carnage se laissait piéger par un minimalisme à bout de souffle : cette Venus à la fourrure joue en effet une nouvelle fois la carte du théâtre filmé, ici au sens propre du terme ! Mais par une ironie grinçante, ce choix va prendre ici tout son sens. Réunissant un metteur en scène sur le pied de guerre et une actrice vulgaire mais non dénuée de talent autour d'un casting fleurant bon le Sader-Masoch, Polanski déroule une situation d'abord délicieusement comique pour en faire un huis-clos suintant très vite par tous les bords le cuir froissé et le poison de la soumission. On s'amuse des clins d'oeils et des mises en abîmes au cinéma de Polanski, mais aussi au personnage lui-même (bien que tout cela ne semblait pas si volontaire selon son auteur !). Une comédie vénéneuse, à la mise en scène admirable (l'incroyable manière d'aborder l'espace et de la métamorphoser, ou la puissance grandissante de l'inversion des rôles) qui réanime le fiel d'un cinéma délicieusement malsain.

Nymphomaniac : Volume 1 (2013) Lars Von Trier : Lust for Life

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"Love is the secret ingredient of sex"
  Lors de la promo de Melancholia, Lars von Trier évoquait un projet en gestation, geste scandaleux qui traverserait la vie d'une nymphomane de 0 à 50 ans, le tout émaillé de nombreuses séquences hard. Une annonce qui aurait pu tendre à quelque chose d'éphémère, de l'ordre de l'idée folle balancée en pleine vol. Aujourd'hui, Nymphomaniac s'extirpe de son marécage, teasant le public par une promo délirante et énigmatique à souhait.
À son origine, l'idée semblait insensée : elle le sera davantage lorsque Trier annonce un montage beaucoup trop long pour être diffusé en salles (on susurre un mastodonte de 7 puis finalement de 5H). Écourté (seulement en sexe ?), le film est tout de même distribué en deux volumes, en faisant le diptyque le plus excitant depuis le Kill Bill (oui bon...) de Tarantino. Comme pour celui-ci, on pourrait se contrarier de ne découvrir le film que dans un format charcuté (et peut-être même émasculé) : les puristes devront être très patients.


Sans surprise, Trier reste fidèle à lui même et confirme pleinement ses lubies : sa fascination pour la psyché féminine, qu'il scrute, maltraite et adore depuis des décennies (de son oublié et incroyable Médea jusqu'à Dancer in the Dark, Antichrist...) revient entièrement sur le devant de la scène, mais aussi la tentation alerte de la provocation, nous rappelant à notre bon souvenir qu'il est surtout le rejeton d'une époque lointaine. Celle des 70's plus exactement, où le goût du risque, de l'expérimentation et de la provocation faisait partie intégrante du cinéma. Avec l'art de ne pas y aller de main morte.

Antichrist et Melancholia, le pendant et l'après dépression, inscrivaient son auteur dans une continuité, un mouvement, usant de plans-tableaux, de ralentis, le tout animés par un vrai romantisme noir. Nymphomaniac passe à autre chose, sans rayer les tics de Trier, alliant esthétique méticuleuse et filmage bousculé. Les premiers instants, où la caméra se perd dans le silence d'une rue borgne avant de céder au chaos sonore, synthétisent déjà l'âme terrible de l'homme aux commandes.


Recueillie par Seligman, un vieux chat érudit dont on sait finalement peu de choses, une femme du nom de Joe se lance dans le récit de sa propre vie, tumultueuse à ses dires puisqu'elle s'est auto-diagnostiquée comme nymphomane. Dans une pleine détestation de soit, elle relit les épisodes de sa vie par des chapitres où se bousculent les chiffres et les sexes. Ce premier volume en propose déjà cinq : Le pêcheur à la ligne, Jérôme, Mrs H, Delirium, et La petite école d'orgue.

Dans ces quelques bribes, déjà intenses, on apprend à connaître Joe, petite chose qui se masturbe en secret dans les trains et pratique la chair sans âme : elle parle de son père, médecin voyant l'âme des arbres, découvre l'apprentissage de la débauche et le pouvoir qu'exerce son corps, voisine avec la mort et s'enguirlande avec l'amour.


D'un pitch de film de sexploitation, Trier en tire une oeuvre certes lubrique mais sensible, ludique et même étonnement drolatique (voire l'épisode avec Uma Thurman, où le rire et le malaise se disputent la même scène) voyant Poe, Bach et Rammstein s'embarquer sur le même bateau.

On sent un Trier plein de malice (Sergman et Joe parlent souvent de la même chose mais n'usent pas du même langage, plaçant le sexe et la séduction au même niveau que la pêche, les mathématiques ou la polyphonie) mais qui ne va pas tarder à sortir ses crocs : le second volume, apparemment plus "bataillien", annonce la tourmente, la frustration, les extrêmes, la douleur, les heurts. On a hâte, très hâte...


L'amour est un crime parfait (2013) Arnaud & Jean-Marie Larrieu : Le feu sous la glace

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"Comment apprendre à ces jeunes créatures le choix d'un mot, l'invention d'une phrase, la création d'un rythme pour traduire cette sensation, le renouveau..."
 On ne sait pas toujours où vont les frangins Larrieu. Et on aime ça. Les derniers jours du mondeétait un des rares cas de film post-apocalyptique français mais aussi l'un des plus originaux, tous pays confondu. Le tandem ramenait très justement l'homme à sa condition à la fois romantique et libidineuse alors que la fin des temps pointait le bout de son museau. Après la science-fiction, les voilà en train d'approcher prudemment le thriller hitchcockien en adaptant un roman de Phillippe "37°2 le matin" Dijan.

À nouveau éperdu d'une silhouette féminine, Mathieu Almaric s'égare une fois encore. Il incarne Marc, un prof de lettres qui collectionne les conquêtes féminines, qu'il n'hésite d'ailleurs pas à chasser au sein de l'université où il enseigne. Mais cette frivolité est vite rattrapée par sa réputation, mais aussi par la disparition d'une étudiante, Barbara, qu'il avait emmené dans son lit. La belle mère de la disparue entre alors en scène : Anna, brune osseuse un peu paumée, qui électrise littéralement le don juan.


On a beaucoup susurré que L'amour est un crime parfait était une sorte de pendant à la fois hétéro et neigeux de L'inconnu du lac : il y a évidemment de ça dans cet amour subite et passionné, où un corps sans vie se joue sans cesse entre deux amants. Un jeu tortueux sans doute voué à l'échec...
Dans l'atmosphère alpine confinant au sublime, le désir est partout : sous la neige, tout brûle ; et on chuchote l'arrivée du Printemps. Malgré les corps, malgré les passions, on verra aucune scène de sexe : ce sexe à la fois présent et invisible. Donc d'autant plus puissant.


Il y a peut-être un peu de mascarade Polanskienne (Almaric est pourtant à peine sortie du castrateur Venus à la fourrure !) dans cette toile dessinée au fur et à mesure par les divers personnages féminins : il y a Anna, le mystère passionnel, mais aussi Marianne, la soeur encombrante, mygale blonde et incestueuse ; puis Annie, la nymphette explosive et capricieuse. Né sous le signe du scorpion (signe guidé évidemment par Eros et Thanatos) Marc semble à la fois s'inquiéter et s'enivrer de cette escapade vers le désir et l'effroi, se déroulant entre le chalet familial et l'université, bloc de verre épousant les reliefs et les tunnels de la montagne, où tout se voit, tout se sait.

Rien n'est très clair dans ce parcours du bizarre et du beau, effleurant les mythes de la sirène et du loup-garou; assumant son côté littéraire et son humour noir. Même si sa conclusion ne renverse pas tant que prévue, on y trouve suffisamment de charme vénéneux. Et c'est déjà bien...

L'Étrange Couleur des Larmes de Ton Corps (2013) Hélène Cattet & Bruno Forzani : Orgasmo Rosso

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Étreinte fougueuse à un genre - le giallo - qui n'était plus de ce monde, Amer constituait l'objet hexagonal (pas que certes...) le plus fou et le plus déroutant de la décennie passée avec Calvaire et Innocence. Pour l'adorable tandem Forzani/Cattet, il s'agissait surtout d'un galop d'essai dans l'espoir de venir à bout de leur deuxième long, qu'ils brodent depuis voilà un bon bout de temps : baignant à nouveau dans le cuir et les lames, L'étrange couleur des larmes de ton corps voit enfin le jour...

Dès lors, et malgré la continuité immédiate dans l'imagerie giallesque, cette seconde monture ne joue pas la carte du rejeton siamois ; alors qu'Amer prenait place dans un Sud qui soufflait sans cesse sa lumière et sa morgue, L'étrange couleur... se délocalise à l'opposé, dans un Bruxelles d'un autre temps. Un côté "germanique"évoquant forcément Suspiria, alors que l'action se ressert à un immeuble plongé indéfiniment dans les ténèbres, où l'on entend gémir à loisir dans la nuit et les passages secrets, mentaux ou véritables, se dérobent comme dans Inferno. À l'alliance du gothique et du baroque d'Argento, le duo répond par un hommage somptueux et trop rare à l'Art nouveau, ici célébré dans chaque plan (et jusque dans l'affiche "muchienne" de Gilles Vrackx).


Point de départ : un homme rentre chez lui après un long voyage. Sa femme a disparue.
Moteur, action...
Plus de personnages, plus d'écriture, plus de mouvements : L'étrange couleur... semble répondre aux détracteurs du premier film, qui lui ont souvent reproché son absence de scénario (entre autres). Amer était un fantasme de giallo ; L'étrange couleur... lui, reprend une trame policière, un simili-whodunit se perdant très vite dans des dédales de scènes violentes. Le personnage principal, Hans, verra ainsi d'autres hommes venir à sa rencontre, eux aussi hantés par des visages et des corps de femmes aussi voluptueux que dangereux. Ici, l'homme est une victime : la femme est la détentrice de la lame, du plaisir, du mystère, et peut-être de la vérité.
Au milieu du chaos ambiant, il y a toujours cette symphonie de mort où la jouissance semble intiment liée à la douleur et inversement, où tout semble désir même dans le sang, où chaque blessure semble participer à un nouveau rituel sado-masochiste.


Cette structure kaléidoscopique à souhait (dépassant même en abstraction n'importe quel film de Fulci ou d'Argento) débouche sur un récit de moins en moins compréhensible, comme si le duo refusait catégoriquement que le public puisse se situer dans ce labyrinthe d'un nouveau genre. Le risque de laisser son public sur la touche est donc encore plus prégnant que dans Amer (où l'on se laissait malgré tout prendre par la main), si ce n'est bien trop présent. Ajoutons à cela une interprétation souvent embarrassante, en particulier concernant les rôles masculins, tous échappés d'un téléfilm policier allemand. Amer, quasi-muet, avait largement évité cet écueil récurent du ciné de genre français.


D'Argento à Martino, en passant par Bokanowski et Miraglia, les références sont toujours digérées magistralement ; les expérimentations sont poussées à leur comble, jusqu'à rendre l'expérience physique, pour ne pas dire éprouvante (voire irritante hélas). L'étrange couleur... est une oeuvre qui a la main lourde...
La technique y est irréprochable, faisait briller de mille feu un Super 16 impensable à l'heure du numérique : mais ce qui l'accompagne, plus maladroit, plus bordeline (même la b.o se révèle bien moins inspirée que celle de son prédécesseur) tend à des défauts étrangement typiques d'un premier film. En tout cas, si cet Étrange couleur... est une erreur de parcours, il s'agit d'une belle erreur. Très belle même...

Cin'Express #5 Décembre 2013 / Janvier 2014

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 * A Touch of sin, de Jia Zhang Ke : Le massacre ouvrant le film impose les idées clairement : Touch of Sin sera sans pitié. Cartographie d'une Chine corrompue et malade, cette enfilade de portraits inspirés de faits divers traverse des petites vies (père de famille, employée modèle ou ado sans avenir) à priori sans lien, mais qui auront toutes le malheur de finir dans le sang. La violence, insidieuse, puissante, imprévisible, gouverne les vies et les renverse, au bout d'un fusil ou d'une lame. Et l'argent, le venin moderne, l'accompagne (terrible scène d'agression où le fric devient littéralement objet de violence). D'une brutalité estomaquante, cette anthologie du présent ne fait pas plaisir, non ; on s'y perd un peu, on s'y sent mal à l'aise. Elle conserve toute l'apprêté de ces tranches de vies qui ont vu la mort.

* Don Jon, de Joseph Gordon Levitt : Pour sa première (et on l'espère, pas la dernière) réalisation, Joseph Gordon Levitt booste un peu la mécanique pantouflarde de la rom'com. Après Happiness Therapy qui abordait le genre via des excursions moins légères, Don Jon brille par sa malice innatendue. Perfectionné à l'extrême, Levitt devient le tombeur de ces dames moderne, le beauf derrière la carrure de magazine. Lorsque l'érotomane de service, qui s'attache à les institutions sans sourciller, tombe sur la blondasse de ses rêves (une pouf formatée qui a compris comment mener les hommes à la baguette), il vit alors une nouvelle aventure...un peu entachée par son addictisme élevé au porn ! Étonnant de bout en bout, plein d'énergie et surtout très intelligent, et donc rien comme les autres.

* Le loup de Wall-Street, de Martin Scorsese : Beaucoup ont cru papy Scorsese rouillé ; si ce dernier opus est une réponse à ceux là, on ne pouvait rêver mieux. Fresque hallucinatoire sur le roi des arnaqueurs Jordan Belfort, Le loup de wall street est sans doute ce que Hollywood a osé de plus barjo et de plus démesuré depuis...depuis quand déjà ? À la lisière d'un Godfellas qui aurait voisiné de trop prêt avec Black Edwards, ce delirium orgiaque où l'on ne compte plus les dérapages telescope aussi un projet lointain : ce que aurait dû être, d'une certaine manière, le American Psycho d'Oliver Stone avec le même Leonardo (qui court toujours après sa statuette dorée) mais sans les meurtres. Tout le film semble alors avoir absorbé  la décadence cocaïnée des romans de Brest Eston Ellis : pas de hasard, le bougre a adoré.

                          
* Aime et fais ce que tu veux, de Malgorzata Szumowska : D'un sujet quasi-bunuelien (un prêtre s'occupant d'une pension de délinquants tombe amoureux d'un garçon à l'allure christique), la réalisatrice Malgorzata Szumowska en tire une passion trouble et touchante, à l'esthétique gracile et soignée. N'oubliant pas la rudesse de son cadre et la fragilité de son sujet (la sexualité frustrée d'un homme de Dieu), le film s'en tire à bon compte malgré quelques égarements (un plan final énigmatique inutile, une scène de procession sur fond de Band of Horses...), filmant ses protagonistes brûlants et brûlés avec tout le beau désir qui les consume. Et quelle aubaine de voir enfin une romance compliquée ne pas s'en tirer par la tragédie facile...

* Les Sorcières de Zugarramurdi, de Alex de la Iglesia : Après une oeuvre aussi démente et torturée que Balada Triste, l'heure de la récréation a sonné pour Iglesia ! Ce retour à un cinéma plus truculent (façon période Jour de la bête) redessine un pitch à la Une nuit en enfer avec des sorcières cannibales en place des goules ! Si le film ne concoure certes pas aux meilleurs titres de son auteur (un rythme chaotique et des facilités pas toujours bienvenues), on en a très largement pour son argent : son final dantesque, avec ses courses effrénées balayées par des travellings survoltés et son sabbat épique (monstre géant en option !) relèvent la sauce d'une comédie fantastique qui soigne au maximum son imagerie folklorique. C'est pas en France qu'on aurait tout ça...

* 12 years a slave, de Steve McQueen: Sur un sujet fort, humain mais aussi déjà susurré maintes fois, on pouvait se demander si un auteur aussi radical que Steve McQueen allait céder à l'académisme que lui tendait un tel projet. Que nenni pour ce voyage au bout de l'enfer, entraînant un homme libre dans l'enfer du sud esclavagiste. Dans une série de tableaux éblouissants de terreur moite, McQueen nous rappelle le dégoût, l'asservissement, l'humiliation, le mépris, l'horreur, l'intolérance, la crasse. Un rien aurait pu faire virer l'entreprise dans le torture porn (pour ne rien cacher) ou le mélo des familles (car on pleure beaucoup) : au final, l'équilibre des forces a lieu, l'empathie est totale, nous prend à la gorge à chaque instant, traversés de silhouette habitées (Ejiofor, possédé, écrase un Fassbender trop démoniaque et un Brad Pitt trop angélique) et de séquences tétanisantes (la pendaison interminable et la flagellation, deux moments vertigineux de souffrance).

* Tonnerre, de Guillaume Brac : Dans le très remarqué Un monde sans femmes, Guillaume Brac réussissait à retrouver l’alchimie et la simplicité du cinéma de Pascal Thomas et de Eric Rohmer, sans l'aspect farcesque de l'un et sans le côté un peu guindé de l'autre. Il y a toujours un peu de cela dans ce Tonnerre, qui voyage des plages du nord à la petite commune de Tonnerre : c'est là que se réfugie le guitariste incarné par Vincent Macaigne, clown hipster à la fois irritant et fascinant. Face à un père célibataire qui récite des poésies à son chien, le musicien paumé trouve l'amour auprès d'une jeune lolita venu l'interviewer. À la légèreté toute désignée, le récit se met à scruter la douleur et le désespoir qui fond virer les chagrins d'amour vers la folie. Et on comprends là tout le charme et tout l'intérêt du choix de ce petit cadre mi chaleureux mi glacial, où vient se nicher noirceur et magie.

* Jacky au royaume des filles, de Riad Satouff : Quand on est l'auteur de l'une des rares bonnes comédies françaises de ses dernières années - en l’occurrence - Les beaux gosses - il y a de quoi être attendu au tournant. Encore plus décalé, peut-être moins hilarant, Jacky au royaume des filles reste tout de même la boutade surréaliste et maligne qu'on était en droit d'attendre. Relecture déglinguée de Cendrillon et aventure transgenre où les hommes se retrouvent à la place des femmes, le tout dans une dictature s'appropriant son propre vocabulaire et sa religion (où l'on vénère...des chevaux). Il y a là toute l'acidité, la fantaisie et l'audace d'un jeune dessinateur/réalisateur qui n'a pas décidément pas fini de nous surprendre.

* Beaucoup de bruit pour rien, de Joss Whedon : Autant dire que cette récréation arty du papa de Buffy porte (hélas) bien son nom. Dans un noir et blanc aussi gratuit qu'inutile, cette nouvelle adaptation de la pièce de Shakespeare fait chavirer les coeurs dans le confort petit bourgeois d'une villa, en l’occurrence celle de Whedon. Autant oublier le souvenir d'une relecture telle que Romeo+Juliette, tant Whedon rame à offrir une transposition moderne, ici livrée sans aucun soucis de cohérence. Malgré des acteurs accomplis (mais tous très télévisuels), chaque scène ne cesse de renvoyer au travail formidable accompli par Brannagh il y a une vingtaine d'années de cela. Garder votre argent et votre temps, et (re)découvrez plutôt sa formidable adaptation.

Nymphomaniac : Volume 2 (2013) Lars Von Trier : All is Lost

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NYMPHOMANIAC : VOLUME 1

Voilà que nous retrouvons Joe, exsangue et frustrée à la fin du premier volet : la nymphomane se voyant mauvaise fille s'embarque dans le récit des pires années de sa vie, qu'elle conte amèrement à son antithèse Seligman. Lui, le puceau, a donné sa vie à la culture, elle, l'insatiable, n'a connu que la culture de son corps.

On s'en doutait bien avant de voir les images du teaser qui défilait lors du générique de fin : cette seconde partie va violemment changer de vitesse, quitte à aller jusqu'au crash. L'évincement assez brutal (doit-on y blâmer la version courte ?) de la figure de Stacy Martin pour celle de Charlotte Gainsbourg opère déjà le changement : la fraîcheur de l'une cède à la rugosité de l'autre, à une enveloppe plus fatiguée, quasiment à vif ; comme pour signifier un nouvel état.


Nymphomaniac premier volume a pu paraître agréable : mais on savait le monstre caché dans ses eaux calmes, et son nom est Lars Von Trier. Sans peine, nous retrouvons le sale gosse du cinéma d'auteur, le provocateur à la bouche scellée qui a décidé de tout piétiner sur son passage.

Dans la provocation, cette seconde monture monte donc d'un cran : il faut dire que le parcours de Joe ne se parsème pas de jolies roses ; poupée brisée, il faudra qu'elle retrouve le plaisir dans la douleur, comme pour réveiller son corps. Un élan masochiste qui nous voudra de douloureuses et fascinantes scènes de sévices auprès d'un certain K, docteur sado qui dénature le rituel sado-masochiste de son érotisme. Décors nus, mécanismes primitif, relation sexuelle interdite : cette absence de théâtralité dans le panpancucul forcera Joe à y trouver une nouvelle forme de sensualité.


Parce qu'elle a refusé l'amour, parce qu'elle n'attache d'importance qu'à son plaisir, et aussi parce qu'elle est une femme, Joe prend conscience d'être une paria de la société, embrassant son rôle et affirmant son pouvoir par un job illégal où elle pourra épancher ses pulsions destructrices. Loin de tout de ça, il y a la nature, qui lui rappelle son père, mais aussi son premier orgasme, quasi-divin selon ses dires : tout en haut de la montagne, elle se trouvera, arbre isolé et fuyant.

Lars Von Trier disait que le cinéma devait être comme un caillou dans la chaussure ; SON cinéma dirons nous plutôt. Nymphomaniac n'est donc pas, tout comme ses oeuvres précédentes d'ailleurs, un film plaisant : il y a assez de cynisme pour composer une pelletée de scènes discutables (le threesome avorté, la parodie WTF de Antichrist, la fameuse apparition de Jean Marc Barr) qui refusent de brosser le spectateur dans le sens du poil, jusque dans la pirouette finale, perverse et méchante à souhait.


Chez Lars Von Trier, tout est fatal. La continuité avec son diptyque de la dépression (dont Nymphomaniac pourrait être une forme de sortie fracassante), Antichrist & Melancholia, paraît plus évidente, malgré le recul face au maniérisme visuel. Derrière ses titres lapidaires, annonçant le plus terrible, se retrouvent la même vision du monde, le même regard sur la femme : tous sont, comme le résume magnifiquement Pacome Thiellement dans le dernier numéro des Cahiers, "l'histoire d'une femme qui vit l'apocalypse dans sa chair".

Face au mur imposé par son auteur, on peut y voir ce qu'on veut : cri féministe, conte misogyne, fable destroy, caprice prétentieux, poème crasse...
Nymphomaniac finit d'ailleurs par là où il a commencé : dans les ténèbres, dans les mystères, nous laissant à notre scandale, ou à notre admiration...


[L'heure du bilan] Des Belles et des Bêtes

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Dans l'inconscient collectif, on associe sans rechigner le conte de Madame Leprince de Beaumont au chef d'oeuvre de Cocteau puis au dessin animé du studio Disney réalisé 45 ans plus tard, puisque visiblement rien de mémorable ne vint changer la donne entre les deux métrages. Ce qui se cache derrière l'oubli est bien plus intéressant : la sortie de l'adaptation de Christopher Gans est donc l'occasion rêvée de revenir sur ces adaptations obscures,  à la fois trop bizarres, trop effrayantes, trop sexuelles : voilà d'autres belles et d'autres bêtes à (re)découvrir !

 * La Belle et la Bête (1978) Juraj Herz :
Un des manitous du cinéma tchèque, Juraj Herz, livrera sa version du conte lorsque le cinéma fantastique de l'Est trouva son plus bel aboutissement, quelque peu oublié à tort. Oeuvre assurément étrange, cette monture de la Belle et la bête n'est ni totalement grand public, ni complètement horrifique : elle est un peu des deux à la fois. Et c'est bien là son intérêt.


Le texte est respecté tout comme chez Cocteau, mais Herz avait semblait-il un autre projet en tête : ce n'est pas un film de rêveur, c'est un film d'homme malade. Ce qu'il dicte dès son introduction va à l'encontre de toute féerie : un convoi traversant une plaine morte et boueuse, écrasée par un ciel sans âme. Grand amateur de générique animé, Herz laisse nos yeux parcourir des toiles incompréhensibles et torturées, où s'agitent natures mortes et silhouettes biscornues. La terrible musique à l'orgue de Petr Hapka fait monter le malaise, stimule la fièvre. Envoûtant, mais rude.


Souvent assimilée à des faciès félins ou canins, la bête trouve ici son incarnation la plus surprenante, la moins évidente aussi : celle d'un gigantesque rapace arpentant les couloirs de son château en agitant sa cape et dévorant les bergères égarées.
Songe inquiétant chez Cocteau, le château ressemble ici à une crypte surdimensionée, où trône des portraits de créatures inhumaines, où tout appelle à quelque chose de putride et de caverneux. Là, surgit Julie, la jolie rousse qui parle aux statues et enchante le désenchanté. Une étoile dans la nuit.

Cette quête de l'effroi se dirige lentement mais sûrement vers un lyrisme véritable et sincère, comme cette séquence où la douce héroïne devra faire son choix dans la cour enneigée, épiée par son monstre amoureux et haletant. C'est justement cet équilibre, rarement abordé, entre la vraie beauté et l'horreur gothique qui fait le charme incroyable de cette adaptation. À exhumer sans plus tarder.


* La bête (1975) Walerian Borowczyk : Cinquième segment officieux des Contes Immoraux de Borowzyk réalisé l'année précédente, La bête se verra alors transformé en long-métrage, de manière un peu voyante il est vrai. Cela ne l'empêche aucunement d'être l'objet le plus fou et le plus bis de son auteur, dont l'érotisme hédoniste n'avait guère franchi la porte du Hard. Sous un vague prétexte d'héritage, une blondine est dépêchée dans le château de ses ancêtres, y découvrant un passé sulfureux. Entre quelques scènes diablement sensuelles (une actrice se masturbe avec le montant d'un lit, une autre avec des roses), on assiste à des flashbacks surréalistes sur fond de clavecin hystérique, où un monstre lubrique entend bien honorer sa belle, d'abord terrifiée puis ravie. Celle-ci se verra alors récompensée par une éjaculation interminable qui terrassera le monstre... Assumant pleinement son délire zoophile, La bête a de quoi faire retourner Leprince de Beaumont dans sa tombe ! Pour l'anecdote, l'actrice Sirpa Lane sera à nouveau souillée par une bête à poil quelques années plus tard dans le fauché et rigolo La bestia nello spazio ! Vertige d'une carrière...

* La bête d'amour (1981) Alfred Sole : Réalisé à la gloire des formes de Vanity, Tanya's Island vaut mieux que ses allures de faux Black Emanuelle : une actrice s'imagine (?) vivre une idylle paradisiaque sur une île reculée, jusqu'au jour où elle croise un beau gorille aux yeux bleus, qu'elle va tenter d'approcher... Rencontre un peu brusque entre Robinson Crusoé et King-Kong dans un climat exotique volontiers touchant et malsain, le résultat est toutefois assez attachant, bien aidé il faut dire par la beauté rayonnante de son actrice, la créature de Rick Baker et la sublimissime musique de Jean Musy.

* Meridian, le baiser de la bête (1990) Charles Band : Au milieu d'une myriade de séries b modestes et funs, Meridian est tout de même un cas à part dans l'industrie Full Moon. Jouant à fond la carte de la poésie, on se retrouve loin des marionnettes tueuses et des gloumoutes baveux qui ont fait la gloire du studio, quitte à paumer une partie de son public habituel. Cadeau un peu fantasmagorique à ceux qui fantasmaient sur la belle Sherilyn Fenn (ici dévoilée en toute impunité), Meridian s'éloigne totalement du conte original pour ne garder que son idée principale (une belle, une bête, et ça repart). On peut y voir une monstruosité soporifique mise en musique par un Pino Donaggio à bout de souffle, ou à contrario un envoûtant voyage épousant un érotisme bestial et exploitant à merveille l'architecture délirante des jardins de Bomarzo. Ce qui n'est pas si mal...

 * No Such Thing (2001) Hal Hartley : Quand une des figures du cinéma indépendant new-yorkais s'approprie le mythe de la belle et la bête, c'est évidemment loin, très loin, de tout ce qui a pu précéder. Un journaliste miraculée et ingénue part sur les traces d'une créature terrifiant un patelin en Islande. Elle y découvre un monstre meurtrier, alcoolique et suicidaire qui n'attend que de mettre fin à ces jours. L'occasion pour Robert John Burke (qui fut le cow-boy démon de Dust Devil et aussi le plus funeste des Robocop) d'y trouver son meilleur rôle, côtoyant également une abjecte (mais savoureuse) Helen Mirren et la douce Julie Christie. Ce n'est pas tant le romantisme du conte initial qui fascine Hartley mais plutôt le surgissement de la monstruosité humaine face à un monstre véritable. Il faut alors passer la réalisation franchement inégale pour se ravir du personnage de Sarah Polley, cristallisant sa démarche lors d'une séquence où elle ne peut s'empêcher de revenir vers la junkie qui vient de l'agresser. Dans le dernier plan, son regard embuée d'amour en dit plus que n'importe quelle phrase : la transformation n'aura lieu que dans son coeur.
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