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Channel: Mais Ne Nous Délivrez Pas Du Mal
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American Horror Story : Coven (2013) : Boss Ass Bitch

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Arrivé à la fin de l'incroyable saison 2 de American Horror Story (dépassant une première saison déjà rutilante), une question trottait dans les esprits : comment arriver à faire mieux que ce capharnaüm infernal, qui semblait représenter l'ultime catalogue du mal ? Difficile à dire. Heureusement, Ryan Murphy prouve une nouvelle fois qu'il ne manque ni de ressources, ni de perversité, pour faire rebondir sa saga horrifique.


Cette saison baptisée sobrement Coven retrouve les grâces de notre époque actuelle : comme d'habitude, les premières images interrogent et bousculent sincèrement, demandant au spectateur de se fondre dans un nouveau moule. Et le changement, toujours déstabilisant, ne s'opère pas aussi facilement que pour Asylum : l'atmosphère de Bradcliff laisse place à à la Miss Robichaux's Acadamy, un décorum ultra épuré, sans doute trop, qui tranche volontairement avec le climat satanique et putride de la précédente saison.
Au cœur de la Nouvelle-Orléans, voici que s'élève cette institution de sorcières, aujourd'hui dépeuplée. Construite après le périple sorcier de Salem, ce « couvent » fut bâtit dans l'espoir de protéger et instruire les magiciennes délaissées par le monde extérieur. Ne pouvant contrôler ses pouvoirs, Zoé, une jeune adolescente, est dépêchée dans l'école, rejoignant ainsi Madison, une étoile d'Hollywood débauchée, Queenie, une « poupée vaudoue humaine », et Abby, une trisomique télépathe.


La plus puissante des sorcières, la « suprême », vient contempler ses nouvelles recrues :  à chaque génération, la Suprême actuelle meurt pour laisser place à la suivante. Terrifiée à l'idée de vieillir, Fiona Goode (Jessica Lange, toujours aussi impériale et borderline), l'actuelle représentante des sorcières, ne compte pas laisser sa place aussi facilement. Elle n'hésite pas à toiser sa fille Cordelia, une sorcière amoureuse des plantes déprimée par un mariage sans enfant, et commet l'irréparable dans sa quête contre le temps : elle déterre Delphine Lalaurie, une bourgeoise sanguinaire qui pensait avoir trouver le secret de l'immortalité dans le sang de ses serviteurs.


Pas facile de résumer donc cette saison, dont les péripéties citées plus haut ne représentent qu'un quart de ce qui attend le téléspectateur ! Ainsi, dans sa culpabilité souveraine, la gentille Zoé ressuscitera le garçon de ses rêves, en faisant une sorte de "teenage Frankenstein", Fiona devra se heurter à Marie Laveau, une sorcière vaudou surpuissance, et Misty Day, une sorcière des marécages capable de ramener les morts à la vie, se verra approchée par le couvent. Évidemment, tout cela provoquera apparition de zombies faisant pâlir ceux de Walking Dead, chasseur de sorcières, fanatique religieux, minotaure, et tueur jazzman : toujours un impayable et joyeux bordel !


Avec des thèmes épineux et un récit d'une noirceur parfois vertigineuse, la saison 2 avait brisé des barrières épaisses ; plus soft (même si nécrophilie, inceste ou infanticide sont de la partie), Coven joue surtout la carte du divertissement camp. Tout ceci n'est en effet qu'un prétexte à un crêpage de chignon gore et féministe en diable ("We really don't need a man to protect us"), qui assume encore plus ses aspects soap. Durant toute une saison, Murphy s'amuse à tuer et à ressusciter ses personnages autant de fois que possible, profitant d'un jeu de massacre qui, comme chaque saison de la série, se reconstituera comme un puzzle brisé.

L'alchimie du casting est toujours au top niveau, mariant les habitués (Lange, Sarah Paulson, Lily Rabe, Denis O'Hare, Taissa Farmiga, Frances Conroy...) et les nouvelles têtes : parmi elles, l'imposante Gabourey "Precious" Sibine, Patti Lupone, Danny Huston, Emma Roberts (qui remporte la palme de la bitch de l'année), et surtout Kathy Bates en Bathory façon south america à la bonhomie trompeuse et au racisme indécent, puis enfin Angela Bassett, offrant un come-back hallucinant en Corona maléfique.


Avec son écriture virevoltante (et parfois en complet free-style, avouons le) Coven brille par son imprévisibilité, fusillant le manichéisme le plus évident : d'un bout à l'autre, tous les personnages sont capables des pires horreurs, se trompant mutuellement comme ils trompent le spectateur. Et malgré des écarts visuels de plus en plus présents (un visuel moins inspiré et enlaidie par des plans tarabiscotés comme un clip des 90's) le show préserve magnifiquement tout ce qui l'anime : une imagerie qui chuchote ses légendes (les réminiscences de Salem et le cadre de la Nouvelle-orléans, terre du jazz et du vaudou, permettant à des mythes comme Laveau, Lalaurie ou Papa Legba de s'intégrer dans le paysage) et assumant  pleinement son hybridité (on balance des références à Oz ou Harry Potter, et les chansons de Fleetwood Mac prennent une importance surprenante au cours du récit). C'est toujours aussi grand et fou.

AMERICAN HORROR STORY : MURDER HOUSE

AMERICAN HORROR STORY : ASYLUM


Goltzius & la Compagnie Pélican (2013) Peter Greenaway : L'empire des corps

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C'est un fait : Peter Greenaway n'est plus aussi hype que dans les années 80 et 90,  où, comme nul autre avant ou après lui, il faisait fusionner le septième art avec l'art tout court. Avec un geste unique, fluide, pour dramatiser et réinventé ce qui, au bout d'un pinceau, s'animait déjà. La pellicule devenait toile, mue par une obsession du cadre, de la musique (aussi envahissante et présente que possible) et des références picturales.
C'est un autre fait, Goltzius et la compagnie pélican sera quelque peu snobé tout comme La ronde de nuit le fut (où l'on croisait un Martin Freeman encore méconnu). Après Rembrandt, Greenaway croque Henrick Goltzius, un graveur et peintre hollandais qui commente ici la fable à venir. L'intérêt pour Greenaway n'est évidemment pas de faire un biopic, mais de réaffirmer l'imagerie de l'artiste.


Dans l'espoir d'ouvrir une imprimerie, le peintre, ici aidé par une troupe de comédiens, flatte les bas-instincts d'un marquis libidineux et hypocrite en mettant en scène ses futurs gravures. Celles-ci retracent les moments les plus licencieux de la Bible (Adam & Eve, Samson et Delila, Salomé et Saint Jean Baptiste, Loth et ses filles...), revisitant ainsi les tabous qui picotent le genre humain : l'inceste, la nécrophilie, la luxure...

Toute la structure emprunte énormément à Baby of Mâcon, où Greenaway filmait une pièce de théâtre, ses spectateurs et ses coulisses, le tout finissant par se croiser dans une capharnaüm tragique. Le but est identique, mais le résultat est tout de même plus soft, du moins façon de parler.
Ce qui surprend encore et toujours chez Greenaway, c'est le rapport au corps et à ses comédien : jamais de gros plans, un détachement quasi-thêatral, et paradoxalement une véritable proximité avec la chair, avec les courbes, comme dans les nus d'autrefois. Les corps ne sont pas parfaits mais ils sont désirables, ils palpitent et réagissent, malgré l'ombre permanente de la mort sur chacun.


Il en résulte une mythologie rabelaisienne quelque peu morbide certes, provocante aussi (le marquis incarné par F.Murray Abraham défèque en public, on sodomise un prêtre calviniste...), mais diablement excitante. Le tout marié à l'art du verbe, au plaisir pictural, au blasphème tranquille. Greenaway n'a pas changé.

Le seul point noir de l'entreprise, c'est l'aspect parfois artificiel de son esthétique : Greenaway use du numérique et fait parfois ressembler son film à une démo Imagina, là où le 35mm donnait un piqué ravageur mais essentiel à son exploration baroque. La reconstitution même de l'action s'organise dans des Halles apparentes, visant quelque chose proche de l'installation et du thêatre. Et donc quelque part, un peu trop toc. C'est là la seule trahison de Greenaway à son univers (même si l'absence de Nyman fera d'autres malheureux) : son cinéma lui, reste toujours aussi stimulant. On peut sans doute lui pardonner...

(RE)VOIR GREENAWAY EN 5 FILMS : 

* Meurtre dans un jardin anglais (1982) : À la lueur des bougies, des bourgeois livides et obscènes fourchent leur langue tant qu'ils peuvent : au milieu se dresse un peintre entreprenant, qui deviendra le prétexte pour Greenaway d'infiltrer un tableau guindé et british. C'est ainsi que débute ce Draughtsman's Contract, qui farfouille dans les beaux jardins anglais l'immoralité et le venin des hommes. Objet précieux (fantastique musique de Nyman, comme d'habitude chez Greenaway), mordant, qui insinue qu'il y a forcément quelque chose de pourri dans le beau.

* Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989) : Sans aucun doute le film le plus accompli de son auteur. Une semaine entière, le spectateur assiste à un chassé-croisé gastronomique liant un mafieux "ogresque" (le voleur), une épouse soumise (sa femme), un témoin complice (le cuisinier) et un séducteur dans la cible (l'amant). Emprisonné dans un cadre où les couleurs se divisent selon les lieux, cette pièce maîtresse se mue en vaudeville grand guignolesque, qui ramène l'être humain à ses fonctions primaires (baiser, chier, tuer), comme un poème rabelaisien sous gangrène. Ravageur, baroque, dément.

* Le ventre de l'architecte (1987) : En homme baroque, Greenaway ne pouvait passer à côté de l'Italie, lui offrant un poème amer et démesuré flottant dans l'ombre d'un architecte cocu et maladif. Dans un registre surprenant, Brian Dennehy traîne sa bonhomie torturée dans une Italie silencieuse et gigantesque, contemplant sa déchéance adultérine au son de la mémorable musique de Wim Mertens.

* Prospero's Books (1991) : La rencontre de Greenaway et de Shakespeare se fera autour de la fameuse Tempête de Prospero, le magicien trônant au milieu de ses livres. Après Derek Jarman mais avant Julie Taymor, d'autres disciples de l'Angleterre transgressive, le bonhomme y déploie une ambition visuelle si débordante, si inspirée, qu'elle en devient presque épuisante. Ce qui n'explique en rien le fait que le film soit si mésestimé. Sa scène d'introduction, qui ressuscite le peuple des nymphes et des chimères, est sans doute ce qu'il a tourné de plus renversant.

* The Baby of Mâcon (1993) : L'oeuvre la plus malade et la plus violente de son auteur, qui semble y avoir injecté toutes les ténèbres du monde. Mise en abîme gargantuesque autour d'un petit Messie attirant toutes les convoitises, Greenaway télescope sans cesse son spectateur entre plusieurs dimensions, dont les frontières se brisent une à une avec un sens de la tragédie gore assez vertigineux. Ce qui explique peut-être qu'il s'agit de son film le plus mal aimé, et accessoirement du plus hallucinant.

Ma Vie en Rose (1996) Alain Berliner : La Confusion du Genre

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Le temps d'une polémique aussi navrante que tardive, le très joli Tomboy fait monter aux créneaux les rageurs du djendeur : désoeuvrant pour ceux qui lancent les pierres, à double tranchant pour le film de Céline Sciamma, car inutilement traîné dans la boue (et heureusement défendu d'autre part). Derrière tout cela, c'est aussi oublier que Tomboy n'a pas été le premier film à aborder l'enfance transgenre : il y a 18 ans, Ma vie en rose s'y attelait déjà. Oubli "confortable" ou involontaire ?

Bien qu'auréolé de quelques prix, le film du belge Alain Berliner s'est quelque peu effacé avec le temps. Le réalisateur lui, fut flatté par Hollywood le temps d'une sorte de Double vie de Véronique de dimanche après midi (D'un rêve à l'autre avec Demi Moore) avant de se réfugier à la télé. Le film lui, n'a pas bougé. Il est là, heureusement (et tristement) encore d'actualité.


Tout comme Laura dans Tomboy, Ludovic est un enfant évoluant dans un gentil cocon familial : c'est un garçon, mais il est persuadé d'être une fille (et veut se marier avec son camarade de classe). Au départ, il y a cette transparence, cet esprit de jeu que les parents refusent de voir, puis il y a l'inquiétude. Surtout lorsque la famille du patron de Monsieur et le voisinage commencent à entrer en jeu.

Que tout ceci se déroule en Belgique ou en France importe peu : Berliner choisit le cadre le plus propice au malaise, à savoir une banlieue quasiment identique à ce qu'on pourrait voir aux États-Unis. Là où tout le monde vit avec tout le monde, où les haies et les façades ne suffisent pas à tout cacher aux voisins. Le personnage de Ludovic lui, qui échappe aux normes, fout tout en l'air : comment ses gens si bien rangés et si propres sur eux peuvent-ils comprendre qu'un garçon se sent fille ? Personne, sauf un personnage de mamie gâteau formidable incarné par la non moins formidable Hélène Vincent.


Les situations filmées par Berliner pourraient se contenter d'invoquer le rire gêné et la curiosité scabreuse : mais il est au contraire tout prêt du personnage de Ludovic (incroyable Georges du Fresne), chenille qui voudrait devenir papillon. L'incompréhension, la panique, la colère, les saillies homophobes, les ballades chez le psy : il faudra un long cheminement aux parents du garçonnet avant de comprendre que ce n'est pas leur progéniture qui débloque, mais les yeux qui les entourent.

Là où Tomboy optait pour une approche quasi-documentaire, Ma vie en rose joue la carte du conte rose-bonbon qui déraille, et suit précisément l'engrenage violent que la différence peut engendrer, même dans les gentilles maisonnettes respectables. Le regard de l'autre façonne et détruit.

Lors du dernier acte, une figure inattendue vient remettre ses choses à sa place : une tomboy. Et c'est là que s'ouvre une porte vers le film de Sciamma. Complémentaires ? Oh que oui !

Phantom of the Paradise (1974) Brian De Palma : Du Côté de chez Swan

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Milieu des années 70 : au carrefour des révolutions musicales et cinématographiques, l'âge d'or de la comédie musicale est loin, très loin. L'opéra rock a pris le relais : une majeure partie (quasiment tous en réalité) des films musicaux de la décennie sont des remakes de spectacles déjà existants : Grease, The Rocky horror picture show, Jesus-Christ Superstar, Hair, Cabaret...
Phantom of the Paradise s'impose donc déjà en OVNI, en monstre synthétique qui décortique lui-même les coulisses de ces opéras rock, avant de poser le décor du sien. Délaissant son manuel du petit Hitchcock , Brian De Palma brûle ici toutes les attentes : ce sera son film le plus fou et le plus vertigineux.


1h30 de fulgurances, d'énergie, de bizarreries et de musique : dès son ouverture sentencieuse et hypnotisante, Phantom of the Paradise ne veut plus nous lâcher. Swan, un grand manitou de la musique avide de sang frais dans les charts, vole la musique d'un compositeur et le jette en prison. Évadé, défiguré et décidé à se venger, Winslow Leach revient hanter le Paradise, l'opéra de son ennemi. Et tente de sauver une jolie choriste, Phoenix (Jessica Harper, pas encore courtisée par Argento et Woody Allen, est un ange échoué au milieu des enfers) , des griffes de l'homme qui l'a détruit. En somme, du Leroux revu au pays du disque d'or.

P.O.P
(car il s'agit de son étonnant et logique diminutif !) n'aurait pu être qu'une parodie moderne du mythe de Fantôme de l'opéra, réduit à l'époque à une figure pathétique s'agitant dans des films assommants (dont on garde tout de même la très fameuse adaptation avec Lon Chaney). De Palma, démesuré, malin, prodigue, ne pouvait se contenter de cela. Car mieux que tout, POP est une poupée russe qui ne se lasse pas d'être découverte.


Il y a d'abord la modernisation du mythe et sa transformation : De Palma conserve le triangle amoureux et boursouflé, mais le dénature en virant le prétendant sirupeux pour une figure encore plus ambiguë que le fantôme même. Donc bien plus intéressant. Un peu plus loin, la primadonna de service devient un chanteur de glam rock folle et drogué : savoureux.

Et puis voilà d'autres mythes littéraires venant s'incruster ça et là : le personnage de Swan, demi-dieu aux yeux du public mais nabot androgyne et maléfique derrière les applaudissements, est un Dorian Gray moderne copinant avec Faust et créant malgré lui un monstre qu'il ne peut contrôler (en l'occurrence le fantôme). Et le mythe de Frankenstein, quand il n'est pas évoqué par la relation entre Winslow et Swan, est transposé littéralement durant un concert, avant de se fondre dans la pellicule : POP est lui-même un patchwork, cousu de paillettes et de sang.


La vision amère et cruelle du hit-parade évoque elle aussi l'assemblage, la réutilisation : Swan, dans le soucis de ne jamais décevoir le public, passe d'un style à un autre, mais tout en utilisant les mêmes chanteurs. Il y a ce groupe rockabilly grossier façon Grease dégénéré, ces Beach Boys de fanfare, ce goth rock façon Kiss/Alice Cooper ; sans parler de la scène de l'audition, où s'ajoute les tendances de l'époque (le funk, la folk, la pop...). Le public est ivre mais aveugle, ne discernant plus la fiction et la réalité. Sous la camera de De Palma, et derrière la fantasmagorie, le monde de la musique y est dépeint sous un angle terrifiant : Satan est aux mains du Paradis, littéralement ; la voix s'y échange comme l'âme chez Faust.
Et en parlant de musique, toutes les chansons du film sont évidemment capitales puisqu'elles agissent à la fois comme un chœur et comme un écho : aucune ne se ressemblent, toutes sont merveilleuses. Paul Williams y signera son plus beau travail.


Plus encore qu'avec tous ses films suivants, De Palma semble vouloir atteindre avec Phantom of the Paradise une sorte de summum dans sa maestria et ses obsessions (le double et le voyeurisme en l'occurrence), une forme de perfection, balayant tous les genres possibles d'un revers (le fantastique, le film musical, la comédie, le drame, l'horreur, la tragédie, la romance) et monopolisant toute la gamme d'émotions envisageables.

On ne s'étonne plus de passer de l'effroi à l'éblouissement d'une séquence à une autre, du burlesque (la parodie bouffonne de Psychose) aux larmes amères (le Old Souls de Phoenix, qui dissipe les cris et le vacarme le temps d'un instant). Et comme d'habitude chez le grand Brian, il faut que l'épilogue explose tout ce qui a précédé, jusqu'à faire perdre la tête aux personnages et aux spectateurs : De Palma se souvient alors de l'hystérie expérimentale qu'il captait dans son Dyonysos 69, mais avec de la chair et de la couleur en plus. Jamais un sabbat ne fut si flamboyant et si triste.


Cin'Express #6 - Février 2014

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* The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson : Après un Moonrise Kingdom plutôt "mignon", Wes Anderson délaisse les jeux d'enfants pour une entreprise bien plus vaste. Grand bain chaud dans l'univers de Stefan Zweig, The Grand Budapest hotel télescope la petite et la grande histoire à travers les aventures d'un concierge d'hôtel gérontophile et de son tout jeune lobby-boy. L'imagerie vintage se déploie d'un plan à un autre, le casting ajuste ses quatre étoiles, les voix-off se superposent : tout est là ; mais tout en grimpant de quelques crans. Passionné par son sujet, Anderson frappe en plein coeur, animant ce tableau tragi-comique avec une ferveur et une énergie réellement divines. Son ouverture et sa conclusion, qui semblent refermer les pages de plusieurs livres, agissent comme un songe lointain qu'on a vécu et aimé, quelque part dans une autre vie.


* La grande aventure Lego
, de Phil Lord & Chris Miller / Tempête de boulettes géantes 2 : L'île des Miam-nimaux, de Cody Cameron & Kris Pern : Belle surprise en son temps, Tempête de boulettes géantes voit ses créateurs se barrer fissa pour sa séquelle au profit de The Lego Movie, pub géante mais ultra jouissive dédiée aux mirifiques briques. On a donc d'un côté une séquelle très sympathique, se reposant sur un bestiaire de "miam-animaux" hilarants et des perso toujours aussi hystériques, et de l'autre un divertissement au contenu plus inattendu, dissimulant derrière son schéma tout vu des propos étonnement subversifs pour un produit de cette trempe. C'est la touche de ses créateurs Lord & Miller, dont le virage à 180° glisse vers une réflexion touchante à la Toy Story. Après Les Cinq Légendes et La reine des neiges, une nouvelle preuve qu'il y a de la vie en dehors du royaume Pixar.

* American Bluff, de David O'Russel : Véritable best-of de ses acteurs chouchous, American Hustle offre cette fois la possibilité à David O'Russel de jouer les mini-Scorsese. Mais à quelques encablures du Loup de Wall-Street, est-ce bien raisonnable ? Pas sûr, tant cette aventure de l'arnaque dans un New-York vintage et reconstitué à la perfection finit par créer un vrai sentiment de lassitude. Malgré la b.o endiablée et ses acteurs convaincus et convaincants, la sauce ne prend pas. La fièvre et la générosité de son modèle sont loin d'être atteintes. Try again...

* La belle et la bête, de Christopher Gans : En son temps, on avait espéré que Le Pacte des Loups, bien que pétrie de références multiples, ressuscite un certain cinéma d'aventure français, à la fois old-school et exalté. Toutes les tentatives qui suivront (Le petit poucet, Blanche, Capitaine Philibert, Fanfan la Tulipe, Angelique...) seront des échecs artistiques retentissants. Revenu en terre natale, Gans tente d'injecter sa sève de cinéphile frustré au sein d'une entreprise molle. Avec une ambition et une générosité visuelle digne du revival fantasy Disney sévissant aux States, le spectacle déployé par l'ancien journaliste de Starfix prouve que rien n'est perdu dans l'hexagone. Et il se tire surtout de l'ombre imposante du Cocteau, la référence du conte fantastique à la française. On s'étonne cependant de concessions "mignonnes" (les horribles chiots enchantés) ou comiques (les soeurs de Belle jamais drôles) qui se heurtent à la démesure parfois déconcertante de l'auteur (le final too much et ses emprunts à Damajin). Et si Gans flatte manifestement les yeux (les traversés du miroir, hallucinantes), le coeur lui, est étrangement peu sollicité. En résultat un objet charmant, pensé, passionné mais assez creux hélas.

* Only lovers left alive, de Jim Jarmusch : Alors que le thème du vampire n'a jamais été aussi exsangue, Jarmusch illustre par le désenchantement rock et le spleen urbain ce que Tony Scott ou Ferrara avaient déjà tenté il y a de nombreuses années. Le résultat est une ballade nocturne, plombante et antipathique où surnage l’énergie gracile de Mia Wasikowska. Une oeuvre autiste, sans idées, livide comme les êtres qu'elle filme, loin du miracle morbide et expressionniste de Dead Man. Quelle tristesse...

* Les bruits de Recife, de Kleber Mendonça Filho : À quelques mètres de la mer, les tours de Recife dardent le ciel, se confondant entre villa discrètes et maisonnettes fébriles. On passe d'une classe à une autre dans un grand et faux silence, liant quelques personnages disparates : les membres de la famille à qui appartient la cité, une desperate housewive excédée par le chien de son voisin, faisant l'amour à son lave-linge quand elle s'ennuie, et des quidams s'assurant de la sécurité du quartier. L'immersion dans un quotidien qu'on pourrait croire banal est aussi totale que fascinante, à tel point qu'on finit absorbé par cet univers froid et presque menaçant,  où les bruits deviennent des histoires à part ; une clef grinçant sur une voiture, un aspirateur allumé sur une fenêtre, un ballon éclatant sous une roue, des ultra-sons... Mendonça Filho visait selon lui "un soap-opera filmé par John Carpenter". Vu la promesse, on en attendait une oeuvre plus bizarre encore, mais dont on garde quelque chose d'assez unique et obsédant. Donc à suivre...

* Gloria, de Sebastian Lelio : On ne peut pas dire que ce portrait de femme quasi sexagénaire dans le Chili d'aujourd'hui aille plus loin que sa b.a, efficace mais trop révélatrice. Mais on ne peut lui reprocher d'être une comédie douce-amère vraiment réussie, qui jongle entre crudité (belle approche des corps) et fraîcheur. Le constat est drôle, un peu mélancolique : les hommes, mêmes murs, font encore les mêmes erreurs. Mais tout est encore possible tant que la vie est là, tant qu'on respire. Et la belle Gloria (géniale Pauline Garcia) le démontre admirablement.

Phantasmagoria 1 & 2 (1995-1996) Sierra Entertainment : Full Motion Horror

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C'était voilà il y a une vingtaine d'années : le boom du Point & Click, soit la forme la plus répandue du jeu d'aventure, s'acoquine avec une avancée graphique qui restera définitivement ancrée dans les 90's : la Full Motion Video, soit  une forme de film interactif. Un autre pont très concret vers le Septième art alors, invitant de nombreux jeux à greffer des scènes tournées sur fond vert avec de véritables comédiens.

Le Point & Click sera le genre qui intégrera le mieux la technique (bien qu'on sera tenté de ne pas oublier la saga des Wing Commander) avec une flopée de titres souvent liés aux domaines du thriller et de l'horreur. Débutant la bataille, Under the killing moon laissera sa place à d'autres titres tels que The 7th Guest, Gabriel Knight 2 et 3,  Ripper,  Night Trap,  Frankenstein ou Dracula Unleashed : pouvant se targuer de faire tourner de tel monstres, le Mega-Cd sera la seule console qui s'appropriera une partie des ces titres.

S'ils sont tous intéressants, voire même importants à leur manière, Phantasmagoria se pose en véritable cas d'école (et de beau succès en son temps). Déjà par ses origines : celui-ci est né de l'imagination de Roberta Williams, jusque là affiliée à la saga des King Quest (des P&C situés dans un univers de conte de fées), qui écrira et réalisera ce soft d'horreur à l'époque parfaitement révolutionnaire, aussi bien par sa technique que son contenu déviant.


Sur une base simple mais à l'efficacité éprouvée (le thème de la maison hantée), Roberta Williams brode une histoire minimaliste qui s'accommode parfaitement de l'aspect minutieux du P&C : un couple, Donald (ersatz du Léo de Twin Peaks) et Adrienne (une écrivaine qui aime bien les pulls oranges), s'installe (on ne sait pas par quel miracle d'ailleurs !) dans le château d'un défunt magicien, le faustien et sanguinaire Zoltan Carnovash. À Adrienne de découvrir les sombres secrets de la demeure et de sauver l'âme de son mari, possédé par l'esprit démoniaque qui hante les lieux. Bref vous l'aurez compris, on nage en pleine relecture de Shining, avec une esthétique volontiers plus baroque.

Avec ses éclairs de violence cracra (faisant surtout leur apparition dans la dernière partie du jeu, comme cette tête explosée au pendule) et sa pointe d'érotisme périmée (attention, viol en caleçon !), Phantasmagoriaétait le comble de la subversion à sa création, voilant par là sa difficulté faiblarde, ainsi que l'ineptie de ses dialogues et de 90% de ses situations (oui c'est beaucoup). Mais on ne peut pas trop lui en vouloir : avec le temps, le soft de Sierra a acquit un vrai charme désuet, en plus d'être parfaitement prenant. Ses décors en 3D pré-calculés au design bizarre, ses musiques midi qui trottent de partout (traversés d'un score incantatoire à la The Omen vraiment réussi), l'atmosphère imprégnée ça et là de Stephen King ou de Poe : le capital sympathie est là, même ancré dans les maladresses du jeu ; à l'image de la technique du FMV, dépassée certes, mais qui en rajoute presque dans le malaise ambiant, texture à la fois médiocre et vivante, figée et cassée.


Si on lui confisquait son côté interactif, Phantasmagoria aurait vraisemblablement été une série z issu du catalogue Full Moon (voire un film de Stuart Gordon ou de Brian Yuzna, la vague ressemblance de l'actrice principale avec Barbara Crampton y étant sûrement pour quelque chose...) : mais tout comme ses bandes rigolotes auquel on pardonnait les moult défauts par leur patine et leur ambiance (parfois) soignée, Phantasmagoria s'apprécie encore très bien à l'heure où la technique prime malheureusement sur le reste.


À peine un an plus tard, Sierra lance une séquelle sans grand rapport avec le premier opus (hormis un clin d'oeil rigolo) : A Puzzle of Flesh (retitré chez nous Obsessions Fatales). Le système de jeu et son interface ne bougent pas, et la demeure Carnovash laisse alors place à un intrigue résolument plus urbaine et moderne. Le joueur se retrouve à suivre les mésaventures de Craig, un trentenaire assaillie de visions terrifiantes : il faut dire que le bougre a quelques séjours en hôpital psychiatrique et une enfance traumatisante à son actif...
Si la technique s'est résolument améliorée (les scènes filmées sont bien mieux réalisées et les décors 3D laissent place à un environnement plus réaliste), cette seconde monture ne déroge pas à la règle en proposant une authentique série z interactive (sensation renforcée par la présence de Monique Parent, une habituée du genre), s'occupant d'alterner les scènes chocs et sexy allant parfois aussi loin que possible (gamin torturé, meurtres à la Argento...)


Remake pas très finaud de L’échelle de Jacob, Phantasmagoria 2 se laisse également influencer par Clive Barker (le sado-masochisme tient une place conséquente dans l'intrigue) et Cronenberg, avant de bifurquer malheureusement vers une résolution à la Outer Limits (période 90's évidemment).

Si le héros est décidément peu charismatique, la successeur de Roberta Williams, Loreilei Shannon, s'autorise des audaces surprenantes au cours de son récit : Craig n'hésite pas à pratiquer l'adultère de manière sauvage avec sa collège SM et déclare sa bisexualité à demi-mot. Quant au perso gay dont il est éprit (son meilleur ami en l'occurrence), il est de loin le personnage le moins caricatural du jeu ! Nous sommes en 96, et pour un jeu vidéo, c'est assez surprenant...
Roberta Williams sera rappelée sans grand succès pour un troisième volet : il faut dire que Phantasmagoria 2 sonnait aussi le glas du jeu d'aventure en Full Motion Video, qui se laissera alors mourir à la fin des 90's...


LE BONUS :

* The 7th Guest (1993) Trilobyte :
Événement vidéo-ludique en son temps puisqu'il exploitait la pleine puissance d'un CD-Rom, The 7th Guest n'a rien perdu de sa fluidité et de sa beauté étrange. Le joueur y arpente les couloirs d'une demeure construite par un inventeur illuminé, cherchant à découvrir le secret du septième invité dans une atmosphère façon Cluedo / Nuit de tous les mystères. Le résultat ne s'apparente absolument pas à un survival horror et annonce plutôt les rouages de Myst, puisqu'il faudra résoudre des énigmes particulièrement retorses (qui n'arrangeront guère les non-anglophones, le jeu étant english-only). Pour les curieux et les nostalgiques, le jeu a d'ailleurs été réédité virtuellement l'année dernière sur Mac et PC ! Quitte à mettre de côté sa séquelle The 11th Hour (qui met davantage l'accent sur la FMV), il ne faudrait pas oublier Shivers, un petit bijou signé Sierra dont la FMV ne sert qu'à animer quelques cut scene. L'influence de Myst y est nettement plus probante (on doit résoudre une suite de puzzle dans un gigantesque musée maudit) mais l'univers lui, reste voué à la fantasmagorie la plus inquiétante.


* Harvester (1996) DigiFx Interactive :
N'ayant ni la prétention ni le budget des Phantasmagoria, Harvester n'est pas non plus ce qu'on pourrait appeler un jeu modeste : il a de quoi surprendre encore, étant l'un des jeux les plus extrêmes de sa génération. On y incarne Steve, un garçon amnésique (pratique pour l'identification...) découvrant le quotidien de Harvest, une petite ville sous l'influence d'une secte mystérieuse et prisée : l'Ordre. Un point de départ à la Twin Peaks (tous les habitants de la ville sont évidemment fêlés) qui dérape lentement vers la promenade trashouille. Dans l'esprit, il suffit d'imaginer un épisode de South Park réalisé par David Lynch !


D'une méchanceté sans limite et dégommant toutes les institutions possibles (l'éducation, l'église, la famille...), Harvester est une oeuvre décapante, suintant le malaise jusque dans la laideur des cuts-scenes (la technique amplifiant le côté cheap et décalé) et dans sa collection de personnages déviants (mères hystériques, institutrice ultra-violente, beau-père voyeur et pédophile, pompiers gays bien allumés...). D'abord rebutant, on se laisse prendre par l'atmosphère crépusculaire et sinistre qui amène le jeu vers des bizarreries de plus en plus incontrôlées (ce n'est ni très fin, ni très bien écrit...) et des trouvailles pas piquées des vers (vous taper une prostituée douteuse vous fera mourir à petit feu par MST...). Le dernier acte vire alors dans l'action gore et pataude (étonnant pour un P&C), nous obligeant à dégommer tout ce qui bouge à coup de tronçonneuse et de pistolet à clous ! Pas totalement convaincant mais complètement ravagé.

La Maison aux fenêtres qui rient (1976) Zeder (1983) L'Arcano Incantatore (1996) Pupi Avati : La mort était au rendez-vous

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Dans le paysage du cinéma bis italien, on ne peut radicalement pas échapper au consensus établi autour de réalisateurs comme Dario Argento, Lucio Fulci, Ruggero Deodato, Umberto Lenzi, Sergio Martino, etc. C'est oublié que des auteurs, pourtant tout aussi passionnants, comme Armando Crispino, Alberto Cavallone ou Francesco Barilli, ont vite été relégué au troisième plan. En haut de ces oubliés, il y a Pupi Avati, qui a toujours brouillé les pistes avec le cinéma de genre. Tout comme un grand nombre de réalisateurs italiens de l'époque faste, c'est un touche à tout  - encore actif d'ailleurs - plus talentueux avec le genre que bon nombre d'autres de ses comparses, en tout cas plus qu'on ne le croît...

Si l'on devait choisir une poignée de titres, La Maison aux fenêtres qui rient, Zeder et L'arcano Incantatore formeraient à eux seuls une trilogie brillante, chaque opus appartenant à une décennie tout en communiquant l'un avec l'autre. La Maison aux fenêtres qui rient, sans doute le plus connu en France en raison de son passage remarqué au festival fantastique de Paris (et à sa triste apparition dans les bacs à soldes dvd), déploie à lui seul toute la mécanique de son auteur, qui ne renouvelle d'ailleurs jamais son plan d'attaque. Paresseux peut-être, mais fascinant car toujours maîtrisé.


La casa dalle finestre che ridono (de son vrai titre) est un giallo atypique (tout comme Zeder sera un film de zombies hors-normes), qui refuse déjà de se conformer aux standards du genre. Dans la campagne italienne profonde, quelque part à Ferrare, un peintre du nom de Stefano est approché pour restaurer la fresque d'une église, une variation du martyr de Saint-Sébastien en piteux état. Un secret semble entourer son défunt auteur, un certain Buogno Legnani, qui avait la réputation d'être excentrique et torturé. Les mystères, les menaces, les non-dits, tout va pousser le jeune homme à se lancer dans une enquête incertaine et dangereuse.

Ce qui frappe dans un cadre rural à priori dénué des maléfices du genre, c'est que Avati semble marier le meilleur d'Argento (l'obsession pour l'art) et de Fulci (décors décrépis, atmosphère pourrissante) pour un résultat assez unique. Avati n'oeuvre pas dans l'imitation : il s'agit là d'une force commune, d'un esprit italien empli de morbidité. Dans une angoisse tour à tour sourde ou hystérique (l'introduction avec son martyr en sépia, traumatisante au possible), Avati signe un trésor d'épouvante brute.


Réalisé sept ans plus tard, Zeder nage dans un fantastique pleinement assumé, amenant un autre Stefano à découvrir ce qui se cache derrière une bande oubliée dans une machine à écrire. Les mots égarés forment une lettre écrite par un certain Don Luigi, un prêtre ayant visiblement décidé de s'affranchir des limites entre la vie et la mort.

Jamais exploité en France après un passage à Gerardmer, L'Arcano Incantore remonte bien plus loin dans le temps, restituant une trame ouvertement gothique dans l'Italie rurale du 19ème siècle. Un garçon fuyant le scandale est amené à devenir le secrétaire d'un homme solitaire et mystique, dans un endroit où "les oiseaux boivent du sang et l'on écrit des lettres aux morts". Son défunt successeur, un certain Nero, avait la réputation d'être un homme terrifiant. Tout un programme.


L'organisation d'Avati à travers ses trois opus est aussi précise que systématique : son héros est un homme qui sera victime de sa curiosité, fasciné puis dépassé par l'ampleur (et l'horreur) de la tâche ; tout tourne autour d'une figure, d'un homme qui revient dans toute les bouches mais qu'on ne voit jamais (Buogno Legnagni, Don Luigi, Nero), et ayant manifestement emmené son secret dans la tombe (à moins que...) ; l'action est ample mais cible un lieu en particulier (une villa de campagne, un camp de vacances, une bibliothèque), là où les secrets se chuchotent dans l'ombre ; tous les personnages susceptibles d'aider le héros périssent mystérieusement (dans un climat invitant presque au complot) ; chaque film aborde un domaine précis (l'art, le paranormal, les sciences occultes) et enfin le dernier quart d'heure est un déchaînement d'horreur glaciale où les spectres et les silhouettes dissimulées durant tout le métrage, apparaissent enfin. Seule habitude regrettable : les rôles féminins y sont toujours particulièrement faibles (du moins surtout dans Zeder et La casa...).


Ce qui paraît redondant laisse en réalité admiratif : Avati maîtrise l'art de l'ambiguïté et du détail avec beaucoup de virtuosité, livrant les clefs de manière plus ou moins évidentes, mais jamais de manière démonstrative (on est loin des scénario à trous d'Argento ou de Fulci, plus intéressés par l'aspect de cauchemar éveillé). Moins versé dans l'esthétique, Avati excelle dans la suggestion, laissant son spectateur s'appesantir dans des surfaces inquiétantes, silencieuses, malades (les bouches sardoniques sur la façade en ruine dans La casa..., le complexe de béton sans queue ni tête de Zeder...). Ce qu'on cache, forcément abominable, fait craindre le pire à chaque instant : toute l'horreur se déverse dans l'invisible. L'effroi, furtif mais intense, s'y autorise des percées mémorables : l'attente du passage d'un spectre dans l'obscurité, une voix d'outre tombe surgissant d'un magnétophone pour traverser la nuit, une caméra fixée dans le cercueil d'un cadavre ne tardant pas à s'éveiller...

Avati explore dans son coin les ténèbres du monde et les antichambres infernales : ce qu'on retient de ce fantastique crasseux, c'est la sensation perfide d'avoir croisé le regard des morts.

LE BONUS : 

Baiser Macabre (1980) Lambert Bava :
Aussi prolifique en temps que réalisateur que scénariste, Avati n'a cependant pas fini de livrer tous ses secrets, laissant courir de nombreux titres invisibles sur le marché (son récent Il Nascondiglio, L'étrange visite ou Dove Comincia la notte). Moins rare mais mésestimé, Macabro est né de sa plume, le reste étant attribué à Lamberto Bava, dont il s'agit du premier film. Cas surprenant, on reconnaît davantage la patte d'Avati, que ce soit dans le sujet macabre (forcément) le rythme ou l'approche, loin de la bolognaise kitch qui fit la renommée de Bava junior.  Quelque part à la Nouvelle Orléans, une mère esseulée (incarnée par Bernice Stegers, remarquée chez Fellini et tout aussi maltraitée que dans X-Tro) tente de reprendre le cours de sa vie, traumatisée par la mort de son amant et de son fils : sous son toit s'agite alors une fillette sadique et un aveugle trop curieux. Faux drame intimiste mais véritable tragédie poisseuse, dont la lenteur et le jusqu'au boutisme évoquent indéniablement Avati. Putride et malsain au possible (nécrophilie et infanticide filmés face caméra), le résultat impressionne encore, à la manière de L'immoralità ou de Blue Holocaust, d'autres huis-clos déviants à l'italienne.

Cin'Express #7 - Mars 2014

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* Dark Touch, de Marina de Van : On attendait beaucoup de l'essai anglo-saxon d'une réalisatrice aussi dérangée que singulière, pourtant peu amatrice et connaisseuse du genre. Une lacune qui aurait pu faire de ce Dark Touch une oeuvre infiniment plus "autre" que les productions actuelles sauf que, paradoxe, c'est l'inverse qui se produit. Dans un style minimalisme et hélas assez impersonnel, Marina De Van se raccroche (sans le vouloir...) à toute une tripotée de génération d'enfants vengeurs et assassins, du Village des damnés en passant par Les révoltés de l'an 2000 (dont le film emprunte beaucoup au fond) ou Carrie. Le résultat, froid, un brin antipathique et peu ambitieux, peine à nous rappeler au bon souvenir du traumatisant Dans ma peau (ou de Dorothy, escale fantastico-irlandaise d'une autre réalisatrice hexagonale). On garde, en guise de consolation, une scène d'attaque de meubles meurtriers assez sauvage et une sortie scolaire nocturne à l'issue sans concession. C'est d'ailleurs sans doute là que résiste l'unique lueur de sa créatrice : une cruauté radicale, mais sans racolage.

* Her, de Spike Jonze ; Issu d'une génération de clippeurs fous (Gondry, Cunningam et cie), Spike Jonze se lance dans une bluette douce-amère dont l'amertume en fait le cousin certain d'un certain Eternal Sunshine. Dans un futur proche, un divorcé tout frais retrouve le goût à la vie en entretenant une liaison avec un programme informatique doué d'un intelligence artificielle évolutive. Prolongeant les thèmes de Electric Dreams ou de Simone, Jonze réussi d'une part à offrir une image étonnante du futur, entre confort, "hypsterisation" et chaleur glaciale, et de l'autre un poème bouleversant et lucide sur l'amour, son début, sa fin, et son après. Délesté de toute guimauve, jusqu'à devenir parfois réellement inquiétant (la séquence de la chatroom ou de la doublure) et rendant une nouvelle fois justice au talent fragile de Joaquin Phoenix (guidé par une Scarlett Johansson dématérialisée !). Tendre et profondément intelligent : une aubaine.

* Dans l'ombre de Mary: la promesse de Walt Disney, de John Lee Hancock : Une production Disney assez innatendue (et plutôt adulte qui plus est), dévoilant les rouages et la fabrication de Mary Poppins, agités par les mésententes entre l'auteur du livre, Pamela Travers, et Tonton Walt himself. Un joli film porté par les interpretations sans failles d'Emma Thompson en écrivaine brish revêche et un Tom Hanks accablant d'onctuosité. Si la structure parallèle s'autorise des passages en Australie à la portée mélo elephantesque, tout ce qui se déroule entre les murs du studio Disney donne lieu à une joute maligne et passionnante sur les échos et les angoisses dans le processus de la création artistique. Un très beau cadeau fait au film de Robert Stevenson, et c'est bien là l'essentiel.

* 300 : La naissance d'un empire, de Noam Murro / La légende d'Hercules, de Renny Harlin : Le temps d'un mois, le Peplum revient subitement à la mode, voyant se bousculer Pompei, un premier Hercules (son concurrent avec The Rock débarque cet été) et un second 300. Si revival il y a, on ne peut pas dire qu'il donne envie de prolonger l'expérience. Séquelle un peu tardive d'un hit dépassé, 300 Rise of an Empire n'égale évidemment pas l'essai de Snyder, mais ne se révèle pas aussi honteux que prévu. Son homo-érotisme involontaire, son esthétique chargée et artificielle, son gore framboise, ses barbus qui serrent les dents...la seule surprise notable concerne le traitement (certes grossier) des personnages féminins (Eva Green et Lena Headey), aussi sanguinaires et musclées que leurs homologues masculins.
Un spectacle passable mais exceptionnel en comparaison de La légende d'Hercules, qui a choisi de laisser au placard toute la saveur du mythe (exceptée la notion de demi-dieux et l'épisode du Lion de Nemée, lamentablement exécuté). Il n'en reste qu'une tragédie familiale (genre j'ai trop révisé mon Racine) et guerrière indéfendable, affichant sans complexe un Hercules sorti d'un porno gay. Ni beau (on dirait un téléfilm syfy), ni fun, ni violent (le label PG-13 frappe massivement), ni sexy mais risible et outrageusement niais. Une sacré honte.



* The Canyons, de Paul Schrader : Servant de tremplin au tandem Schrader/Bret Easton Ellis après la mort de leur projet Bait (un thriller avec des requins !), The Canyons semblait cristalliser parfaitement sur le papier toute la verve de l'écrivain sulfureux, dont les adaptations peinent souvent à retranscrire toute l'ampleur du modèle. De son côté, Schrader n'est plus le réalisateur inattendu et vénéneux de ses débuts,... Soap déviant réalisé pour une misère (merci le crowfunding), The Canyons manque de punch de la première à la dernière image, triste ballade dans un Hollywood exsangue, criant sa mort à chaque plan. Loin de l'énergie corrosive d'Ellis, le résultat ennui beaucoup. Il y a pourtant la reconversion du hardeur James Deen, un scène de partouze magnétique et une Lindsay Lohan rongée par ses excès. Suffisant pour fasciner un peu, mais trop bizarre car raté, et inversement.

* How I Live Now : Maintenant c'est ma vie, de Kevin Macdonald : Sans doute la plus belle surprise du mois mais aussi son film le plus mésestimé ! Une situation pas si paradoxale pour cette oeuvre hybride, qui ne représente en rien son affiche d'émo psychédélique. Jeune plante du cinéma résolument captivante, Saorse Ronan impose un personnage résolument antipathique (du moins aux premiers abords), jeune fille marginale, urbaine et asociale parachutée dans le cottage familial le temps d'un été. Puis le soleil perçant vient caresser la caméra, on s'amuse, on plonge, les premières amourettes arrivent : loin des douceurs, la troisième guerre explose, transformant un été de porcelaine en survival juvénile. Entre romantisme adolescent naïf, et pendant féminin à The Road, How I live now ne sait pas toujours à quel public s'adresser, le premier étant sans doute les affamés d'Hunger Games et autres Divergente. Sauf que cette radicalité (l'exploration éprouvante d'un charnier, l'agonie d'un gosse mitraillé), cette sensibilité et cette rugosité finissent par faire le prix de cette étrange aventure au goût de cendres. Très surprenant.


* Gerontophilia, de Bruce Labruce : De son titre jusqu'à son sujet (un adolescent se découvre gérontophile et accepte un job dans une maison de retraite), le nouveau film de Bruce Labruce semble respirer une volonté de provocation très habituelle de la part de son auteur. Mais après l'exploration de la sexualité des morts, cette sexualité là, nichée dans les rides et les corps fatigués, maquille sa subversion à travers une comédie romantique étonnement mainstream. Une volonté de LaBruce, qui dévoile une nouvelle facette de son travail : quelque chose de sensible, simple, lumineux. On est toutefois encore loin d'un choc comparable à celui d'Harold et Maude, dont le film offre un pendant homo plus "sexué". Sympathique.

* Wrong Cops, Quentin Dupieux : Bien décidé à conquérir les salles avec une promo délirante à souhait, ce nouvel opus de Dupieux, Monsieur "No-Reason", ne fait ni dans la dentelle, ni dans la nouveauté. Succession de sketchs gras, surréalistes et glauques tournés dans un numérique atroce (un flou artistique qui aurait mal tourné selon le concerné), Wrong Cops amuse quelque fois, mais ne dit pas grand chose : on reconnaît les renvoies à Lynch (présence express de Grace Zabriskie et Ray Wise) et à toute une culture du trash (Waters ou Tim & Eric, dont on retrouve l'un des larrons, le contre-emploi génial de Marilyn Manson), on entend bien du Mr Oizo à chaque plan, on gueule et on crève facilement...mais ça ne suffit pas. Espérons que Dupieux reverra sa copie pour la suite des événements...

Eastern Boys (2014) Robin Campillo : Les Hommes Blessés

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Avec la transformation de ses Revenants en série culte et enviée, on se demandait ce qu'était devenu Robin Campillo, auteur discret proche de Laurent Cantet, livrant ce Eastern Boys comme sortie d'une épaisse brume, pour ne pas dire comme un revenant. A la vue de l'affiche, il serait facile de le voir comme une réponse au phénomène de L'inconnu du lac ; ce qui n'empêche pas aux deux films de partager au moins deux aspects : montrer l'homosexualité sous un angle différent et audacieux, et faire autre chose avec le thriller français. La comparaison s'arrête là...

Eastern Boys pourrait être un conte ou une fable avec son découpage en chapitres (quatre en tout) : il sera plus que cela, et même davantage de ce qu'on pouvait en attendre. Lorsque tout débute avec cette scène de séduction à Gare de Nord entre Daniel, un quadra solitaire, et Marek ,un jeune immigré ukrainien, Campillo télescope une imagerie, un inconscient qui renvoie indubitablement à Chéreau et son Homme blessé, à Genet avec sa fascination du voyou et de l'étranger. Eastern Boys ne sera rien de tout ça, et abandonne les foudres de la passion sordide. D'un chapitre à l'autre, c'est un film qui ne veut pas être saisi, attendu, à la manière de la relation entre les deux personnages principaux, qui écrivent leur histoire à l'envers.


Il y a évidemment cette introduction en plongée, regard divin qui scrute Marek et ses compagnons, ballet bizarre et urbain, mais il y a surtout la scène suivante, une des plus terribles scènes d'intrusion vu à l'écran depuis Funny Games. Piégé, Daniel verra en effet un armada de vagabonds s'introduire sans son appartement, et le cambrioler. Malaise retentissant qui grandit à chaque vision d'objet volés, à chaque remarque, à chaque geste. Au delà de l'angoisse matérielle, il y a les mots du Boss, grand méchant du film et Peter Pan déglingué,  qui enlève les derniers restes de dignité du pauvre homme : Daniel se voit voler sa vie et sa jeunesse en l'espace d'une fête atroce, dont il sera pourtant indemne physiquement.

Campillo doit aimer les spectres, car Daniel en est un, du moins dans un premier temps : on ne sait rien de son travail ou de son passé, que l'on devine sur une poignée de photos, et ses intentions sont floues. Lorsque Marek reviendra le voir pour consommer leur deal, on ne sait pas quel plaisir il trouve dans cette étreinte d'une tristesse profonde. On ne sait pas, mais quelque chose d'autre se dessine : au fil des semaines, ce sont deux hommes qui reprennent vie, deux hommes qui vont se dépasser ; le quadra vide et l'immigré qu'on ne regarde pas.


Une romance ? Un thriller ? Campillo ne s'enferme nulle part, et il le fait bien, à quelques encablures d'un Audiard qui savait aussi faire basculer les genres. Campillo compose à son tour une oeuvre massive qui, quand elle gagne en légèreté en décrivant la tendresse dans l'intimité, devient ensuite un parcours du combattant. La dernière partie, un jeu de cache-cache à sa damner dans un hôtel, livre un suspens démentiel.
Autour de cette virtuosité, Campillo parle de l'homme, de ses rapports de domination, s'approprie l'actualité brûlante mais ne sombre jamais dans les pièges tendus : jamais racoleur, jamais lourd, jamais vulgaire ou complaisant, encore moins donneur de leçons. Un mélange de maîtrise totale et de transparence qui parachève le film français le plus étonnant du mois. Et sans doute de l'année...

Body Double (1984) Brian De Palma : L'oeil qui jouit

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Face à la parenthèse monstrueuse de Scarface, Body Double est au choix, un retour aux sources vers les obsessions hitchcockiennes de De Palma (initié par Sisters, Obsession, Pulsions et Blow Out) ou alors un conclusion à ces effusions (du moins à l'époque, puisque les affreux L'esprit de Cain, Femme Fatale et Passion prouveront le contraire). Dans les deux cas, De Palma décide à nouveau de composer un best-of en l'honneur de son papa spirituel, mais avec une énergie sexuelle et un humour qui détonne très largement vis à vis de ses thrillers antérieurs. Raison de plus de le trouver encore plus fascinant.


Générique de série z, vampire de pacotille et toiles peintes se dérobant : pendant une fraction de seconde, le spectateur semble s'être trompé de film. Tout est dit, des images parodiques au titre : l'illusion gouverne, et on sera les premiers à se faire avoir.
Il y a ce looser, Jake, (lointain cousin de Winslow Leach dans Phantom of the paradise sans doute), acteur cocufié, viré, malmené et abandonné, trouvant le salut par l'intermédiaire d'un ami acteur, qui lui lègue son appartement durant quelques jours. En plus d'offrir un toit luxueux, il lui laisse en guise de cerise sur la gâteau, un télescope voyeur pour mater la voisine, qui se laisser aller à un rituel érotique quotidien. Jake se rendra compte, évidemment, que la belle est menacée par une figure de cauchemar. En somme, un véritable "Fenêtre sur cul".


D'un Hitchcock voyeuriste (et donc, tout à fait dans ses cordes) De Palma rebondit sur Vertigo, remplaçant le vertige de James Stewart par la claustrophobie, mais n'oubliant pas non plus de caser une petite scène de douche. De Palma aime Hitchcock et il s'aime. Comme souvent, comme toujours.
Mais Body Double est aussi un film purement sexuel et capricieux, qui prolonge l'effet carré rose d'un certain Pulsions : De Palma devra s'abstenir d'inclure des scènes de sexes non simulées, mais ne se gène pas pour s'approprier l'image sulfureuse et superficielle d'Hollywood.

Film d'horreur au rabais ou porno à gogo, érotisme clinquant et néons, De Palma s'autorise une vulgarité réjouissante, proche du film érotique du dimanche soir (jusque dans la musique de Donnagio, leitmotiv sexy et lointain d'une sensualité indépassable). Les deux plus grandes scènes du film tournent d'ailleurs autour du cinéma pour adultes : il y a ces bandes-annonces savoureuses, qui révèlent une clef de l'intrigue, et ce tournage de film X barré sur fond de Frankie goes to holywood, où la générosité kitch de Phantom of the Paradise se mêle à un jeu de miroir et de fesses. Face à Deborah "Dallas" Shelton, fantasme de bourgeoise esseulée, Melanie Griffith (fille de Tippy Hedren : tout s'explique donc) se révèle atomique, alimentant le duo mortel blonde/brune cher à Vertigo ; l'une meurt, l'autre arrive.


Une vulgarité payante, souveraine, qui inspirera sans doute cette vague du thriller érotique (et surtout celle des Hollywood Night) et s'anime surtout en fuck-off made in De Palma. Derrière cette sensation grisante et cette virtuosité, on ne sait pas toujours où l'ironie commence, ou quand elle s'arrête : la filature interminable, ballade pervers pépère et le baiser qui s'ensuit, outrageusement mis en scène, en passant par cet hallucinant (et bizarrement maladroit) meurtre à la perceuse phallique ; De Palma superpose tant premier et second degré que le grotesque finit par l'écorcher. Et le rythme, trop inégal, annonce déjà un auteur un peu trop reposé sur ses acquis. Les agréables prémisses d'une chute...


L'exorciste 2 : L'Hérétique (1978) John Boorman : Résurgence

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Raz de marée satanique et grimaçant, L'exorciste devra subir la dure loi du marché en se voyant infliger une suite, il est vrai peu utile. Blatty et Friedkin abandonnent évidemment le navire, et la Warner se frotte les mains, jetant son dévolu sur John Boorman, à peine sorti d'un Zardoz improbable et excentrique. Un choix à la fois osé et curieux pour un homme fasciné par la nature et le mysticisme, et qui désapprouvait fortement la cruauté grand-guignolesque du premier film. Friedkin, de son côté, crachera ouvertement sur le film de son confrère. 1 partout...

Ce que Boorman perçoit dans le potentiel de cette séquelle semble échapper à tout le monde : entre les réécritures et les remontages de dernière minute, un film malade s'élève...et s'écrase. Un rejet unanime du public et de la critique, qui fera de L'hérétique une des suites les plus détestées de l'histoire du cinéma, se traînant au passage une réputation de nanar effroyable. Il faudra attendra 1991 pour qu'un troisième opus, Legion, tente de calmer les ardeurs : à nouveau démoli, le film sera cependant défendu puis réhabilité avec le temps. Ce qui n'est malheureusement pas le cas du film de Boorman...


La fatwa dont est victime L'hérétique tient à une raison relativement simple : il ne répond absolument pas aux attentes du public, berné par le studio il est vrai, celui-ci ayant tenté de survendre le film via une bande-annonce démentielle et très efficace, mais parfaitement mensongère. Là où Friedkin aiguisait sa radicalité avec un catalogue d'images chocs tenant du jamais vu, Boorman opte pour un voyage aux confins des légendes et de la mémoire qui ne cherche ni à effrayer, ni à provoquer. L'hérétique est une totale antithèse de son prédécesseur (malgré une fin très spectaculaire, évidemment imposée), suivant la logique d'un auteur bien décidé à ne pas répéter la même formule.

Ayant oubliée sa mésaventure, Regan est devenue une belle jeune fille, dont le refoulement va attirer le regard d'une psychiatre et d'un prêtre, le Père Lamont, qui tente d'en savoir plus sur le défunt Père Merrin. Il lui faudra aller jusqu'en Afrique, là où Merrin avait déjà rencontré le Malin -devenu ici Pazuzu, dieu des airs et des sauterelles - pour découvrir si la jeune fille n'est plus l'objet d'une menace diabolique.


 L'hérétique est évidemment une oeuvre boiteuse à bien des égards : trop long, parfois confus, pas toujours maîtrisé (Richard Burton, trop monolithique pour susciter l'attachement) mais regorgeant suffisamment d'éléments étranges et magiques pour en faire une oeuvre fascinante.
Comme ce croisement entre un univers à la fois psy et technologique, tribal et maléfique, où l'on passe de surfaces lisses, vitrées et chromées aux plaines arides de l'Afrique, où la caméra sillonne des décors séculaires, dont le côté toc renforcent l'irréalité.

Boorman se plaît à triturer science et religion, invite au rêve et au vertige. Il y a ces scènes d'hypnose (surtout la première) avec cette machine lancinante qui laisse la transe déborder de l'écran, cette fille damnée qui se laisse immoler par le feu, la vision de la maison de Regan assaillie par une nuée de sauterelles, ce possédé gesticulant dans une crevasse où les corps tombent à l'infini... À l'horreur brute et à l'effroi, Boorman préfère l'épique, le poétique, l'onirique.

Une richesse relevée par un incroyable score de Morricone - recyclant au passage son Adonai du Jardin des délices, où se mêle claquement de fouet et cris de possédés. En contraste avec cette hystérie satanique qui résume à elle seule toute la présence du mal, son lyrisme plus "fleur bleue" s'exprime aussi avec un vrai beau décalage.
Adulte, inspiré, étrange, beau, L'hérétique attend encore de sortir de sa honte. Un jour ou l'autre...

Le film sera visible au festival HALLUCINATIONS COLLECTIVES à Lyon, à l'occasion d'une carte blanche à Pascal Laugier, le SAMEDI 19 AVRIL.


LE BONUS : 

* Dominion - Prequel to the Exorcist (2005) Paul Schrader: Bis repetita ? Presque...
Cas rarissime dans l'histoire des attentats hollywoodiens, Dominion fut la première monture de L'exorciste 4, prequelle revenant sur le parcours du Père Merrin en Afrique. Après la mort d'un John Frankenheimer initialement prévu, Paul Schrader vient irriguer ses obsessions (culpabilités, crise de foi, et on en passe) dans un film massivement rejeté par le studio. À la manière de Boorman, Schrader refuse de donner ce que la production et le public attendent : une oeuvre graphique, spectaculaire et profondément horrifique. Balancé à l'oubliette, sa version sortira en catimini bien plus tard (mais reste inédite en France), à l'ombre du film officiel : la Warner demanda ainsi à Renny Harlin de réaliser son Exorcist 4à lui, livrant le résultat que l'on connaît, à savoir une grosse pantalonnade cradingue. Bien que techniquement inachevé (fx, photographie...ce n'est pas resplendissant), Dominion est une oeuvre sobre et atypique, où la figure triviale du mal retrouve grâce dans un versant inattendu de la possession, où la beauté et la pureté se manifestent sous un jour inquiétant. Une vraie curiosité, à défaut d'être une grande suite.

Tom à la ferme (2013) Xavier Dolan : Le malheur est dans le pré

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Tout concourrait, bien avant sa vision définitive, à faire déjà de Tom à la Ferme un détour fascinant pour la carrière de Xavier Dolan : abandon du drame sentimental, scénario adapté d'une pièce de théâtre, affiches inquiétantes et bande-annonce tranchante comme une lame. Excitant, bizarre...

Se remettant à nouveau en scène, Xavier Dolan débarque en hipster blond, citadin de cuir qui s'avance sur des routes campagnardes infinies. Une lettre écrite à la hâte mais qui ne sera jamais lu, une voix qui s'élève au dessus d'un no man's land rural, des horizons bouchés et des champs qui n'ont plus rien à dire : dès le début, Tom à la Ferme nous met déjà par terre, délaissant l'énergie pop pour une virée mélancolique et anxiogène au rythme pesant. Son auteur a changé d'air...


Venu expressément pour les funérailles de son amant (dont on ne connaîtra jamais les causes de la mort), Tom découvre au dernier moment que son existence, ainsi que celle de l'homosexualité du défunt, sont inconnues aux yeux de la mère endeuillée. Le garçon un peu perdu apprendra à ses dépends qu'elle est entretenue dans le mensonge par son second fils, un grand gaillard viril qui ne tarde pas placer une lourde épée de Damoclès au dessus de Tom. Du secret au chantage, le jeune homme est bientôt retenu par la famille, qui trouve là un moyen de substitution pour remplacer le mort. La santé mental du prisonnier ne va, évidemment, pas tarder à vaciller...


Parce qu'il savait élever la gravité des sentiments par un lyrisme et une légèreté enivrante, Dolan surprend davantage avec une rudesse qu'on lui connaissait pas, voisinant avec Haneke dans sa manière de faire surgir le malaise dans le quotidien et avec Polanski (période Jeune fille avec la mort) dans la description d'une inexorable descente aux enfers. Mais sa patte subsiste à chaque seconde, des éclats de styles (les scènes d'agression où le format du film bascule et se ressert dans un scope étouffant) en passant par une b.o hétéroclite et soignée (dominée d'ailleurs par une partition "Herrmanniene" de Gabriel Yared), son goût pour les ralentis ou les personnages de mère borderline.


A la fois casse-gueule mais terrifiante, la trajectoire de Tom, qui a mille occasion de quitter son enfer, est laminée par la culpabilité du deuil et son amour pour l'être perdu, qui le poussera à revenir sur ses pas et à accepter son sort. En résulte un thriller boueux auscultant un authentique syndrome de Stockholm, ballet sado-masochiste où le bourreau et la victime se cherchent, mais ont en réalité besoin de l'un et de l'autre. Dans les dernières images, le doute se faufile : déchirement ou soulagement ?



LE BONUS : 

* College Boy - Indochine :
Les échos d'une chanson d'Indochine, entendue dans Les amours imaginaires, sera assez fort pour parvenir aux oreilles de Nicolas Sirkis, qui donnera carte blanche au jeune prodigue pour le clip de College Boy, une des meilleures chansons de leur dernier album. Reçu dans un tonnerre d'applaudissements et de protestations, College Boy est une fable ultra-violence sur le bullying (plus particulièrement homophobe) qui n'hésite pas à crucifier au sens propre et figuré la tête de turc d'un établissement scolaire. Au delà de la Dolan touch', l'irruption d'une violence gore, gonflée et judicieusement jusqu'au-boutiste, finit de rendre l'objet aussi fou que capital. Le CSA appréciera bien moins ses débordements, visant pourtant à appuyer là où ça fait mal. Dans cette vision de la terrible acception de la violence, on aperçoit plus clairement la transition du Dolan Pop au Dolan Dark de Tom à la ferme.

Cin'Express #8 - Avril 2014

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* The best offer, de Giuseppe Tornatore : De son personnage froid et asocial, à la précision envoûtante du style, tout porte à croire que The Best offer est un étrange succédané du cinéma de Paolo Sorrentino, qui aurait sans doute été charmé par une telle offre. Tornatore prend tout de même son envol, loin de la flamboyante pittoresque de son compatriote, pour une curieuse romance entre un commissaire priseur pincé et une mystérieuse héritière agoraphobe. Puzzle bizarre, fable improbable mais aussi thriller romantique à la tristesse saisissante, où la (belle) musique de Morricone caresse les contrefaçons de l'art et les contrefaçons du coeur. Une belle surprise.


States of Grace, de Destin Cretton : Nanti d'une promo confortable, States of Grace n'est pas ce qu'on peut considérer comme une bombe du ciné indé. Mais au moins un joli film. Belle pièce dans le CV de Brie Larson, qui tient 90% du film sur ses épaules, States of Grace tente une approche accessible et claire d'un sujet assez difficile, à savoir la maltraitante enfantine et adolescente. A la tête d'un foyers d'enfants égarés et écorchés vif, la courageuse Grace devra apprendre également à affronter ses propres démons, qui se révèlent au spectateur une scène après l'autre. Le film ne vise pas l'effet coup de poing d'un Polisse, et en reste au stade d'une oeuvre convenue mais agissant avec finesse. Et c'est déjà pas mal.


* Les amants électriques, de Bill Plympton : Plus posé, plus poétique : le nouveau Plympton (celui de l'après Mutants de l'espace) est clairement synonyme d'évolution, de maturité...et avouons le, de frustration. D'un canevas classique (l'amour d'un couple saccagé par un quiproquo), Plympton se laisse aller à tous les délires imaginables, faisant d'une partie d'auto-tamponneuse un film d'action à part entière et du coup de foudre, un catalogue d'illustrations sérieusement allumées. Mais le bonhomme, moins méchant, moins trash et moins inspiré qu'à l'accoutumée, livre un exercice de style soigné, mais bien inférieur à son Impitoyable lune de miel, son autre conte d'amour et de folie ordinaire.

* La crème de la crème, de Kim Chapiron ; Pas assez trash pour se réclamer d'Easton Ellis (même si on pense fort aux Lois de l'attraction pour sa description sans fards du milieu universitaire), La crème de la crème surprend ailleurs, en faisant sans doute ce qu'on a vu de mieux en teen movie français depuis Les beaux gosses. Derrière le prétexte de la légende urbaine sexy (un réseau de prostitution établi par trois étudiants en école de commerce), Chapiron scrute tranquillement les âmes qui se cherchent et s'abîment, reflet d'une certaine génération Y, qui palpite derrière le cynisme et la cruauté apparente. Si le casting fait mouche, l’ambiguïté du propos ne pardonne pas, cherchant surtout à flatter une partie du public masculin (toutes des putes ?). Du moins, on ne l'espère pas.


* 3x3D, de Peter Greenaway, Edgar Peras, Jean Luc Godard : OVNI présenté au catimini présente au festival de Cannes de l'an passé, 3x3D avait visiblement de bonnes raisons de s'affirmer dans la discrétion, par honte peut-être. L'idée de consumer le mariage fou (mais pas inintéressant) entre le cinéma d'auteur et la 3D devient le point d'orgue de petit film omnibus (1h à peine) qui va donc offrir trois propositions expérimentales. Le bal est ouvert avec grâce par Greenaway, qui offre une sorte d'animation ludique du passé historique de la ville de Guimares, exaltant des procédés dont il a les secrets (profusions de détails, surgissements de mots et de vignettes, nombreux figurants...). On a peine à imaginer ses prochains films en 2D tant le résultat est somptueux et flatteur, en faisant une des meilleures pub pour la 3D depuis Gravity. En ce qui concerne la suite, mieux vaut s'enfuir si vous en avez l'occasion. Soucieux (vraiment ?) d'offrir un spectacle délirant et interactif sur le média du cinéma via le rapport du spectateur à l'image, Edgar Peras livre un obscur sketch non sensique et par la même occasion, le moment le plus embarrassant de cette année filmique. Que dire également de Godard avec Les trois désastres, prémisse de son prochain rejeton, où`une voix off déblatère des propos incompréhensibles sur un montage de stock shots interminable. Sinistre et prétentieux, à l'image de son auteur.

Aux yeux des vivants (2014) Alexandre Bustillo & Julien Maury : (Don't) Stand by me

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Home invasion crasseux et manoir breton hanté : le parcours filmique du tandem Bustillo/Maury a tendance a réellement fasciner, à défaut de convaincre totalement. Mais leur courage et leur volonté sont tonifiantes dans le sillage du cinéma de genre français : preuve en est ce troisième long-métrage, financé vaille que vaille via du crowdfunding et proposant, du moins sur la papier, une nouvelle aventure horrifique exaltante. Mais la beauté de l'intention, une fois de plus, ne trouve pas d'égal dans le résultat final.


Il faut avouer que Livide avait déjà beaucoup déçu, malgré un visuel particulièrement soigné ; on pensait la leçon retenue, en particulier tout ce qui concernait l'écriture et la direction d'acteurs (qui, et ce n'est pas une révélation, est un gros problème dans le cinéma de genre français). Aux yeux des vivants a donc pris notes...mais pas autant qu'on puisse l'espérer. Ce que traduit alors les toutes premières minutes du film, voulues comme une entrée en matière dégénérée et malsaine, mais accumule les lourdeurs : une plastique peu emballante (malgré le Scope, qui sera bien mieux mis en valeur par la suite), des coups de coude aux films précédents du tandem (enceinte jusqu'aux dents, Beatrice Dalle tente de réduire sa famille en bouillie une nuit d'Halloween...), des dialogues maladroits, une interprétation en demi-teinte, de la surenchère mal dosée...dur dur.


Lorsque le véritable récit (trois gosses font l'école buissonnière et se retrouvent piégés par un boogeyman ayant élu domicile dans des studios de cinéma abandonnés) décolle, la réalisation respire davantage. L'autre soucis va se situer ailleurs : Aux yeux des vivants est une oeuvre certes française, mais faisant constamment de l'oeil de l'autre côté de l'Atlantique. Alors qu'A l'intérieur et Livide s'en passaient admirablement (ou du moins, avec plus de discrétion), Aux yeux des vivants est un film se reposant sur un fan service certes louable, mais très vite asphyxiant : on passe du Stephen King de IT et de Stand By me, à Rob Zombie, en passant par Tobe Hooper (Massacre dans le train fantôme est une grosse référence avouée) jusqu'aux films de la Amblin. Noyés dans les clins d'oeil, le film perd en âme et en sympathie, déjà accablé par un manque de moyen évident.


Mais cela en fait-il une oeuvre honteuse ? Pas vraiment...
On reconnaît bien la patte du tandem Bustillo/Maury dans l'esthétique radicale et parfois nauséeuse de la violence, évoquant efficacement le bis italien ; et la seconde partie, versant une fois de plus dans le home-invasion (à croire que c'est une constante chez eux !), distille une atmosphère et une tension assez redoutables. Chapeau bas également pour le grand méchant, très "barkerien" et réellement perturbant, bien qu'on ne puisse s'empêcher de penser à une variante du monstrueux Giorgio de Castle Freak.
Des fulgurances gâchées par une écriture souvent défaillante, alors que le métrage commence à s'extraire doucement de son piège référentiel... À une heure où le cinéma d'horreur s'essouffle, il n'est donc pas sûr que le cinéma d'horreur hexagonal redresse la barre...du moins on aimerait bien le penser un jour.

Maps to the Stars (2014) David Cronenberg : Hollywood Babylone

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Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
j'écris ton nom
Liberté...
On ne saurait dire si Cronenberg reviendra au genre qui a fait sa gloire, l'horreur, en particulier depuis sa "canonisation" auprès d'un certain public (qui aujourd'hui, lui assure sa petite place à Cannes, comme cette année). Mais l'horreur humaine, sociale, celle qui germe dans la peau et dans les cerveaux, sera toujours là, quoique le sujet qu'il aborde. Qualitativement parlant, sa carrière ne suit plus, mais la cohérence thématique demeure. Et c'est déjà ça...

Après une escalade chez les mafieux, un petit tour sur les divans de Freud et Jung et après avoir squatté l'arrière d'une limousine qui n'allait nulle part, Cronenberg fait foncer son bolide de chair sur Hollywood : difficile de faire plus clair que l'affiche du film, où un feu gourmand dévore les collines les plus célèbres des States. Cronenberg aurait-il des comptes à régler ? Au vu d'un résultat aussi méchant, on se pose sérieusement la question...


Grain de sable fatal dans la machine à rêve, Agathe, petite silhouette brûlée, est venue à Hollywood pour retrouver sa famille - qui ne veut plus entendre parler d'elle - et se glisser entre les étoiles mortes. Elle devient ainsi l'assistance (comprendre l'esclave) d'une star capricieuse et névrosée, Havana, qui tente de décrocher le rôle de sa propre mère au cinéma, starlette tragique qui l'a hante encore. Mais il y a aussi le frère d'Agathe, un enfant star ordurier en pleine desintox ; Jérôme, un chauffeur qui tente à tout prix de réaliser ses rêves, ou encore le gourou new-age d'Havana, dont les méthodes rappellent beaucoup celles du Dr Raglan dans Chromosome 3.

Cronenberg est toujours Cronenberg. Même sans mutants, sans transformation ou sans virus, ses obsessions demeurent. Elles s'incarnent dans le personnage d'Agathe, la brûlée souriante, dont les intentions inquiètent autant qu'elles fascinent : quelque chose qui nous échappe, nous émeut, nous dérange. Pudique et inattendue, Mia Warsikowa brille dans la bizarrerie, et s'impose (comme elle l'avait fait dans Stoker) comme la nouvelle Jennifer Jason Leigh. Face à elle, vulgaire et ravagée, osant jusqu'à l'impensable (la discussion sur les W.C, ou sa célébration enjouée de la mort d'un gosse !), Julianne Moore tape avec jubilation dans le glamour pourrissant.


A bien des égards, Maps to the stars est ce que aurait du être The Canyons, qui nous chantait la même chanson à coups de célébrités déglinguées et de partouzes nocturnes : tout fonctionne bien mieux chez Cronenberg, entouré d'un solide casting et dopé par une méchanceté assez acérée pour donner l'impression qu'on regarde parfois un film de Todd Solontz. Et quand ce qu'il y a de plus beau cache en réalité ce qu'il y a de plus sale, quand les noms et les insanités défilent, l'esprit de Bret Easton Ellis n'est jamais très loin.


Cronenberg rase tout Hollwyood et s'en amuse : l'usine à rêve est une usine à freaks incestueux et à hypocrites, dont les sourires sont grignotés par le botox et la drogue. Les morts eux-mêmes, lors de séquences ouvertement fantastiques, se chargent d'avertir les vivants, prémisse d'une chute à venir. Chez Cronenberg, tout finira fatalement dans le sang : tout ce joli monde brûlera et s'éteindra dans la nuit, comme si rien n'était. Entre poésie et vitriol, Maps to the Stars ressuscite surtout l'esprit d'Hollywood Babylone, le pavé génial de Kenneth Anger qui dévoilait le stupre et la débauche du monde des stars, derrière les images lisses et merveilleuses d'un monde trop parfait. On attendait pas vraiment Cronenberg par ici : sauf que cette fois, on peut le féliciter de sa visite guidée.

Cin'Express #9 - Mai 2014

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* Godzilla, Gareth Edwards : A la manière de Neil Blomkamp avec Elysium, Gareth Edwards se voit offrir un très généreux deuxième essai après son remarqué Monsters et pas des moindres, puisqu'il aura la tâche de ressusciter le monstre le plus célèbre de la planète. Une nouvelle résurrection espérée pour le Kaiju Eiga, déjà bien aidé par Pacific Rim. Moins fantaisiste d'ailleurs, plus sombre et plus carré, ce nouveau Godzilla est aussi une belle déception, bien que loin d'être un mauvais film. Relégué par des personnages humains fadasses (pater militaire solide comme un roc, infirmière qui pleure, gamin joufflu, scientifique monolithique et vieux qui chouine) et ses ennemis (au design assez laborieux), ce bon gros Godzilla (ou Casimir, on ne sait plus trop) se contente de traverser comme une ombre son propre film pour ensuite intervenir dans la toute dernière partie, histoire de justifier l'attente. Une approche déceptive et fade sauvée in extremis par une réalisation spielbergienne en diable, livrant des tableaux saisissants convoquant à la fois fureur et mystère. Espérons qu'Edwards n'aura pas le verre d'eau à moitié vide pour le Star Wars venant de tomber entre ses mains...

* The Homesman, Tommy Lee Jones : Si cette nouvelle percée dans le Western est aussi passionnante, c'est sans nul doute que Jones a autre chose à faire que d'imiter les archétypes habituels du Western. Un vrai/faux Western d'ailleurs, et sans doute le plus bizarre et le plus fascinant vu à Hollywood depuis Les proies, qui décortiquait maladivement les rapports hommes/femmes. Sauvant un vieux grigou de la pendaison, une vieille fille sollicite son aide pour le transports de trois femmes devenues démente à travers le désert. Original à coup sûr, inattendu aussi : l'absence de concession (tout comme dans Trois enterrements) confine à des scènes parfois infiniment dérangeantes, souvent belles, et prolonge le goût de Jones pour une poésie désespérée et funèbre (un blue hotel brûlant dans la nuit étoilée, un tombeau profané...). Un goût de poussière, d'abandon, de mort, qui vise le coeur et au delà, jusque dans les ruptures de tons amenées par le personnage de Jones himself. Renversant.

* Deux jours, une nuit, de Jean-Pierre & Luc Dardenne :Le trio gagnant Dardenne frères + Cottillard semblait sourire au destin de ce Deux jours une nuit, qui rentrera finalement bredouille (en même temps, après deux palmes d'or, on peut comprendre hein...). S'accordant toujours à une mise en scène limpide, quasi-documentaire, les deux frangins trimballent la carcasse de Sandra, mère de famille sous Xanax, qui tente de convaincre ses collèges de voter contre son licenciement, alors qu'ils se voient tous offrir une coquette prime. Un suspens étonnant, poignant, sans chichi ni misérabilisme caricatural, là où un tel sujet n'attendait que ça. Cette valse de prolétaires canalise à merveille sa tension, jusque dans une direction d'acteurs saisissante. Comme Sandra, souriant douloureusement dans les échos lointains d'une chanson de Petula Clark, on finit par comprendre que tout est possible au bord du gouffre. Et c'est beau.

* Au nom du fils, de Vincent Lanoo : La vie est un long headshot tranquille, et apparemment c'est l'idée générale de ce très surprenant vigilante féminin, chrétien et belge ! Quand une grenouille de bénitier pressée de sauver les brebis égarées sur sa station de radio catho (Astrid Whettnall, parfaite) voit sa vie basculer suite à la mort violente de son mari et de son fils dans des circonstances tragiques, la prière ne réconforte plus. Se retrouvant en possession d'une liste d'hommes de foi ayant été suspectés de pédophilie, elle entame une quête vengeresse dans l'espoir de venger l'âme de son chérubin. Totalement fou, presque impensable, et drôle aussi quelque part : ce qui explique que Lannoo vogue entre la farce façon rire jaune, et le drame corsé. Une hybridité qui échappera à beaucoup, mais qui entretient la saveur de cette "justicière dans l'église". On peut cependant être moins convaincu par l'épilogue, un poil trop obscur.

* L'armée du salut, de Abdellah Taia: Adaptant sa propre autobiographie, Abdellah Taia reformule un geste beau et courageux, revenant sur ses propres traces dans une douleur silencieuse. Il se revoit, adolescent discret, qui sillonne les rues de son village, aimant des hommes de passages, sans qu'on sache où se trouve le plaisir et la contrainte. Et ce rapport ambivalent, passionné, interdit, avec sa famille. L'approche est pudique sous tous les fronts, intrigue dans ses zones d'ombres mais perd aussi son spectateur par sa froideur. Mais son exploration d'un tabou, son regard sur la dérive, a le mérite de se poser là.

* Maléfique, de Robert Stromberg : A la fois remake, nouvelle interprétation et spin-off de La belle au bois dormant, Maléfique part d'un principe déjà tué dans l'oeuf à sa naissance : comment Disney pourrait donner le premier rôle à un personnage malfaisant ? La réponse ne se fait pas attendre : Maléfique n'a de "maléfique" que son nom. Si Angelina Jolie n'a plus rien à prouver côté charisme, le résultat est un contresens monstrueux au conte original, humanisant jusqu'à la nausée une des plus fascinantes méchantes de l'histoire de Disney. Elfe bienveillante (mais avec un vilain nom quand même) qui n'a été méchante que deux secondes dans sa vie, la brave dame en noir deviendra la bonne fée de sa victime, la toujours aussi niaise Aurore (Elle Fanning, inconsistante). Et puisqu'il faudra trouver un vrai méchant, on y place Sharlto Coopley, qui était déjà l'insupportable bad guy d'Elysium. Vient s'y greffer un prince charmant échappé des One Direction, des fées débiles et un Sam Riley décoratif, uniquement là pour faire couiner les petites goth. Que reste t-il de tout ça ? Le visuel, soigné mais impersonnel (croisant la Pandora d'Avatar et la patte heroic-fantasy de Blanche Neige et le chasseur) , et la reprise de Once Upon a Dream de Lana Del Rey qui dépasse en lyrisme, en trouble et en noirceur, tout ce qui vient de précéder.

Alleluia (2014) Fabrice Du Welz : L’obscénité et la fureur

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Mauvais cauchemar sans fin, croisement improbable et tordu entre Massacre à la tronçonneuse, Strip Teaseet Fluide Glacial,Calvaire avait été une sacré surprise en son temps, révélant un auteur mordant, esthète dérangé et incommodant. Si Vinyan semblait être un détour (tout aussi marquant par ailleurs), c'était sans doute pour mieux retrouver les terres déjà foulées dans Calvaire. L'histoire a beau déjà avoir été raconté plus d'une fois au cinéma, la verve de Welz se charge de remettre les pendules à l'heure.

Et cette histoire (vraie), c'est celle des "honeymoon killers" Raymond Fernandez et Martha Beck, qui avaient ensorcelé le cinéma de la fin des sixties avec une oeuvre rugueuse et cruelle qu'on devait à Leonard Kastle. À l'origine, il y avait ce fait divers sordide liant un escroc et une mère mal dans sa peau, qui arnaquaient les femmes seules pour ensuite les assassiner. Et pas toujours dans le bon ordre...
En 96, Arthur Ripstein en offrait le versant mexicain et (très) romantique avec un Carmin Profond parfois hanté par le spectre de Bunuel.  À sa manière, Alleluia semble réconcilier les deux approches en un chant malade et amoureux. 


Chez Welz, on change d'époque et de noms : Gloria est une mère seule, plutôt timide, qui se voit pousser à prendre un rendez-vous galant par le biais d'un site de rencontre. Elle fait la connaissance de Michel, un vendeur de chaussures mûre et séduisant, qui lui redonne goût à la vie. Mais après avoir emprunté de l'argent, Michel disparaît et ne revient plus.
Quand l'amante esseulée le retrouve, elle découvre qu'il séduit des femmes pour ensuite les dépouiller sous des prétextes fallacieux : elle ne démord pas et lui demande de l'assister dans sa tâche immorale. Mais le syndrome de l'amour va révéler une autre facette de Gloria...

Une poignée de chapitres regroupe toutes les victimes féminines du métrage, Gloria incluse : Alléluiaest un conte poisseux et dégénéré comme l'était Calvaire, prolongeant ce que Welz a nommé sa "trilogie des Ardennes". Dans cette banalité déconcertante tirant vers le grotesque, dans la bizarrerie assumée et l’apprêté, Alleluia retrouve la liberté et l'âme d'un certain cinéma européen (pour ne pas dire français) des seventies, celui dont on savourait les virages brutales, les maladresses et les vices.


Dévorées du début à la fin par une pellicule granuleuse et expressionniste, les deux têtes d'affiche y sont pour beaucoup dans l'entreprise, deux choix risqués alors, mais éloquents : Laurent Lucas d'abord (de plus en plus rare d'ailleurs), dont on avait oublié la nature inquiétante, ici pleinement explorée par Welz. À total contre emploi de son rôle de Tintin martyr dansCalvaire, il brille dans les ténèbres, séducteur pervers au sourire de démon, sorcier du dimanche aux intentions impénétrables. De l'autre côté, la almodovardienne Lola Duenas, ogresse frustrée qui se consume d'amour et de jalousie, s'offre dans la folie la plus complète, tour à tour rayonnante et bouillonnante. Et on ne l'avait jamais vu comme ça.


D'une escapade d'amants criminels se voulant linéaire, Welz en tire une nouvelle vision déglinguée de l'amour (comme c'était le cas dans Calvaire et Vinyan) mêlant frontalité et humour noir, toujours dans cette frontière entre le rire jaune et le malaise le plus total (les scènes de sexe pas piquées des vers), le tout traversé de choix inattendus allant d'une séquence de transe hallucinante et onirique, à l'irruption d'une scène musicale débouchant sur du gore craspec. Il y a un gout de la provocation (jamais gratuite) qui stimule et bouscule, toujours à deux doigts du rejet. Quelque chose de l'ordre de l’obscénité et de la fureur. Quelque chose qu'on croyait avoir perdu dans le cinéma de genre francophone : Alleluia ? Oui, Alleluia !

Under the Skin (2014) Jonathan Glazer : Nouvelle Chair

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Au royaume des faiseurs d'image, Jonathan Glazer est un garçon plus discret que ses comparses comme Tarsem Singh, Michel Gondry ou Mark Romanek, En effet, on se garde bien de cerner le lien tenu entre le polar « guyritchien »Sexy Beast et le drame trouble Birth, que plusieurs années séparent. Avec Under theSkin, l'écart ne cesse de se creuser, et interpelle, non sans intérêt. De la même manière que ses deux précédents films étaient marqués par le sigle d'un genre précis dont il tentait de s'extirper par l'insolite, Under the Skin est un film de SF...qui n'en ai pas réellement.

Cette fois, il est question d'un livre à l'origine : un œuvre du même nom, signée Michel Faber, qu'on proposa à Glazer il y a des années de cela. Une longue mutation s'est opérée entre-temps, et Glazer a pris ses libertés vis à vis du modèle. La promo ne trompe en rien le spectateur : Under the Skin est un film profondément « autre », malsain même, qui se pare d'un speech proche de La Mutante pour mieux s'en aller autre part.


Quelque part en Écosse, une brune sans nom fait son apparition sur les routes, remplissant une mission énigmatique : à bord d'une camionnette, elle séduit les hommes de passage et les amène vers une mort certaine, dans des éclairs d'effrois dont on ne sait s'ils sont métaphoriques ou réels. Dans l'obscurité, les corps s'engloutissent, séduis par la silhouette de la créature, qui recommence dès qu'elle peut. Derrière elle, des motards bossus s'efforcent de faire disparaître tous soupçons.

Déglamourisée et recolorée, Scarlett Johansson s'impose un sacré tournant artistique, faisant de son corps généreux et de ses immenses yeux une arme, un habit et un mystère. Dans sa banalité, elle y atteint une étrangeté qu'on ne connaissait pas chez elle : une banalité bizarre, une sensualité à la fois accessible et obscure ; quoi de mieux pour souligner la nature purement extra-terrestre de son personnage.
Le temps n'est pas à l'explication  : Glazer balance ses images, somptueuses et organiques, à la face du spectateur avec un mélange de contemplation et de radicalité qui éblouit autant qu'il dérange. Comme cette virée traumatisante à la mer, où la belle voit la mort frapper, imperturbable, et la dérive de ses victimes, plongées à jamais dans un monde de silence.


Au risque de voisiner avec une serie B soucieuse de son bodycount, Glazer rend sa liberté à son héroïne qui, dépossédée de sa mission, tente d'apprivoiser ce corps qui ne lui appartient pas, traversant la campagne écossaise comme autant de paysages mentaux démentiels (brouillard aveuglant, ruines, forêt noire...). Si d'extra-terrestre il est question, il y a quelque chose de l'ordre de l’androïde chez cet être, aussi bien dans son absence d'émotion que dans l'idée d'un processus qu'elle tente d'apprivoiser : dans les premières images, ce n'est pas le cosmos qu'on croit cerner, mais la création d'une forme, la naissance d'un œil, une nouvelle chair. Ou plutôt d'une nouvelle peau.

Manteau de fourrure caressant les nuits frémissantes, semant mort et désir sur son chemin, plus ou moins malgré elle : le destin de cette brune venue d'ailleurs évoque irrésistiblement celui de Marilyn Chambers dans Rage, où Cronenberg abordait déjà sensualité, horreur et corps étranger. Il y du Gandrieux et du Lynch dans l'abstraction et la bizarrerie, et même du Lars Von Trier dans la fascination pour la nature, la femme et ce petit goût de cinéma vérité (les rencontres entre Scarlett Johansson et ses proies étaient improvisées et filmées en caméra caché !). Des échos qui ne dévorent en rien les intentions de ce joyau déroutant, qui vous hante comme un mauvais rêve.

L'homme qui venait d'ailleurs (1976) Nicolas Roeg : Loving the Alien

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Dans les années 50, on comprit avec Elvis à quel point le Septième Art pouvait jouer un rôle clef dans la carrière d'un chanteur : il pouvait servir d'objet promotionnel, mais surtout prolongeait et creusait l'aura du personnage. Rentabilité, surenchère, exploitation. Tout est là, au service du fan, comme de l'artiste. David Bowie, qui s'était bâti un personnage puissant, glamour et ambigu, n'y échappera pas. Alors que Roger Daltrey flirte avec Ken Russell pour Tommy, Roeg invite Bowie à devenir son homme venue d'ailleurs : un exercice déjà expérimenté sur Mick Jagger dans Performance, où il parachevait l'image décadente du chanteur dans une oeuvre mutante et décalée.


Roeg détenait une liberté bien de son temps, ce qui explique sans doute pourquoi son cinéma a pris autant du plomb dans l'aile, mais reste désespérément fascinant. Ses films empruntent la forme d'un puzzle éparpillé puis recollé sauvagement, faisant de leur irrégularité un style à double tranchant. Roeg est un homme du montage et de ruptures, un esthète un peu brusque, s'exprimant dans des parallèles incessant et les bandes-son hétéroclites. Tout cela était sans doute idéal pour l'alien Bowie, dont le personnage reste cependant bien moins extravagant que son Ziggy Stardust.

Parachuté sur notre terre, un extra-terrestre dissimulé sous le nom de Thomas Jerome Newton, y fait fortune dans l'espoir de pouvoir repartir sur sa planète d'origine et ramener de l'eau à sa famille. Noble quête, évidemment menacée par la trop grande curiosité des humains : soit une odyssée menée par un Ulysse paumé et androgyne, qui ne reverra jamais sa Pénélope...
Une intrigue offerte toute entière à Bowie, même si Roeg ne délaisse pas les ramifications de son intrigue, quitte à ennuyer souvent. Dès qu'il pose sa caméra sur l'acteur/chanteur, c'est tout autre chose : de ses cheveux roux éclatants à ses yeux vairons : le réalisateur n'en perd pas une miette.


Paradoxe ultime; Bowie ne verra cependant pas son talent musical mis en avant : les bribes de la b.o confectionnée par ses soins sont rejetées, alors que le personnage peine à élever la voix dans la seule séquence où il est censé chanter ! Clin d'oeil définitif : l'idée de ce single mystérieux qui sert de S.O.S au personnage de Thomas, mais que le spectateur se contentera d'imaginer...

Une star "alienisée" au centre d'une oeuvre singulière et hors-normes : le rapprochement avec le récent Under the Skin est assez inévitable. Les deux films ne partagent certes pas le même ton, mais s'unissent sur un point : ce qui intéresse Roeg, autant que Glazer, c'est cette relation alien/humain, et toute la connotation sexuelle qui va avec. Ce rapport complexe à un nouveau rite, à l'autre, au corps et fatalement, à la chair.


Véritable leitmotiv dans l'oeuvre de Roeg, les scènes de sexe sont toujours l'occasion pour l'auteur de déraper en douceur, réhabilitant une sexualité crue mais accessible, très 70's certes, mais toujours captivante. C'est sans doute ce qui passionne le plus dans le film, et plus particulièrement tout ce qui concerne les personnages de Thomas et de Mary-Lou (incarnée par une Candy Clark étonnante, femme-enfant sortie d'un film des années 50), une jeune femme alcoolique qui deviendra sa nouvelle compagne. 

Il faut voir la tendresse avec laquelle ils découvrent leur corps, se rejettent (Bowie s'offre à sa compagne sous sa forme d'alien dans une séquence outrageusement belle et dérangeante où le héros se remémore ses accouplements extra-terrestres, véritables ballets spermatiques), se disputent (altercation conjugale sur fond de Roy Orbison) ou s'en amusent (un gunfight pour rire donne lieu à une scène hallucinante) pour mesurer à quel point Roeg était avant tout obnubiler par "ça". Cette sensualité bizarre, et cette tristesse, la même qui parcourt le destin des héros dépassés de Roeg, font encore de L'homme qui venait d’ailleurs un OVNI au sens propre, comme au figuré.


Cin'Express #10 - Juin 2014

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* Tristesse club, de Vincent Mariette :
Des funérailles au fin fond de la campagne deviennent le prétexte d'un jeu de cache-cache drôle et inquiétant, un peu comme si une comédie à la Blier se retrouvait subitement hantée par Polanski. Dominé par deux faux-frères ennemis ( Laurent Laffite et Vincent Macaigne, exceptionnels) flanqués d'une demi-sœur sortie de nulle part, le résultat détonne très largement dans le petit monde la comédie française, trouvant le parfait équilibre entre l'inquiétant et le truculent (contrairement à l'imbitable Tip Top), entre quelque chose de populaire et d'arty. De superbes images au cordeau, une b.o hypnotique et une mélancolie jamais toc, qui frappe là où on l'attendait plus. Une excellente surprise.

* Aux mains des hommes, de Katrin Gebbe : Avec un goût pour le fait divers sordide proche d'Urich Sedl (mais sans la distanciation froide), Tore Tanzt fait fort. Peut-être un peu trop sans doute. Son sensationnalisme écœurant (plutôt proche de Lars Von Trier) secoue, n’épargnant rien en décrivant le martyr d'un Jesus Freak (ses jeunes illuminés au look de metalleux) candide, atterrissant entre les mains d'un père de famille sadique. Comme on dit « si quelqu'un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi la gauche » : effet pervers de la loi du plus fort, dans une escalade terrifiante qui nous rappelle que les pires monstres sont sûrement nos voisins, ou simplement nous. Katrin Gebbe, pour une première réalisation, va loin, très loin. C'est à la fois épatant et nauséeux, intolérable et puissant. À vous de voir si pourrez supporter le voyage...

* Xenia, de Panos H Koutras : Après l'exubérant et « edwoodien » Attaque de la moussaka géante, on avait compris que Koutras allait se tourner vers quelque chose de plus rigoureux, tout en continuant à exalter un parfum de liberté proche d'Almodovar. La cavalcade de deux frères (un teen enfantin et homo, et un chanteur viril) à la recherche de leur père mange à tous les rateliers grecs, à la fois odyssée et (presque) tragédie, tout en décompressant à coup de Patty Pravo et de Raffaela Carra. Bien que trop long, le résultat alterne malice, gravité et fantaisie, quand il faut, où il faut. Sans oublier de jeter un regard inquiet et pertinent sur la crise que traverse la Grèce.

* Le conte de la princesse Kaguya, de Isao Takahata : Lorsque Ghibli sonne le glas de ses auteurs fondateurs la même année, ça fait chaud au cœur. Mais lorsque les dits auteurs sont loin de livrer leurs plus grandes œuvres, que devrait-on dire ? A la manière du Vent se lève, Le conte de la princesse Kaguya est une œuvre choyée, inattaquable et soignée de sa première à sa dernière image. Pourtant, on ne peut s'empêcher d'y voir, plus que le chef d'oeuvre définitif de son auteur, uniquement un joli conte, allongé ici jusqu'à plus soif. Alors que l'émotion passe étrangement plus par la musique de Hisaishi que par les personnages, on en garde surtout l'amertume de Takahata (et sa verve écolo) qui soulève les maux de la condition féminine à travers le regard d'une princesse extraordinaire élevée par des humains.

* The Rover, de David Michod : À la manière de The Day, on serait tenté que voir The Rover comme un spin-off inavoué de La route, lui empruntant les mêmes sentiers boueux, le même désespoir, le même monde post-apo plongé dans le mystère et la vermine. Et la présence de Guy Pearce, acteur fétiche de John Hillcoat, ne fait que confirmer la filiation fantomatique. Mais loin de ressembler à une pâle copie de son prédécesseur, The Roveroppose un homme sans nom et un groupe d'outsiders venu piquer sa voiture : prenant en otage un des leurs laissé pour mort (saisissant Robert Pattinson, en simple d’esprit pas si simple), il tente le tout pour le tout. Dans un monde charogne traversé de points d’interrogations incessants et inconfortables, le réalisateur d'Animal Kingdom distille un lent poison, jusqu'à une révélation finale poignante, dont la préciosité et la beauté tranchent au milieu des gunfights poisseux et des regards lourds.

* Palo Alto, de Gia Coppola : Après le fils et la fille Coppola, la petite fille ! Et pour ne pas changer de la tradition familiale, la jeune Gia aborde la dérive adolescence, sujet bien connu de Francis et Sofia Coppola. Alors que le casting prolonge l'effet famille (Emma Roberts, nièce de Julia et Jack Kilmer, fils de Val, tous deux très bons), tout le reste a bien du mal à convaincre, filmant des errances juvéniles sans apporter quoique ce soit de nouveau à l'édifice. Pas vraiment drôle, pas vraiment choquant non plus, et assez peu touchant : à croire que la vision de l'irritant Bling Ring n'avait pas suffi.
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